Publié le 13 Nov 2014 - 13:06
LIMOGEAGE DU PROCUREUR ALIOUNE NDAO

Le «jeu» des autorités vu par les partis et la société civile 

 

Le limogeage du procureur Alioune Ndao de la CREI est diversement apprécié par la classe politique. La société civile, pour sa part, propose la réforme du Haut conseil de la magistrature pour protéger les magistrats.   

 

Le limogeage du magistrat Alioune Ndao, à la tête de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), continue de cristalliser le débat public. Si les raisons officielles de ce limogeage ne sont pas connues, la classe politique apprécie diversement la situation. Mamour Cissé (PSD/Jant Bi) s’est réjoui du départ du désormais «zélé» ex-procureur. ‘’Voilà quelqu’un qui a bafoué le droit en mettant en prison des personnes sans aucune preuve. 

On a attribué 700 milliards à Karim Wade, puis 117 milliards. Au finish, la montagne accouche d’une souris’’, constate l’ancien ministre d’Etat. Qui accuse l’ancien Premier ministre d’être à l’origine de cette situation pour son ‘’choix’’ porté sur Alioune Ndao. «Tout le monde savait que Mimi Touré avait son propre agenda. Comment comprenez-vous qu’on ait arrêté Hissein Habré sans que le président soit au courant ? Aujourd’hui, on nous dit que le  procureur a voulu convoquer Madické Niang, Abdoulaye Diop et Ndella Wade (épouse de Mbaye Ndiaye). Il faut arrêter !’’ peste-t-il.

Mais pour Madièye Mbodji (Yoonu askan wi), la loi est impersonnelle et doit s’appliquer à tous. ‘’Si Alioune Ndao a été limogé pour avoir voulu convoquer des pontes de l’ancien régime, c’est grave !’’ dit-il. ‘’Cela voudrait dire qu’il y a une interférence de l’Exécutif dans le Judicaire’’ dans le dossier de la traque des biens mal acquis.

L’ancien ministre des Finances, Moussa Touré, lui, n’arrive pas à s’expliquer cette décision prise par le Garde des Sceaux. ‘’C’est surprenant que le procureur soit remplacé alors qu’il est au milieu d’un procès le plus important de l’histoire politique du Sénégal. Quand j’ai entendu qu’il a voulu appréhender des dignitaires de l’ancien régime, cela correspondait aux personnes que j’ai toujours décriées’’, ajoute le chef du parti Citoyen pour l’étique et la transparence/Jarign sa rew (CET/JSR).

«Les gens de la périphérie»

Selon lui, il s’agit de l’ancien ministre de l’Economie et des Finances Abdoulaye Diop, et de l’ex-ministre de l’Energie Samuel Sarr. Ils ‘’ont tous les deux fait perdre à l’Etat du Sénégal plusieurs dizaines de milliards dans l’acquisition d’une maison du Sénégal aux Etats-Unis.’’ ‘’Le ministre des Finances de l’époque avait autorisé une transaction qui était illégale. Et Samuel Sarr avait reconnu être le propriétaire de la société qui a exécuté cette opération’’, rappelle Moussa Touré.

Malgré tout, les dignitaires de l’ancien régime ne sont pas inquiétés pour des raisons dont il semble détenir la réponse. Pour lui, Macky Sall est entre le marteau des exigences des Sénégalais et l’enclume qui consiste à se protéger face à ses anciens compagnons.  ‘’Puisqu’il était dans la même barque que ces gens-là (Madické Niang  et Cie), il risque d’être impliqué. Donc, il préfère arrêter les gens de la périphérie’’ du système wadien, s’insurge l’ancien président de la commission de l’Uemoa.

Une logique à laquelle s’oppose le député Cheikh Oumar Sy. Pour lui, l’Etat doit être équitable vis-à-vis des citoyens s’il veut récupérer ‘’les deniers publics  détournés’’. ‘’On ne peut pas avoir une justice à deux vitesses. Il ne faut pas que Karim Wade soit le seul à payer, et que les autres ne soient pas inquiétés’’, pense le responsable de Bés Du Niakk.

«Réformer le Haut conseil de la magistrature»

Cette position est renforcée par le porte-parole du Pds. Pour Babacar Gaye, le limogeage d’Alioune Ndao ne surprend guère pour ‘’au moins trois raisons’’. D’abord, «le parquet spécial a montré ses limites quant à la détermination exacte et exhaustive du patrimoine de Karim Wade fixé initialement à près de 700 milliards alors que l'arrêt de renvoi n'a retenu que 117 milliards dont la moitié concerné les chimériques 47 milliards de Singapour’’. Ensuite «Alioune Ndao, nommé sur la base d'une offre de services, n'a pas donné satisfaction à ses patrons.». Enfin, «c'était un secret de polichinelle que Alioune Ndao a eu par moments des sursauts d'honneur pour passer outre les instructions qu'il recevait du gouvernement soit pour arrêter des poursuites entamées contre des personnes qui bénéficient de la protection du pouvoir ou pour faire preuve de mansuétude dans le traitement de dossiers concernant une caste privilégiée.»

Autant de faits qui, à ses yeux, prouvent que la CREI est «une juridiction d'exception politique instrumentalisée pour salir et décrédibiliser des adversaires politiques.» D’où la nécessité, selon Madièye Mbodj, de réformer nos institutions. «On veut faire des réformes, cela ne doit pas uniquement se limiter au mandat du président de la République. On doit avoir une approche beaucoup plus globale en intégrant la question de la séparation des pouvoirs’’, préconise-t-il.

Pour ce faire, Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), propose la révision du Haut conseil de la magistrature afin d’assurer la garantie des magistrats dans l’exercice de (leurs) fonctions.» «Cette situation nous conforte dans l’idée que le HCM est un organe d’affectation et non pour garantir les magistrats. Autant les magistrats du siège sont inamovibles, autant les magistrats debout doivent être protégés.» Puisant dans ses souvenirs, Me Ndiaye rappelle que c’est la première fois qu’on assiste au limogeage d’un procureur alors qu’un réquisitoire introductif a été déjà fait. «Si c’est pour des raisons politiques que le procureur a été sanctionné, cela veut dire que la politique prime sur la Crei», dit-il, critique.

Le président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar (BBY) se veut quant à lui prudent dans le jugement, même s’il trouve «tout à fait normale» la décision. «Un ministre a le droit de limoger son collaborateur. S’il ne le peut pas, je me demande ce qu’il fait à son poste’’, avance le responsable de l’APR. Qu’Alioune Ndao soit remplacé et que le procès de Karim Wade soit suspendu jusqu'après le Sommet de la francophonie, Babacar Gaye s’est forgé une religion. ‘’Cela cache mal la gêne d'un régime qui veut coûte que coûte poursuivre cette mascarade judiciaire et condamner sans la moindre preuve Karim Wade et ses présumés complices. Le Pds ou aucun homme épris de justice ne l'acceptera’’, prévient l’ancien président du conseil régional de Kaolack. 

DAOUDA GBAYA

 

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