La Chronique de Mamoudou Wane
Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur. Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée” –
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
Quelle honte !
Doudou Ndiaye “Rose” est parti, comme s’éteignent les rythmes crépusculaires des tam-tams, dans la savane africaine. Il fut évidemment un talent sûr que le monde de la culture reconnaît, sur tous les continents. L’Unesco l’avait “sanctifié” en le classant “trésor humain vivant”. Il le mérite bien. Mais quel paradoxe ! Voilà un homme qui a illuminé les plus grandes scènes du monde, joué avec les plus grands artistes de la planète dont Miles Davis, Peter Gabriel, émerveillé les publics les plus exigeants, mais qui était presque resté anonyme au Sénégal. Déjà, résonnent fortement les mots qu’il a prononcés dans sa dernière grande interview, il y a juste trois semaines, à EnQuête (édition 1237 du 1er août 2015).
Comment ne pas nous attarder sur ses derniers états d’âme sur terre tant ils sont lourds de sens et révé- lateurs de sa frustration ? A notre grand reporter Bigué Bob, Doudou Ndiaye Rose confiait ceci : “J'ai fait beaucoup de choses pour ce pays. Les gens connaissent bien mon parcours. Il serait donc préférable que ce soit mon pays qui me rende officiellement hommage (...). Je leur ai demandé de ne pas atten- dre ma mort. Quand je ne serai plus de ce monde, j'attends des uns et des autres des prières (Fatiha et 11 Ikhlass). Je ne veux pas d'hommage. Je ne pardonnerai pas à quiconque le fera.” Voilà le cri du cœur poussé par un homme, au soir de sa vie.
Aucune réaction n’a suivi. Pas même celle du ministère de la Culture dont le patron Mbagnick Ndiaye sem- ble plus préoccupé par la politique que par la prise en charge des nombreux problèmes de son secteur. Le communi- qué rendu public hier par ses services, après le décès du percussionniste, est d’une platitude qui n’a d’égal que l’indif- férence qu’il draine. “Je saisis cette occa- sion pour saluer sa mémoire et lui rend un vibrant hommage pour le travail gigantesque accompli au service de la République et pour le rayonnement de la culture sénégalaise.” Quelle blague ! En fait, une comédie presque nationale.
Depuis hier, les hommages se suivent et se ressemblent. Plus émouvants les uns que les autres. Et comme c’est le cas chaque fois qu’une célébrité part, les superlatifs se disputent la place sur les stations Fm. Sans trop de sincérité ! Certains témoignages sont si dithyram- biques, en terme de bonté de l’homme, de ses qualités de cœur, qu’on est bien tenté de tailler au disparu une place au paradis avant même l’enterrement. Du reste, nous pensons comme eux tout le bien sur l’homme même si c’est son œuvre qui doit nous intéresser le plus. La question est la suivante : Où donc étaient-ils ces gens qui pensent tout le bien de Doudou Ndiaye Rose ? Sur
Terre ou sur la planète Mars ? Pourquoi diable attendent-ils qu’il parte pour le célébrer ? Par exemple pour ses 85 ans, l’Etat aurait bien pu organiser une céré- monie, au Grand théâtre, avec tout ce qu’il faut en termes de symboles pour lui rendre un dernier hommage avant qu’il ne se fonde dans le voile de l’Eternité. Ce ne serait pas seulement donner à Doudou Ndiaye Rose, mais bien plus, une façon de lui rendre ce qu’il a fait en bien pour la culture et l’image du Sénégal, depuis le premier Festival mondial des arts nègres, jusqu’à nos jours. Au contraire, ce sont les Américains, les Japonais et autres qui viennent nous rappeler qu’il y a bien un “prophète” chez nous... Quelle honte ! Nous ne pouvons en aucune façon échapper au tribunal de notre propre conscience. Il faudra bien s’interroger sur les raisons du blocage psycholo - gique que nous avons expérimenté, comme si on peinait à dire à nos célébri- tés, pendant qu’ils sont encore en vie : “On vous aime”. Il faut bien qu’on apprenne cela parce que visiblement, nous autres Sénégalais, avons des pro - blèmes avec... les vivants.
Peu de personnes se sont préoccupées au Sénégal de la disparition de Sembène Ousmane, après tout ce qu’il a fait pour le cinéma et la littérature sénégalaise. Un autre magicien, cette fois du verbe, Ndiaga Mbaye, est aussi parti un jour de février 2005, accompagné par un bien assourdissant... silence national. C’est la pudeur qui empêche de parler du niveau de dénuement dans lequel il a baigné, dans les derniers moments de sa vie. Personne ne s’en est préoccupé. Pourtant, ceux qui connaissent l’his- toire de la musique sénégalaise savent bien que Doudou Ndiaye Rose comme Ndiaga Mbaye sont parmi les créateurs les plus saillants de cette musique, telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Ils ont permis à la plante de germer. Et tant mieux si les fleurs sont belles.
On peut encore, à longueur de colonnes de journaux, citer des noms de légendes oubliées. Mais pendant que nous parlons aujourd’hui de Doudou Ndiaye “Rose”, ils sont bien nombreux aujourd’hui, ces “monu- ments vivants” qui ont marqué leur temps et qui risquent de partir, sans même que nous les célébrions. Il n’est jamais trop tard pour tirer la sonnette d’alarme. Ces “monuments” sont pré- sents, dans le domaine de la Musique, de la Sculpture, de la Presse, de la Santé, de la Politique qui vont un à un tirer leur révérence. Dans l’indifférence totale, si l’on n’y prend garde. Pendant ce temps, inquiétude suprême, le talent semble de plus en plus déserter la jeune génération...faussement émergente. Plutôt décadente !