Trois jours de rythmes, de couleurs et d’unité à Dagana

Dagana a vécu, du 8 au 10 août derniers, au rythme des tambours, des chants et des danses. Trois jours durant, la ville a renoué avec son rendez-vous culturel désormais incontournable : le Dialawaly Festival, qui en était à sa sixième édition. Initiée par l’artiste Moustapha Naham et portée par l’association Dialawaly, cette manifestation s’impose, année après année, comme une tribune de la diversité culturelle et un levier de fierté identitaire pour les habitants de la vallée du fleuve Sénégal.
La 6e édition du Dialawaly Festival a ouvert ses portes sous un ciel clément, assez doux pour que l’air lui-même semble inviter le Walo à la fête. Dès le premier soir, Dagana s’est transformée en un carrefour de musiques et de sourires, où les habitants et les visiteurs se sont pressés pour célébrer trois jours de rythmes, de couleurs et de partage. Ainsi, après une cérémonie d’ouverture assez chaleureuse au musée Fuddu, place à la véritable explosion de couleurs et de rythmes avec un carnaval dédié aux communautés. Les rues de la ville se sont transformées en une fresque vivante où les communautés du Walo ont raconté, par le corps et le costume, des siècles d’histoire et de brassage.
Les Maures en ‘’meulfeu’’ ont rappelé l’empreinte saharienne. Les Halpulaar, vêtus de boubous ‘’palmane’’, ont porté haut la mémoire pastorale. Les Wolofs ont exhibé leurs bijoux anciens et leurs boubous amples, tandis que les Diolas, perles colorées au cou, ont incarné la richesse des cultures de la Casamance. La parade dans les rues de la ville a été rythmée de percussions tonitruantes, de chants traditionnels du Walo et de danses entraînantes qui ont conquis petits et grands.
Ce carnaval s’est achevé au pied de la statue de Ndatté Yalla, héroïne du Walo et figure féminine de la résistance. Un choix hautement symbolique, rappelant que ce défilé n’est pas seulement un spectacle, mais un acte de mémoire.
La communauté halpulaar à l’honneur
Chaque édition du Dialawaly Festival choisit une communauté comme invitée d’honneur. Cette année, ce sont les Halpulaar qui ont été célébrés. À cet effet, des figures remarquables de cette communauté vivant à Dagana ont été célébrées. Le clou de cette mise en lumière fut sans conteste le concert d’Abou Diouba Deh, légende vivante de la chanson halpulaar. À 60 ans, le fils de Jakré Moori Njaayène, dans le département de Podor, continue d’enchanter les foules avec sa voix singulière et ses textes ancrés dans la mémoire pastorale. Les spectateurs ont suivi chaque note, se laissant porter par la musique. L’apothéose est venue avec la prestation de Thiemedel Kessel, qui a littéralement électrisé la salle.
Jeunes et moins jeunes se sont levés pour danser, ovationner et, selon la coutume, glisser des billets de banque aux pieds de l’artiste, témoignant de leur admiration et de l’énergie contagieuse qui régnait. Une très belle communion intergénérationnelle qui a marqué la fin du spectacle. Le bal a été lancé en début de soirée par Jules Poulo. S’il ne possède pas l’aura légendaire d’Abou Diouba Deh, il a conquis le public par son charme et son talent. À la fois chanteur et danseur accompli, il a su faire vibrer la salle, entraînant chacun dans ses rythmes avec une énergie communicative et un sourire qui illuminait la scène.
L’orchestre Guneyi, maître du rythme et de la fête
Si la musique halpulaar fut à l’honneur, d’autres sonorités ont également enrichi la programmation. L’orchestre Jaguar de Nouakchott, invité de Mauritanie, a illuminé la scène du quartier Gadd Ga, haut lieu maure de Dagana. Entre riffs de guitare, percussions effrénées et danses envoûtantes, le spectacle a rassemblé une foule bigarrée où se mêlaient habitants du cru et visiteurs. Les femmes, parées de leurs plus beaux habits traditionnels, accompagnaient chaque morceau de youyous nourris, donnant au concert des airs de fête populaire. C’était la soirée d’ouverture et elle donnait ainsi le ton de la fête.
Le concert de clôture a été, sans conteste, un des temps forts du festival. Ridial, venu de Louga, a ouvert le spectacle avec une reprise envoûtante de ‘’Massa Thiono’’ de Diogal Sakho. Timide au départ, il a rapidement trouvé son rythme, porté par l’enthousiasme d’un public chaleureux qui l’a applaudi et encouragé à chaque note. Peu à peu, sa musique a envahi la salle et l’artiste s’est transformé sous nos yeux, à l’aise, communicatif, pleinement vivant sur scène. Il est suivi sur la scène par le très prometteur Khalifa Mbodj. Une pépite.
Dès ses premières reprises, mêlant Youssou Ndour et d’autres grands noms, il a imposé son univers et sa touche personnelle. Sa voix particulière, à la fois puissante et nuancée, a fait vibrer les spectateurs, les entraînant dans une danse collective, un rythme partagé. À l’évidence, Khalifa sait comment captiver, faire bouger et transporter un public, transformant chaque morceau en une célébration vivante et festive.
Mais le clou de la soirée est incontestablement revenu à l’orchestre Guneyi. Les frères Diara, maîtres de la scène, ont enflammé la salle dès les premières notes. Quel talent ! Ils ont ouvert avec ‘’Taaru Xool’’, déclenchant immédiatement une vague de danse et d’enthousiasme dans le public. La reprise du titre ‘’Amitié’’ de Youssou Ndour a été particulièrement applaudie, soulignant leur capacité à revisiter les classiques avec brio. Le groupe a ensuite enchaîné avec plusieurs morceaux entraînants, où la complicité entre les musiciens et le public était palpable. Bayla Diara, fidèle à sa réputation d’ambianceur, a su maintenir la ferveur, tandis que les spectateurs chantaient et dansaient aux côtés des artistes.
La soirée s’est conclue sur le morceau très attendu ‘’Crush’’, offrant un bouquet final festif qui a laissé la salle en liesse.
Dagana, capitale culturelle le temps d’un week-end
Un autre temps fort de ce rendez-vous annuel est le « Son au Salon », une initiative lancée cette année. Chaque matin, avant le déjeuner, les artistes se succèdent pour offrir aux invités du festival des moments musicaux intimes et conviviaux. Ils échangent, chantent et improvisent ensemble, pour le plus grand plaisir des festivaliers, qui profitent d’une ambiance chaleureuse et complice, loin de la frénésie de la scène principale.Les rappeurs ont également eu leur temps fort avec un concert dédié le jeudi, offrant au public des performances rythmées et des textes percutants. Ainsi, pendant trois jours, Dagana s’est transformée en capitale culturelle de la vallée du fleuve. L’atmosphère festive, les sons mêlés de percussions et de guitares, les costumes colorés, tout concourait à faire du Dialawaly une expérience exceptionnelle.
Mais au-delà du spectacle, c’est bien la force du vivre-ensemble qui a marqué les esprits. Le Dialawaly Festival rappelle que l’art et la culture sont des lieux de rencontre, de dialogue et d’unité.
Devenu un rendez-vous majeur du calendrier culturel sénégalais, le Dialawaly Festival continue de grandir sans perdre son âme. Fidèle à sa mission première, il s’impose comme un pont entre le passé et l’avenir, entre mémoire et innovation.
Cette sixième édition, consacrée à la communauté halpulaar, aura marqué les esprits par son intensité, sa richesse et sa capacité à fédérer au-delà des appartenances. À Dagana, le temps d’un week-end, les différences ne divisaient pas : elles s’additionnaient pour composer une mosaïque commune.
MAMADOU DIOP