Publié le 21 Sep 2013 - 16:05
Jean-Paul AGBOH AHOUÉLÉTÉ JOURNALISTE TOGOLAIS

 ''La presse sénégalaise est un modèle pour nous''

 

 

De passage à Dakar, le journaliste togolais Jean-Paul Agboh Ahouélété, Directeur de publication du bimensuel d’informations générales ''Focus Infos'', à Lomé, s'est confié à EnQuête. Il livre ses impressions sur la presse sénégalaise et pointe les problèmes que rencontre celle du Togo. Pour lui, beaucoup de choses restent à faire dans son pays, et la presse sénégalaise demeure pour cela un modèle.

 

Quel rôle la presse togolaise tient-elle dans le renforcement de la démocratie au Togo ?

La presse privée togolaise a beaucoup contribué à l’instauration de la démocratie, à la conquête des libertés et à la dénonciation de la mauvaise gouvernance. Née dans les années 90, elle n’a cependant pas réussi réellement à faire sa mue, demeurant essentiellement une presse de combat et d’opinion. Elle n’a pas encore acquis, globalement, cette caractéristique pourtant importante de presse indépendante, qui diffuse des informations générales ainsi que des principes liés à l’éducation et aux questions de développement. Malheureusement, elle est aussi très clivée, de nombreux titres répondant davantage à des chapelles politiques qu’au souci d’informer, et devenant des groupes de pression que de presse.

 

Quels sont les problèmes auxquels elle est confrontée ?

 

Il y a d’abord le problème de formation. Cette presse de combat a eu tendance à faire preuve d’ouverture et de largesse dans son recrutement. Nombreux sont donc ceux qui son rentrés dans la profession par effraction, avec peu de background ou de formation minimale pouvant contribuer à la production d’une presse de qualité. Toutefois, des réflexions et des efforts sont en train d’être menés aussi bien au niveau des autorités que des organisations de journalistes eux-mêmes, pour pallier ce problème avec notamment des séminaires de formation réguliers. Des instituts se créent également qui proposent des formations continues et diplômantes. Car ce qu’il faut dire est que ce manque de formation pèse sur le niveau général de la presse et constitue un vrai handicap pour sa crédibilité. Vient ensuite le manque de ressources. La vente seule étant insuffisante pour faire vivre un journal, il faut aller à la recherche d’annonceurs. Mais beaucoup d’entre eux n’ont pas envie d’associer leur image à des parutions trop marquées politiquement ou aux contenus médiocres et approximatifs. Ceux qui se décident à le faire avec certains journaux proposent des tarifs encore en deçà de ce qui se pratique par exemple dans la sous-région. L’aide de l’État à la presse reste aussi trop faible par rapport à la pléthore de titres et de médias audiovisuels qui existent. Enfin, il y a une absence de structuration de la plupart des organes, qui sont dans un environnement informel et ne sont pas en règle avec le fisc ou les institutions sociales.

 

Comment est organisée la presse togolaise ?

Il y a un Conseil national des patrons de presse (Conapp) qui regroupe tous les responsables des organes de presse. Il est à la pointe du combat pour l’amélioration du cadre de l’exercice de notre profession afin d’en faire un métier encadré, structuré et rentable pour les patrons. Il fait régulièrement des plaidoyers auprès de différentes institutions mais également de l’État, pour une aide à la presse plus substantielle. Il y a aussi les organisations des journalistes dont l’Ujit (Union des journalistes indépendants du Togo) qui a cette particularité de réunir aussi bien les patrons que leurs employés et est à l’origine du processus de mise en place d’une Convention collective devant régir le secteur ; le Synjit (Syndicat des journalistes indépendants du Togo), un syndicat plus spécifiquement dédié aux journalistes salariés. D’autres organisations ad hoc voient aussi le jour en fonction des événements. Globalement, du fait du clivage de la presse, toutes ces organisations ne définissent que rarement des actions unitaires, ce qui handicape toute dynamique vers l’amélioration de la situation.

 

Connaissez-vous des pressions dans l’exercice de votre travail ?

A son avènement, la presse privée togolaise a connu beaucoup d’épreuves, faites de pressions, d’intimidations, d’emprisonnement et d’exil pour certains confrères. Il fallait avoir beaucoup de courage pour exercer ce métier. Avec la dépénalisation du code de la presse au début des années 2000 et surtout depuis 2005, les journalistes travaillent avec beaucoup moins d’atteintes à leur liberté. La liberté de presse et d’expression est heureusement une réalité dans notre pays et il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les différents titres et de suivre les programmes sur les médias audiovisuels. Les incidents qui surviennent parfois restent marginaux. Cette évolution a entraîné des conséquences inattendues avec des dérives et une impression parfois d’anarchie. Les responsables de ces comportements, heureusement, ne constituent pas la majorité dans la profession. La Haac (Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication) et les différentes organisations, conscientes du phénomène et chacune en ce qui le concerne, mènent des réflexions et des actions en vue d’une presse plus crédible et plus responsable, avec par exemple un accès mieux contrôlé à la profession.

 

 

Quel regard portez-vous sur la presse sénégalaise ?

La presse sénégalaise est pour nous un modèle, dans son dynamisme, sa diversité et sa structuration. Beaucoup de journaux au Sénégal informent, éduquent et distraient. Ce ne sont pas des journaux de combat, qui clivent. Constitués en véritables entreprises de presse et donc avec ses exigences, ce sont des modèles pour nous à suivre ; d’autant plus que leur cohésion les aide à peser face à leurs interlocuteurs, institutionnels ou privés. Par ailleurs, et c’est important, la presse sénégalaise garde un grand respect pour ses anciens et ses grandes figures, pionnières d’une presse libre.

 

Depuis les élections législatives du 25 juillet dernier, quelle lecture faites-vous de la situation politique togolaise ?

 

La tenue même de ces élections est d’abord une victoire pour notre pays. Non pas simplement parce qu’elles renforcent notre démocratie mais aussi parce que le pays a vécu plusieurs mois auparavant beaucoup de tensions politiques, avec une partie de la classe politique qui voulaient les empêcher. Que ces élections aient finalement eu lieu et surtout sans violences, de façon libre et transparente, est donc à saluer. Le scrutin de juillet dernier est ensuite indéniablement un succès pour le parti au pouvoir Unir (Union pour la République) et pour son président Faure Gnassingbé qui, avec 62 des 91 sièges en jeu, voit sa politique validée de façon massive par les Togolais. D’autant que sa formation qui a à peine un an, fait mieux que son devancier le Rpt (Rassemblement du peuple togolais) et que certains pronostiqueurs lui prédisaient une déroute. A 18 mois de la prochaine présidentielle, c’est une voie royale qui s’ouvre devant lui. A l’inverse, la déroute de l’opposition doit amener celle-ci à réaliser ce qui la sépare du succès et à se mettre au travail : celui d’occuper le terrain et de ne plus se concentrer exclusivement sur la capitale avec des marches hebdomadaires improductives, d’être une force alternative, de proposition et plus simplement d’opposition. Elle a en tout cas entraîné une guerre de leadership parmi ses leaders ; ne dit-on pas que  la ''défaite est toujours orpheline''.

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