4 000 milliards Cfa pour un ‘’nouveau départ’’…

L’Egypte veut regarder du côté de l’Afrique
146 ans après le premier canal de Suez, l’Egypte rêve de reconquérir sa grandeur perdue. L’inauguration du nouveau canal, hier, jeudi 6 août 2015, à Ismaëlia, ville située au nord-est d’Egypte, veut symboliquement marquer le coup de gong d’un nouveau départ. Les travaux ont coûté plus de 4 000 milliards de nos francs, mais les autorités égyptiennes pensent que le jeu en vaut largement la chandelle.
Gamal Abdel Nasser
Le 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser (fut le second président de la République d'Égypte de 1956 à sa mort) opère la nationalisation et la mise sous séquestre des biens de la Compagnie du canal de Suez. « La pauvreté n'est pas une honte, mais c'est l'exploitation des peuples qui l'est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l'Égypte (...). J'assigne aujourd'hui l'accord du gouvernement sur l'établissement de la Compagnie du Canal », déclarait-il lors d'un discours qui est rentré dans l’histoire.
Presque 60 ans après, c’est Abdel Fattah Al-Sissi qui vient mettre sa touche. ‘’Je crois que c’est simplement un premier pas sur un chemin de mille pas que nous devons faire, les premiers pas sur un très long chemin.’’ A la tête d’un défilé aérien et d’une imposante parade navale, Sissi a voulu donner à l’événement une dimension…pharaonique. Un pari critiqué par l’opposition du fait des sommes englouties par l’ouvrage (9 milliards de dollars, soit 4 500 milliards de francs Cfa) et des fonds mobilisés pour tenir une organisation de qualité.
Mais pour les nouvelles autorités, cela en vaut le prix. La nouvelle voie doublant, sur 34 kilomètres, le canal long de 193 km, ainsi que l'élargissement et l'approfondissement d'un tronçon sur 37 autres kilomètres, devrait permettre de doubler la capacité du trafic et faciliter le trafic entre la Mer rouge et la Méditerranée. Si seulement une cinquantaine de navires empruntent au quotidien le canal, ils devraient se chiffrer à près de 100, avant 2025. Il s’y ajoute qu’en rendant possible la circulation dans les deux sens, les temps d’attente des bateaux vont baisser de moitié, c’est-à-dire se stabiliser autour de 10 heures.
Choukri (ministre des Affaires étrangères) : ‘’Nous n’avions pas accordé à l’Afrique sa valeur, nous allons changer…’’
C’est surtout sur un tout autre plan que des bénéfices sont attendus, car l’événement doit servir de levier pour marquer le retour sur scène de la ‘’grande Egypte’’. Le ministre des Affaires étrangères et du développement international, Sameh Choukri, rencontré la veille des festivités, affiche les couleurs : ‘’Nous n’avons pas dans le passé accordé la valeur qu’il faut à l’Afrique. Pourtant, c’est là la source du Nil (…) et tous les pays développés s’intéressent aujourd’hui à notre continent. Notre Président Sissi a décidé de changer d’orientation. Nous allons raffermir nos relations avec les pays de l’Afrique et investir sur le Continent’’, déclare-t-il sans ambages. Le chef de la Diplomatie égyptienne dont le ministère est aussi imposant que le building administratif reconnaît des ‘’lacunes’’ dans le passé et évoque ‘’des erreurs à corriger très rapidement’’. ‘’Nous allons aller très vite, notre volonté est sans faille’’, affiche-t-il, en liant le repli de l’Egypte de la scène africaine à l’attentat contre l’ancien Président Hosni Moubarack le 26 juin1995, à Addis Abéba.
Signe que de l’eau commence à couler sous les ponts, les chefs d’Etat africains sont les plus nombreux ‘’sous la tente’’ du Général Sissi. Du président de l'Afrique du Sud, Jacob Zuma, au président soudanais Omar al-Bachir, celui de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdelaziz, Joseph Kabila du Congo, Faure Essozimna Gnassingbé, président du Togo, Ikililou Dhoinine, président de la République des Comores, Ali Bongo Ondimba, Président du Gabon, le Président malien Ibrahim Boubacar Keita, le président du Niger Mahamadou Issoufou, le Président de la Guinée Equatoriale, Teodoro ObiangNguema Mbasogo. D’autres pays africains ont envoyé des délégations pour être présents à la cérémonie.
Le gouvernement égyptien a multiplié lui-même les invitations pour montrer au monde un ‘’autre visage’’ différent de celui qui a défilé dans les médias ces dernières années. ‘’Nous en avons souffert, nous nous battons pour que ça change. Bien souvent, des organisations de défense des droits de l’Homme ont dit des choses parce que l’Egypte n’était pas en phase avec certains pays avec lesquels ces organisations travaillent’’, avance Mohamed Fayek, Président du Conseil national des droits de l’Homme. Cet ancien ministre et conseiller de Nasser symbolise à lui tout seul la ‘’rupture’’ que l’Egypte veut imprimer. ‘’Sous Nasser, nous avons renforcé tous les leaders africains dans la lutte pour leur indépendance. Nous avons soutenu Mandéla, Nkrumah et tous ceux qui se battaient pour leur émancipation’’, rappelle ce vétéran du système.
Mamoudou Wane (envoyé spécial)