Publié le 10 Sep 2025 - 19:01
MÉDINA BAYE : GAMOUWAAT OU ISM

Pourquoi les disciples maures de Baye Niass le célèbrent en Mauritanie

 

Depuis plusieurs années, la ville sainte de Médina Baye refuse du monde à chaque occasion de la célébration de l’anniversaire de la naissance du Prophète. Une affluence marquée par une marée de disciples mauritaniens qui, dès la proclamation de la Fayda en 1929, furent parmi les premiers à avoir répondu à l'appel de Borom Médina. Le constat est qu’après le Gamou, la ville sainte se vide des disciples maures retournant dans leurs terroirs respectifs pour célébrer, sept jours après le Gamou, le ‘’Ism’’ (baptême en français) ou ‘’Gamouwaat’’ (wolof). Ce choix cache un grand mystère dont seuls les initiés connaissent le contenu.

 

Autrefois, tous les disciples mauritaniens de Baye Niass – ceux qui lui avaient fait allégeance au tout début de la Fayda et bien après – célébraient, une semaine après le Gamou, le Gamouwaat (wolof) ou Ism (arabe) à Kaolack. Le disciple le plus distingué dans cette célébration fut Seydi Mouhamadoul Michri (RTA). Ce petit-fils du Sceau des Prophètes (PSL) s’engagea dans la voie tracée par Cheikh Al Islam avec un dévouement irréprochable. D’ailleurs, les plus fervents disciples du dépositaire de la Fayda, qu’il s’agisse des grands Moukhadam maures, sénégalais ou autres, l’avaient toujours considéré comme étant incontestablement le meilleur disciple de Cheikh Baye.

Cheikh Al Islam lui déclara explicitement que Seydi Mouhamadoul Michri était son meilleur disciple. La preuve la plus connue de cette considération de Baye envers cet homme de Dieu est l’autorisation qu’il donna à Seydi Mouhamadoul Michri de célébrer le Gamouwaat en Mauritanie, précisément dans son village de Maata Moulaana. Une autorisation survenue dans les années 70, après le Gamou. Notons que Michri avait sûrement compris le secret du Gamouwaat (Ism) et qu’il fallait un disciple pour en assurer la transmission de sa quintessence.

En effet, contrairement à ce que beaucoup pensent, Baye Niass célébrait généralement le Gamouwaat hors de Médina Baye après le Gamou, soit à Léona, soit à la coopérative de Kaolack. Cet événement se déroulait donc ailleurs qu’à Médina Baye, même si par la suite – pour des besoins d’espace – il fut ramené à Médina Baye.

Baye Niass célébrait le Gamouwaat hors de Médina Baye

Et si Michri avait compris que ce poste qu’il venait d’occuper était vacant et qu’il fallait œuvrer pour Baye afin d’en être l’unique occupant ?

En tout état de cause, c’est à l’occasion d’un événement religieux à Médina Baye (Gamou) que Baye lui donna l’autorisation par lettre, en ces termes bien populaires en arabe : ‘’Noubou Anaa Fil Ism…’’, c’est-à-dire ‘’remplace-nous dans le Ism’’. Depuis lors, les Mauritaniens ne passent plus le Gamouwaat à Kaolack.

Il faut préciser que cette distinction est unique, car en dehors de Michri, aucun autre Moukhadam de Baye ne l’a obtenue.

De nos jours, les seuls disciples qui perpétuent cette tradition dans toute sa dimension spirituelle – tel que Michri l’a enseignée – sont ceux de son école spirituelle, déplacés à Boubacar, une cité religieuse au cœur du désert mauritanien, à 9 km de Maata Moulaana où ils vivaient. Après cette faveur divine octroyée à Michri, un de ses disciples – dont la mère (Dayiya) fut son bras droit spirituel, initiant hommes et femmes – reprit ce flambeau, emportant ainsi tous les mystères du Ism à Boubacar. Ce lieu abrite depuis 1978, après le rappel à Dieu de Michri, ce grand événement. Même si Maata Moulaana continuait à vivifier le Ism avant l’exil vers Boubacar.

Il faut reconnaître que si Médina Baye se vide des disciples mauritaniens après le Gamou, c’est en vertu de cette lettre de Cheikh Al Islam. À travers celle-ci, tous les disciples mauritaniens célèbrent désormais le Gamouwaat dans leurs contrées respectives. Par ailleurs, le véritable secret de ce Ism n’est connu que par Michri lui-même. Celui-ci n’aurait célébré le Ism que peu de temps avant de tirer sa révérence, ayant accédé à cette station vers la fin de sa vie, avant de passer le témoin – aussi scintillant de lumière – à son disciple Cheikh Ould Khairy.

Baye à Michri : ‘’Remplacez-nous dans le Ism…’’

En tout état de cause, tous les grands disciples de Michri et les plus proches d’entre eux ont désormais élu domicile à Boubacar depuis 1978, après une éternité passée à Maata Mouhamadoul en compagnie de Seydi Mouhamadoul Michri. Un sage qui est le fils d’Abdallah ould Hajj, le grand cheikh religieux qui, du vivant du père de Baye, lui avait signifié que Cheikh Al Islam était le dépositaire de la Fayda, alors que Baye était très jeune (9 ans selon l’une des versions). Ce qu’il y a à retenir, c’est que le père de Michri a fait allégeance à Baye à cette époque, malgré le jeune âge de ce dernier qui n’avait même pas pris la Tarikha.

Justement, quand ce grand soufi demanda au fils d’Elhadji Abdallah Niass de l’initier et d’être son maître, Baye lui répondit – d’après des confidences – qu’il était jeune et ne saurait se permettre de devenir un guide pour un aussi important personnage de la Tarikha Tidiane. Déterminé, le guide religieux lui donna la Tarikha et fit de lui (Baye) automatiquement un Moukhadam (un grade qui permet de donner la Tarikha tidiane et d’initier). C’est pourquoi Baye, en listant ses cheikhs, cite Abdallah ould Hajj comme son cheikh. Il aurait dit à Baye de ne pas l’oublier, sachant qu’il ne ferait plus partie de ce bas monde quand la Fayda serait proclamée.

D’aucuns rappellent cette sollicitation du père de Michri afin d’expliquer la suprématie de Mouhamadoul Michri au sein des disciples de Baye. Pour ce qui est de la suite de ce passage du père de Michri chez le père de Cheikh Al Islam, Abdallah ould Hajj déclara, s’adressant à Baye : ‘’Je suis actuellement le khalife virtuel de Cheikh Tidiane Chérif. Dès que je serai mort, proclame la Fayda : tout le monde te suivra de gré ou de force.’’

Le dépositaire de la Fayda, le jour du rappel à Dieu d’Abdallah ould Hajj, s’écria en plein Gamou des fils d’Elhadji Abdallah Niass – dirigé par Mame Khalifa Niass, aîné de la famille – à Léona Niassène, en 1929, alors qu’il (Baye) faisait partie de ceux qui chantaient (animation religieuse), qu’il était celui dont Cheikh Tidiane Chérif indiquait l’apparition.

En effet, le maître de la voie tidiane avait dit que la Fayda serait proclamée par un de ses disciples et que ce serait à travers celui-ci que les humains adhéreraient en masse à la Tarikha Tidianiya.

Pour en revenir à l’histoire de ce Gamouwaat, un petit-fils de Seydi Mouhamadoul Hafeuz (celui qui a amené la voie tidiane au Sénégal, ayant pris directement la Tarikha des mains de Cheikh Tidiane Chérif lui-même) nous a raconté, lors de sa présence pour les besoins du Gamou à Médina Baye, que ‘’Michri a obtenu l’autorisation du Ism vers la fin de sa vie sur terre, et ne l’aurait célébré qu’une fois avant que celui qu’il a désigné comme son successeur, à savoir Cheikh ould Khairy, perpétue ce traditionnel Gamouwaat à Boubacar’’.

Michri : ‘’Ma supériorité spirituelle vis-à-vis des autres disciples est incontestable…’’

Ce qu’il faut noter aussi, d’après certaines histoires répandues, c’est que Michri, dès que Baye lui a signifié son autorisation, le guide de Maata Moulaana s’exclama : ‘’Alhamdou Lilah ! Mon seul objectif c’était d’avoir cette autorisation.’’ Michri était si rattaché à son maître Cheikh Baye qu’il avait clairement soutenu qu’il ne vivrait pas après ce dernier et qu’il n’avait rien à faire dans un monde sans Cheikh Al Islam.

Ces propos furent tenus lorsqu’il fut associé à une réunion initiée par les grands disciples de Baye afin de discuter de la période d’après Baye. Là, il ne s’était pas senti concerné et quitta la séance après avoir lancé ces mots susmentionnés. Il rendit son dernier souffle 21 jours avant le rappel à Dieu de son maître, en 1975.

Qui fut donc cette sommité de la descendance du Prophète qui, après avoir accédé à une connaissance réservée aux initiés – appelée Fath (ouverture) – resta une quinzaine de jours tel un mort, ne sortant pas de son domicile, plongé dans une sorte de coma et ne donnant presque aucun signe de vie ? ‘’On pensait qu’il était mort’’, a confié un de ses disciples, descendant du Prophète, avec qui nous nous sommes entretenus.

‘’Mon seul objectif c’était d’avoir cette autorisation’’. Ainsi, après s’être remis, il a aussitôt commencé à écrire des poèmes si pointus que les disciples de Baye – surtout les Maures – ont compris que Michri avait atteint un degré de spiritualité dépassant tout entendement. Le grand Michri corrigeait ou agrémentait même des poèmes écrits par ceux qui l’avaient précédé de plusieurs années chez Baye, comme le grand Cheikh Rabbani. Ce guide, qui enseignait le Coran aux fils de Baye, a finalement rejoint Michri et est devenu son disciple. Sa descendance assure jusqu’à présent la prière surérogatoire (Nafila) à Médina Baye, au mois de Ramadan.

‘’Le fait que je sois parmi les derniers venus chez Baye n’a aucune incidence sur ma supériorité par rapport aux autres, et ceux qui ont une vision du cœur le savent’’, avait affirmé Seydi Mouhamadoul Michri. Il assume ce que personne n’a osé endosser, sauf un de ses disciples, à savoir Cheikh ould Khairy qui, dans un de ses poèmes, dit en substance : ‘’Ils étaient aveuglés par Baye Niass, mais un seul parmi eux a su retrouver le chemin, et il s’agit de Michri.’’

 

BACHIR KANE (KAOLACK)

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