Publié le 27 Aug 2025 - 20:03
LUTTE CONTRE LES CANCERS FÉMININS

Un combat loin d’être gagné

 

Dans la cadre de la lutte contre les cancers féminins, il est urgent de prendre plusieurs mesures vitales. Selon les spécialistes, d’ici 2040, plus de 30 millions de personnes souffriront de ces pathologies.

 

Dans le cadre du projet ‘’Santé en lumière’’, l’Association des journalistes en santé population et développement, en partenariat avec la fondation Bill et Melinda Gates, a organisé, hier, un atelier sur les cancers féminins.

Lors de cette rencontre, Dr Kanta Ka, oncologue radiothérapeute au centre national Dalal Jaam de Guédiawaye, a fait le point sur cette pathologie. D’après lui, 30  millions de nouveaux cas de cancer seront diagnostiqués en 2040, avec près de 16 millions de décès par an. Les pays à revenu faible et intermédiaire concentrent 70 % de la mortalité. Les cancers du col de l’utérus et du sein, d’après lui, seront les plus meurtriers.

Au Sénégal, a-t-il confié, les dernières données disponibles (2010-2016) font état de 3 157 cas enregistrés en six ans. L’âge moyen des patientes est de 50  ans. La répartition est composée de 53 % de femmes et 47 % d’hommes. Chez la femme, selon le Dr Ka, les cancers gynécologiques et mammaires occupent 54 % des cancers féminins.

Les principaux facteurs de risque, renseigne Dr Ka, sont les infections persistantes par Virus du Papillome humain (HPV), les rapports sexuels précoces, le multipartenariat sexuel, le partenaire masculin à partenaires multiples, le non-recours au dépistage. 

Parmi les facteurs associés, poursuit-il, il y a le tabagisme, la multiparité, les co-infections (VIH-Chlamydia, HSV), le déficit immunitaire (VIH, immunosuppresseurs) et le faible niveau socioéconomique.

Ainsi, pour se protéger, il préconise la vaccination anti-HVP, l’utilisation du préservatif (protection partielle), le dépistage régulier (frottis, test HVP), la circoncision du partenaire  (réduction du risque HVP), l’hygiène sexuelle et le suivi gynécologique régulier.

Des problèmes de ressources humaines et d’infrastructures

L’oncologue radiothérapeute souligne ainsi que 70 % des malades auront besoin de radioscopie. Or, actuellement, pour avoir une radiothérapie, il faut se rendre à Dakar ou à Touba. En outre, le coût de la chimiothérapie est élevé, avec un forfait de 150 000 F CFA dans le public. 

Ainsi, les défis sont multiples.  ‘’Il faut améliorer l’accès aux traitements, le dépistage précoce pour réduire la mortalité et faciliter l’accès aux outils et thérapies modernes. Il faut aussi une bonne communication avec des sachants. Et pour cette question, les journalistes sont les mieux placés’’, souligne l’oncologue. Qui renseigne que, même si ce n’est pas si fréquent au Sénégal, il y a le cancer du pénis.

Au Sénégal, regrette-t-il, beaucoup préfèrent mourir chez eux avec leur pathologie, au lieu de se faire diagnostiquer. Sur  une durée de plus de 50 ans, moins de 400 cas de cancer du pénis ont été diagnostiqués dans le monde.

Au Sénégal, le ratio est d’une machine de radiothérapie pour 4,5 millions habitants

Lors de la rencontre, le Dr Mouhamadou Bachir Ba, ancien interne des hôpitaux et oncologue-radiothérapeute au centre hospitalier Dalal Jaam de Guédiawaye, qui a présenté une communication sur le thème ‘’Cancer gynéco-mammaire au Sénégal : traitements disponibles, politiques de gratuité et leviers de transformation’’, a soulevé qu'actuellement, le Sénégal compte six oncologues médicaux, dont deux en formation, 18 oncologues radiothérapeutes, 10 oncologues chirurgiens, 12 infirmiers spécialisés (chimiothérapie), six physiciens médicaux, dont deux en formation, 15 techniciens en radiothérapie et deux ingénieurs de maintenance (radiothérapie).

S’agissant des traitements disponibles, le Dr Ba souligne les avancées dans la prise en charge. Il note, entre autres, la facilitation de la chirurgie de conservation (sein), le traitement systémique adapté aux moyens locaux (très contextualisé), la disponibilité dans la plupart des centres de prise en charge, la gratuité de dizaines de médicaments de chimiothérapie y compris les morphiniques depuis 2020, la gratuité pour les cancers gynéco-mammaires et la gratuité avec 60 % de réduction pour les autres cancers.

Toutefois, se pose la question de l'accessibilité dans les régions, des ruptures de stock répétées, d’une chaîne logistique non maîtrisée, des coûts cachés (transport, examens, hospitalisation) et de l'accessibilité limitée aux thérapies ciblées alors que la chimiothérapie conventionnelle reste dominante.

En Afrique, regrette Dr Ba, on ne compte que 3,2 % du parc mondial de radiothérapie, alors qu'au Sénégal le ratio est d'une machine de radiothérapie pour 4,5 millions d'habitants.

Le Plan cancer 2025-2029

S'agissant des leviers de transformation, le Plan cancer 2025-2029 vise, selon lui, à réduire la mortalité liée au cancer d'au moins 25% d'ici 2029. Il prévoit la décentralisation de la prise en charge avec des pôles régionaux, l'acquisition d'équipements supplémentaires, le renforcement des laboratoires (anatomo-pathologie, radiologie...), une augmentation significative du financement, la généralisation de la subvention pour la chimiothérapie et la morphine, le développement des soins palliatifs ainsi que des indicateurs concrets comme atteindre 95 % de disponibilité des médicaments essentiels (immunothérapie et anticancéreux), équiper 100 % des centres avec onduleurs/générateurs, et former davantage de radiothérapeutes.

Pour le diagnostic et le traitement du cancer, le plan prévoit d'assurer le diagnostic d'au moins 50 % des cancers, la disponibilité d'au moins 95 % des anticancéreux et un traitement conforme aux normes pour 100 % des cancers diagnostiqués.

Concernant les soins palliatifs et le soutien psychosocial, l'objectif est de garantir l'accès aux soins palliatifs pour au moins 50 % des patients atteints de cancer, et d'assurer la disponibilité d'au moins 95 % des médicaments essentiels en soins palliatifs. ‘’Les défis incluent l'obtention de données précises sur la charge réelle du cancer au Sénégal (incidence et mortalité), l'établissement d'un cadre législatif pour l'enregistrement des cancers, l'augmentation du financement du registre national, l'intégration du registre du cancer pédiatrique et la mise en place d'une plateforme nationale de recherche sur les cancers du sein’’, précise Dr Ba.

A ses yeux, ‘’les cancers gynécologiques et mammaires constituent un enjeu majeur de santé publique au Sénégal. Si les traitements essentiels existent, leur accessibilité reste inégale’’, regrette-t-il.

Toutefois, ajoute-t-il, ‘’la gratuité de la chimiothérapie marque une avancée majeure, mais nécessite d'être étendue, tandis que le modèle actuel de subvention de la radiothérapie montre des limites. Les leviers de transformation passent par la prévention, le dépistage, la formation, l'équipement, la décentralisation des soins et une communication efficace. Les journalistes ont un rôle clé pour briser les tabous, informer le public et mobiliser l'opinion’’, souligne-t-il.

Recommandations et prochaines étapes pour une riposte médiatique inclusive

La docteure Rokhaya Désirée Niang, oncologue médicale et coordinatrice de l'unité d'oncologie de l'hôpital Général Idrissa Pouye, renseigne qu’un patient souffrant d'un cancer dépense entre 1,3 million et 1,5 million F CFA supplémentaires, lorsque la gratuité fonctionne sans rupture ni panne.

C’est pourquoi elle recommande de donner la parole aux survivants ou aux familles afin de recueillir leurs témoignages sur la réalité du parcours de soins et pour mettre en lumière les problématiques d'accès aux soins spécialisés et le rôle des techniciens acteurs du dépistage.

Elle souhaite également une meilleure identification des inégalités liées au genre. Ainsi, elle soutient que les allégations anti-cancer sont des leurres. ‘’Croire que l'on peut échapper à un cancer grâce à un aliment, un complément alimentaire ou en évitant un aliment particulier est un leurre. Le cancer, dont les origines sont multifactorielles, nécessite pour sa prévention une action efficace sur les principaux facteurs de risque : tabac, alcool, déséquilibre alimentaire, sédentarité et surcharge pondérale. À cela s'ajoute une réflexion à poursuivre : comment développer la parole des populations silencieuses (les hommes en particulier) dans le débat citoyen ?’’, prévient Dr Niang.

CHEIKH THIAM

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