Publié le 12 Dec 2019 - 19:38
MACKY SALL AU FORUM D’ASSOUAN

‘‘On ne peut pas faire la paix à notre place’’

 

L’appropriation de la menace sécuritaire, par les Etats africains eux-mêmes, est au cœur des préoccupations de Macky Sall. Le chef de l’Etat a pris part, hier, au Forum d’Assouan (Egypte) sur la paix et la sécurité et le développement durable.

 

Sur les bords d’une vallée du Nil sur-bunkerisée, au sud de l’Egypte, cinq chefs d’Etat africains (Sénégal, Niger, Tchad, Nigeria, Comores) ont été reçus par leur homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi pour la toute première édition du Forum d’Assouan sur la paix et la sécurité et le développement durable. Un pendant moyen-oriental du forum de Dakar qui s’est achevé, il y a un mois à peine, où les présidents ont discuté sur la nécessité de faire taire les armes, en partant du principe de devoir identifier les causes des conflits et leur apporter une solution préventive. Un objectif, fixé initialement pour 2020, qui ne sera pas atteint manifestement.

Qu’à cela ne tienne ! Ils ont également avancé la nécessité et la volonté d’avoir la souveraineté sur la maitrise des mécanismes de prévention et les moyens de les rendre opérationnels. Et dans ce domaine, le président sénégalais fait de moins en moins de concessions.

Dans le sillage de ses dernières interventions au forum de Dakar, il a demandé que les solutions pour la question sécuritaire soient d’abord afro-centrées, avant de s’articuler éventuellement à celles proposées par les différentes aides extérieures. ‘‘Le continent est bien évidemment capable de trouver des solutions à ses problèmes, y compris ceux ayant trait à la sécurité. Malheureusement, l’Afrique subit les effets des influences négatives qui nous sont extérieures. C’est le cas de la Libye dont les conséquences sont graves sur la sécurité de tout le Sahel. Il est important que les solutions globales tiennent compte des solutions africaines. On ne peut pas continuer à accepter que la recherche de solutions en Libye écarte l’Ua.  Si l’Union africaine avait été écoutée, le problème libyen ne se serait pas posé de cette façon’’, a-t-il déclaré, en prenant la parole après son homologue tchadien.

Confusion et vulnérabilité

Des problèmes de coordination qui minent des interventions destinées à lutter contre les bandes armées où se mélangent armées nationales, missions de maintien de paix de l’Onu, missions sous-régionales africaines, coopérations militaires bilatérales... débouchant, à l’image du Mali, sur la confusion et la vulnérabilité. Pour le président sénégalais, le souci principal est l’intégration entre le volet international et le volet régional dans la gestion des conflits en Afrique.

‘‘On ne peut pas faire la paix à notre place. On doit certes nous accompagner. Nous accompagner, c’est dans la recherche de moyens, dans la mobilisation et surtout dans la coordination des opérations, lorsqu’il s’agit d’intervenir militairement. Cela doit s’appuyer, d’abord, sur les efforts africains. On ne peut pas, dans la région du Sahel, dans le bassin du lac Tchad où des pays se battent quotidiennement... le Nigeria qui fournit des efforts énormes, le Tchad qui a consenti beaucoup de sacrifices très importants en vies humaines et en budget pour accompagner la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, nous ignorer. Tout effort, que ce soit Cedeao, Ua, Nations Unies, partenaires extérieurs, doit s’appuyer et doit venir appuyer les efforts nationaux et africains. C’est devenu vital’’, a défendu Macky Sall.

Le président sénégalais en a profité pour prôner plus d’interventionnisme des mécanismes onusiens et ringardiser la philosophie du maintien de la paix au Sahel et dans le bassin du lac Tchad. ‘‘Nous devons imposer la paix par tous les moyens, y compris par des moyens militaires. Il s’agit de mobiliser les efforts, les énergies, les hommes, la coordination pour ramener la paix au Sahel et en Afrique’’.

Endettement et évasion fiscale, les autres grands chantiers

Le président sénégalais est afro-optimiste, pour dire le moins. ‘‘Nous pouvons noter, avec satisfaction, le progrès important que l’Afrique est en train de mener dans sa marche vers le développement et vers l’émergence. C’est cela la réalité !’’, a-t-il clamé, malgré les préjugés à son désavantage.

Et pour l’autre grande problématique de ce forum, le développement durable, Macky Sall s’est également montré clair sur sa vision de la dette et exigeant envers le Fonds monétaire international. ‘‘Il faut s’endetter pour se développer. Evidemment, il faut de la bonne dette. Mais pour ce faire, nous sommes handicapés par la classification et la notation qui nous sont faites, considérant que l’Afrique est un continent à risques. Ce qui n’est pas avéré. Ce qui nous impose donc le paiement des primes d’assurance élevées qui renchérissent et le crédit et l’investissement en Afrique. Nous voulons que l’Ua porte ce combat’’, se plaint le chef de l’Etat.

En recevant également ses collègues ivoirien et béninois à la Conférence internationale sur le développement et l’endettement, ce 3 décembre à Diamniadio, à la veille de la Session extraordinaire de l’Uemoa, le président sénégalais et ses homologues avaient demandé aux institutions de Bretton Woods de reconsidérer le plafonnement du taux directeur de l’Uemoa, 3 %, ainsi que la révision des critères de convergence et de notation qui pourraient décourager les investissements étrangers.

Macky Sall, qui est dans la conviction que seul un relèvement de ce plafonnement pourrait rendre utile la dette, s’engage à porter le combat auprès de ses pairs du continent.

‘‘J’ai l’intention de faire une proposition de résolution à l’Union africaine pour que les conditions de la dette soient renégociées, puisque ces décisions, à travers le consensus de Washington, ne sont pas favorables au développement de l’Afrique, ne sont pas favorables à la prospérité du continent. Il faut qu’on redéfinisse de nouvelles règles avec nos partenaires, pour nous permettre, comme tous les autres continents, d’avoir accès à des ressources longue durée qui feront en sorte que la pauvreté sera bannie dans une Afrique qui sera construite et modernisée’’, a-t-il affirmé dans une allocution qui a tiré la salle de sa torpeur.

Macky Sall s’est plaint des poncifs généraux, dès qu’il s’agit de la dette africaine qui en est à 48 % de son Pib, alors que le reste du monde en est à 250 %. Le rapport 2019 de la Banque africaine de développement (Bad) est arrivé au constat que ‘‘si certains pays étaient devenus plus vulnérables du fait de leur dette, on ne peut pas dire que le continent soit exposé à un risque systémique de crise de la dette causée par les emprunts étrangers’’.

Flux financiers

Quant à l’autre problématique de fond, Macky Sall s’est intéressé aux flux financiers qui échappent au continent. ‘‘L’Afrique n’est pas pauvre. Elle a toujours été le réservoir du monde : en minerais, en énergies, en ressources humaines (...) Nous devons faire en sorte que nos ressources naturelles soient rémunérées à leur juste prix. Nous devons agir ensemble au niveau continental pour que l’impôt dû à l’Afrique, dans le cadre des ressources et de la valorisation, soit payé sur le continent’’, a-t-il plaidé. Comme justification, il avance que le montant de l’aide publique au développement est inférieur à celui de l’évasion fiscale.

‘‘Sur l’année 2018, l’Apd, sur l’ensemble du continent, tourne autour de 29,7 milliards de dollars, alors que nous perdons, en évasion fiscale, entre 40 et 80 milliards de dollars. Si la rémunération est faite correctement en Afrique, si on bannit les paradis fiscaux et tout ce qui est évasion, on n’aurait pas besoin d’Apd. Ce combat, nous devons le mener ensemble’’, a-t-il conclu.

FORUM ASSOUAN (ENCADRE)

Déjà-vu, mais impressionnant !

Quelle meilleure manière, pour le président en exercice de l’Union africaine (Ua) d’affirmer son leadership continental sur la scène africaine ? Le président de la République arabe d’Egypte, Abdel Fatah al-Sissi, Président en exercice de l’Ua, a profité du 32e sommet de l’instance continentale pour annoncer le lancement de ce forum qui a pour thème : ‘‘Agenda pour une paix durable, la sécurité et le développement de l’Afrique’’. Sur le principe, le forum est similaire à celui de Dakar, à savoir une plateforme pour les leaders africains et mondiaux, les organisations régionale et internationales, les institutions financières, la société civile, les universitaires et les experts de discuter de l’opérabilité des liens entre paix durable et développement durable.

Sur le format également, ce sont des ateliers sur deux jours qui vont réunir l’intelligentsia en matière sécuritaire.

La rencontre s’est tenue sur les rives sud de la vallée d’Assouan dans une vitrification sécuritaire impressionnante. Elle a accueilli les présidents Idriss Déby Itno, Mahamoudou Issoufou, Macky Sall, Mohamed Abdullahi Mohamed. Seul Cyril Rapmaphosa de l’Afrique du Sud a fait faux bond, tandis que le secrétaire général de l’Onu a livré une allocution par visioconférence.

Les leaders des pays de la Commission du Bassin du lac Tchad (Cblt), Buhari, Idriss Déby et Issoufou ont mis en avant la jonction des forces endogènes, avec le Cameroun, qui a permis la mise sur pied d’une force multinationale mixte (Fmm) spécifiquement dédiée aux opérations militaires contre les groupes terroristes. ‘‘La jonction des forces militaires entre le Cameroun, le Tchad, le Nigeria a permis de défaire l’organisation terroriste Boko Haram’’, a déclaré Idriss Déby.

Constat général de tous ces leaders africains : il faut gagner la bataille de la sécurité pour mener à bien les défis du continent, comme l’Agenda 2063 ou la Zone de libre-échange continentale (Zleca).

OUSMANE LAYE DIOP (ASSOUAN)

 

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