Publié le 22 Jan 2019 - 23:18
INAUGURATION DE LA TRANSGAMBIENNE

Gambie et Sénégal jettent le pont

 

Les deux présidents et les deux peuples, gambiens et sénégalais, ont amorcé hier un nouveau tournant historique en étrennant le très symbolique pont de la Transgambienne

 

Le ‘‘Farafenni’’, le ferry reliant les rives gambiennes Bamba Tenda au Sud, et Yelli Tenda au Nord vogue tranquillement sur le Fleuve Gambie. En arrêt technique depuis longtemps, c’est l’autre bac motorisé, le ‘‘Soma Banjul’’, qui continue à assurer les liaisons fluviales entre ces deux localités, en plus des petites pirogues pour les passagers. D’ailleurs sur l’autre rive, le quai de Yelli Tenda, ce vieux tacot du fleuve continue à charger, usagers, marchandises et véhicules lourds sur une jetée plus bondée que d’habitude à cause d’une cérémonie officielle. Mais les conditions dantesques de cette traversée fluviale ne seront plus qu’un mauvais souvenir. Tous les deux ferries devront alors être ringardisés, dans un futur très proche, par le nouveau raccourci autoroutier à péage : le pont sénégambien. Un ouvrage de 1758 mètres qui a fait l’objet de toutes les convoitises hier.  Et de tous les soulagements aussi.

 Le vice-président de la Banque africaine de développement (Bad) s’est étonné du temps qu’ont pris les deux pays à concrétiser une infrastructure aussi symbolique sur les plans économique, social, culturel, communautaire. ‘‘Un rêve différé pendant des années est enfin réalisé. Ce n’est pas un simple pont mais un lien entre communautés, entre peuples. Les générations futures se demanderont comment les deux Etats ont fait pour vivre aussi longtemps sans pareille infrastructure’’, a déclaré le représentant du directeur de la Banque africaine de développement, Amadou Hott, dans son allocution. Il était très loin d’être la seule personne soulagée. Les Gambiens et Sénégalais mobilisés en masse derrière les barrières métalliques des forces de l’ordre n’avaient qu’un mot à la bouche : ‘‘enfin le calvaire est terminé’’, déclarent pour l’essentiel les individus interrogés.

Le président-hôte, Adama Barrow lui aussi s’est également posé la question de savoir pourquoi il a fallu attendre  tant  de temps pour la concrétisation d’un projet aussi essentiel aux deux pays. ‘‘Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ça a pris tant de temps pour se réaliser’’, a déclaré le chef de l’Etat Gambien.  Aujourd’hui,  après quatre ans de travaux et 38 milliards FCFA de financements injectés par la Banque africaine de développement, la ‘‘transgambienne’’ voit le jour. Ou presque.

Semi-exploitation

Les sonorités de Jaliba Kouyaté, Salif Keita, de ‘‘Allez Casa’’ s’échappent des gros haut-parleurs comme pour donner un cachet panafricain à l’inauguration de ce pont que les deux peuples de ces deux pays appelaient de leurs vœux. Le fin duvet de poussière ocre qui couvre toutes les installations par la matinée venteuse d’hier ont aussi exposé l’incomplétude des travaux.  Sur le terminal de Bamba Tenda, les fers dépassent de gros pylônes en béton. Les énormes véhicules sont à l’arrêt sur cette fin de piste encore latéritique pour respecter l’inauguration. Malgré tout, l’ambiance est à la fête pour les nombreux Gambiens mobilisés pour la circonstance, le long du Fleuve Gambie. ‘‘Nous ne pouvons que nous réjouir d’un tel ouvrage. On espère seulement que quand ce sera fonctionnel, l’accès sera facile pour tout le monde’’, déclare l’un des nombreux supporters drapé aux couleurs des deux pays. Ces derniers  se sont amassés par milliers pour assister à l’ouverture. Pas de poste de péage pour l’instant, et les différents accès au pont ainsi que leur raccordement sur la route ne sont pas effectifs. En déclarant officiellement ouvert cet ouvrage, le Président gambien a annoncé derechef la mise en exploitation de cette infrastructure qui mettra fin au calvaire de nombreux voyageurs gambiens et sénégalais.

Pour le moment, il est convenu, d’après la National Roads Authority (Nra), l’équivalent gambien de l’Ageroute, que ce soient les véhicules de moins de 80 tonnes qui soient autorisés à passer en attendant la finition complète des travaux. Le montant du péage justement est aligné sur celui des bacs en attendant une exploitation plus effective dans un semestre annonce le ministère gambien des transports. Les recettes qui en seront tirées serviront à la maintenance de l’ouvrage sous la supervision de la  Nra gambienne. ‘‘Nous avons juste envie que l’exploitation commence. Que l’on commence à franchir le Fleuve en un rien de temps alors qu’avec le ferry on est sûr de perdre au moins deux heures’’, déclare un homme qui porte la pancarte ‘‘Bamba Tenda Union Transporters’’. Contrairement au franchissement fluvial où le passage était aléatoire, une traversée plus que rapide est garantie car le pont principal de 944 mètres ne devrait pas prendre plus de cinq minutes. En plus de relier rapidement les deux rives gambiennes, les 1800 mètres (longueur totale) de cette route vont servir à gommer la discontinuité territoriale entre le Sénégal et la Gambie. L’axe Keur-Ayip, Sénoba, Farafenni et Ziguinchor sera une route moins pénible pour les usagers, les transporteurs et les marchandises.

Macky Sall : ‘‘Ce pont appartient à la Gambie’’

Après l’épisode de la crise des transporteurs sénégalais en avril 2016, suivi de la crise postélectorale gambienne puis de l’installation d’Adama Barrow en février 2017, les relations entre les deux pays se sont normalisées. Ce pont, abusivement appelé sénégambien, en est la parfaite illustration. En plus de gommer une discontinuité territoriale, ce sont les tracasseries administratives et les aléas du bac motorisé qui sont surmontés. Un an après l’adoption d’une zone de libre-échange (Zlec), cette transgambienne a des objectifs communautaires qui consiste à améliorer la compétitivité économique au sein des pays de l’Omvg (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie) par la fluidité du trafic et la réduction du cout des transports. Les objectifs attendus à terme sont l’ouverture aux régions sud du Sénégal, le renforcement et l’augmentation du volume de la circulation des biens et personnes entre Sénégal, Guinée, Guinée Bissau et Gambie, et la promotion du commerce entre ces états.

Sur sa lancée, le président Macky Sall dont sa politique gambienne a éconduit l’ancien dictateur Yahya Jammeh et a instauré l’ère nouvelle de bon voisinage, a rendu hommage à son homologue qui a tout fait pour que soit possible cette réalisation. ‘‘Sans le leadership du président Adama Barrow, ce pont n’aurait jamais vu le jour. C’est un grand jour pour l’Afrique et sa marche inexorable vers l’unité’’, a avancé le chef de l’Etat sénégalais qui en a profité pour lever les équivoques sur la paternité de cet ouvrage. ‘‘Ce pont appartient à la Gambie. Ça va servir la Gambie et les Gambiens ; ça va également servir le Sénégal’’, a-t-il ajouté. Son hôte lui a rendu la politesse en saluant la diligence des autorités et institutions sénégalaises sans lesquelles ce joyau n’aurait pas vu le jour. Le successeur de Jammeh a également plaidé pour une forte union des peuples. ‘‘Ce que Dieu a uni, toute personne qui tente de s’y opposer agit en vain. Ce pont n’est ni à l’avantage du Sénégal, ni à l’avantage de la Gambie. C’est à l’avantage de la Sénégambie’’, renforce Barrow.

 La durée de vie de cet ouvrage est de 100 ans. De quoi continuer à fluidifier la relation entre ces deux pays que tout réunit sauf la géographie.

Moussa Cissé (Sg du Collectif des cadres casamançais)

‘’ Un vieux rêve vient d’être matérialisé’’

Outre le désenclavement externe de la Casamance, les cadres casamançais estiment que  la réalisation du pont de Farafégné constitue un pas décisif vers l’intégration des régions sud dans l’espace national.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

La réalisation d’un pont sur le fleuve Gambie à hauteur de Farafégné, les cadres casamançais en ont longtemps fait leur cheval de bataille. C’est du moins la déclaration faite, hier, à Ziguinchor, par Moussa Cissé, le secrétaire général du Collectif des cadres casamançais. Mr Cissé et ses collègues faisaient face  à la presse. Une rencontre au cours de laquelle, le collectif a remercié et félicité les autorités qui ont permis la réalisation de ce vieux rêve qui est devenu réalité’’.

‘’Aujourd’hui, le Collectif enregistre une satisfaction certaine en ce qui concerne le désenclavement terrestre de la Casamance avec l’inauguration de ce pont (…). Ce pont a un intérêt particulier de point de vue notamment de l’intégration sous régional. Il s’agit d’une vieille revendication des populations de  Casamance’’, a indiqué Moussa Cissé.  Abondant dans le même sens, Georges Lopes, le secrétaire permanent du Collectif de rappeler : ‘’  en 1972, avec Emile Badiane une rencontre s’était tenue au Ministère des Affaires Etrangères en présence d’une délégation gambienne sur cette question. La Communauté européenne était disponible  à accompagner le Sénégal dans la réalisation de cette infrastructure vitale. Mais la partie gambienne nous a simplement dit qu’il y’a rien à faire. Et que quand la Gambie aura les moyens, elle le fera’’. 

Selon Atab Bodian, le mérite du Collectif est d’avoir pris en charge les préoccupations des populations. Il estime que le pont de Farafégné va consolider le processus de paix en Casamance, si son exploitation est faite avec intelligence. Aussi, à en croire le Collectif des cadres casamançais, la construction du pont constitue une étape importante dans le cadre du désenclavement externe des régions sud du pays. ‘’Nous allons continuer à porter les revendications des populations. Nous allons nous battre pour la réalisation du chemin de fer Dakar, Tambacounda, Ziguinchor. La réalisation de ce projet est d’une importance capitale pour un maillage complet du territoire national. Le chemin de fer Nord –Est –Sud constitue  la seule voie, le cordon ombilical, qui unira le Nord au Sud du Sénégal’’, souligne pour sa part Ibrahima Ama Diémé.

OUSMANE LAYE DIOP (GAMBIE) 

 

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