Publié le 15 Jun 2019 - 18:47
MARCHE CONTRE PETRO-TIM

Intifada à Dakar

 

Pendant plus de deux tours d’horloge, hier, le centre-ville de Dakar a été paralysé par les manifestations contre l’octroi de blocs d’hydrocarbures à Petro-Tim. Contre les grenades lacrymogènes, les manifestants se sont battus avec des pierres.

 

Des yeux rougis. Des nez qui coulent. Des visages graves. Ce ne sont pas que les manifestants. Les policiers, aussi, ont beaucoup souffert, hier, lors de la marche interdite d’Aar Linu Bokk. Entre la place de l’Obélisque, Colobane et les Hlm, les dizaines et dizaines d’éléments déployés n’ont pu empêcher les contestataires de transformer le centre-ville de la capitale en un vaste champ de bataille. Une véritable Intifada qui a longtemps indisposé automobilistes et piétons. Pendant ce temps, le commerce tout comme la ville étaient quasiment à l’arrêt.

15 h, aux alentours de la place de l’Obélisque. Les choses démarrent timidement. Quelques dizaines de manifestants défient les policiers, visiblement en position de force. Toutes les rues menant à la place de la Nation sont verrouillées. Face aux menaces, les marcheurs scandent à l’unisson : ‘’Say-say leu ! Say-say leu !…’’ Puis, c’est boom. Comme une bombe. Et tout le monde détale. Mais ce n’est que pour une courte durée. Le temps de reprendre des forces, les manifestants, en majorité des étudiants, reviennent. Les mains vides en l’air, comme pour montrer qu’ils veulent juste s’exprimer de manière pacifique, ils ne cessent de rappeler à leurs ‘’adversaires’’ qu’ils sont des frères. Mais ces derniers - les forces de l’ordre - ne l’entendent pas de cette oreille. Ils n’hésitent pas, dès que le besoin se fait sentir, d’user du stock de grenades lacrymogènes en leur possession. Provoquant syncopes, désarroi et beaucoup de larmes.

Mais malgré les efforts de la police pour les disperser, la détermination reste intacte. Et plus le temps passe, plus le mouvement prend de l’ampleur. Vers 17 h, le centre névralgique se déplace du côté du rond-point Colobane, à quelques jets de la maison du Parti socialiste. Dans ce lieu mythique du commerce à Dakar, les marchandises ont cédé la place aux cailloux et aux grenades lacrymogènes. La bataille aura duré plus de deux tours d’horloge, avec une foule de militants déchainés, déterminés et très enragés. La plupart sont venus en même temps que Barthélemy Dias.

Mais, très vite, ce dernier s’est retiré, laissant derrière lui des jeunes qui, visiblement, semblent bien préparés et maitrisent parfaitement le coin. Ils ont donné du fil à retordre aux policiers qui, par moments, ont été obligés de battre en retraite. C’est un euphémisme.

Pour Malamine Fall, Président de Fleo (Force de lutte des étudiants de l’opposition), ce combat n’est pas le combat des partis politiques, ni des mouvements, c’est le combat de tous les citoyens. ‘’Nous sommes là à nous battre pour nous-mêmes, pour nos enfants. Que les initiateurs soient là ou pas, peu importe. Nous allons mener le combat jusqu’au bout’’. A l’en croire, seul l’éclatement de la justice dans cette affaire pourra calmer les ardeurs.

‘’Cette question, souligne-t-il, est d’intérêt national. Elle est trans-générationnelle. Moi, en tout cas, je ne veux pas, demain, avoir honte devant mes enfants. S’ils me demandent qu’est-ce que vous avez fait pour empêcher Macky Sall et sa famille de s’accaparer notre pétrole, je leur dirai au moins que leur père était là. Il s’est battu du mieux qu’il pouvait et je leur montrerai les preuves. Pour moi, ce combat doit être le combat de tout le peuple. Surtout de ceux qui peinent à joindre les deux bouts. C’est un combat citoyen et tous les Sénégalais devraient se l’approprier’’.

‘’Le scandale du siècle’’

Cheikh Fall, lui, voit dans cette lutte un moyen de rendre l’ascenseur au pays qui lui a tout donné. Il fulmine : ‘’Ces ressources nous appartiennent à nous tous. Macky Sall n’a pas le droit de le donner à son frère. Trop, c’est trop. Nous ne l’accepterons pas, cette fois. Ces gens sont inhumains. Je me demande comment ils peuvent avoir la conscience tranquille. Les policiers doivent savoir qu’ils ne sont pas nos adversaires. Eux-mêmes ont des salaires misérables. Nous sommes des frères. Nous vivons la même galère. Nous devrions être des partenaires, au moins dans ce combat. Ce pays nous a tout donné. Notre devoir est de nous battre pour le maintenir debout.’’

Ameth Boye est maçon. Comme à l’accoutumée, il s’est levé de bonne heure, pour aller à son lieu de travail. Il a tout fait pour terminer tôt et aller marcher, à l’instar de ses camarades. Pour lui, l’affaire Petro-Tim est juste ‘’le scandale du siècle’’. ‘’En donnant le pétrole à son frère, Macky Sall nous a tout simplement sacrifiés. C’est pourquoi nous sommes là pour exprimer notre courroux. Je croyais vraiment qu’on avait dépassé ce stade, au Sénégal. Ils devaient laisser les Sénégalais manifester librement. J’ai vraiment honte de mon pays’’.

Au front, il n’y avait pas que des hommes. Mesdames Ndoye et Wade viennent de Sacré-Cœur. Elles regrettent surtout le fait qu’il n’y ait pas plus de monde. ‘’Moi, dit Mme Ndoye, parfois, je me demande ce qu’il arrive aux Sénégalais. Certains ont vraiment perdu leur capacité d’indignation. On dirait qu’on les a maraboutés. C’est comme si les gens ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. Ce qui est sûr, c’est que si cette forfaiture passe, Macky Sall ne s’arrêtera plus. Nous sommes fatigués. La vie est très dure. Nous l’avons jusque-là supportée. Maintenant que par la grâce de Dieu, on a découvert du pétrole, des groupuscules, qui n’ont aucun mérite, veulent nous spolier. Nous n’allons pas l’accepter’’.

Debout à ses côtés, son amie de renchérir : ‘’Moi, je pense que la prochaine fois, si les manifestations sont interdites, il faut simplement que chacun reste chez soi et brûle des pneus pour qu’on se fasse entendre. Je pense que les Sénégalais ne sont pas sortis nombreux, parce qu’ils ont peur. Et c’est ce que cherchait le régime. Mais moi, je suis fière de moi. Je suis très contente d’être là et je reste là jusqu’au bout’’. Et monsieur ? Elle rétorque, le sourire en coin : ‘’Je suis venue avec lui. Il est de l’autre côté et il se bat.’’

Neuf personnes interpellées, selon des sources policières

Selon des sources policières, il y a 9 personnes interpellées dont Guy Marius Sagna, Aliou Sané, Thiate, le rappeur Simon... Jusqu’au moment où nous mettions ces lignes sous presse, ils étaient en détention au commissariat central.

A noter également que les altercations entre la garde rapprochée d’Ousmane Sonko et les forces de l’ordre ont failli tourner au vinaigre. Un autre leader qui s’est fait distinguer dans la masse, c’est bien Barthélémy Dias qui est venu avec une forte mobilisation. Selon certaines informations, Abdoul Mbaye et Thierno Alassane Sall aussi ont effectué le déplacement.

MOR AMAR

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