Publié le 19 Mar 2018 - 22:56
MARIE NGONE NDIONE, CHANTEUSE

La musique sérère n’est pas assez promue’’

 

Après Yandé Codou Sène, Marie Ngoné Ndione est l’icône de la musique sérère. Elle est l’une des rares chanteuses de cette ethnie connue du grand public. Son succès fut retentissant, à la fin des années 1990. Mais ensuite, plus rien. On ne l’entend maintenant qu’occasionnellement, même si elle est la directrice de l’Ensemble lyrique traditionnel de la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano. Pour changer la donne, elle va sortir un album, ce samedi, pour signer un retour réussi sur la scène musicale nationale.

 

Parlez-nous de votre nouvel album que vous comptez lancer ce week-end ?

L’album est intitulé ‘’Abohaat’’, qui veut dire, en langue sérère, ‘’soyons solidaire’’ où ‘’entraidons-nous’’. J’ai choisi ce titre pour conscientiser les gens car, de nos jours, ces valeurs ont tendance à disparaitre. Du moment où on est porteur de voix, il est de notre devoir de conscientiser pour un changement de comportement positif. L’album a pris beaucoup de temps, parce que cela fait 10 ans que je n’ai rien mis sur le marché.  C’est n’est pas évident de sortir un album, au Sénégal, surtout quand on ne travaille pas avec un label et les sponsors ne nous soutiennent plus comme avant. Mais là, je rends grâce à Dieu, car il y a des bonnes volontés qui m’ont soutenue pour la réalisation de cet album. Le ministère de la Culture m’a appuyée à travers le Fonds d’aide dédié aux artistes ainsi le ministre des Forces armées Augustin Tine, qui est également maire de ma localité d’origine, Fandène. 

Vous traitez de quoi dans cet opus, de manière générale ?

 C’est un album de 13 titres que je compte mettre sur le marché. Le travail m’a pris deux ans.  Cela a duré autant, parce qu’au début je n’avais aucun soutien. J’essayais de le réaliser avec mes propres moyens. Donc, j’étais obligée d’y aller doucement. C’est par la suite que j’ai eu l’appui de mon ministère de tutelle et du maire de ma commune. Le guitariste Jimmy Mbaye a finalisé l’album. J’ai développé beaucoup de thèmes dans l’opus.  Je parle de problèmes de société, de l’éducation de nos enfants, des conditions des femmes et du sida. Je parle également de l’amour. Celui-là même dont on parle dans la Bible et qui est le socle de la paix, de la joie, de l’unité et de l’entente. Dans les 13 titres, on y retrouve des morceaux avec une composition musicale moderne et d’autres en mode traditionnel. 

Pourquoi êtes-vous restée 10 ans sans sortir d’album ?

Les moyens font défaut. L’inspiration est là, je viens de finir cet album de 13 titres qui peut être l’équivalent de 2 albums. Si je trouve les ressources nécessaires, je pourrais en sortir un autre dans un an. Juste pour dire que ce n’est pas l’inspiration qui fait défaut. Tout le monde sait qu’au Sénégal, les artistes peinent à trouver des producteurs. On peut dire qu’il n’y a qu’une maison de production qui est là et qui ne peut pas signer tous les chanteurs. C’est ce qui fait d’ailleurs que beaucoup de mes collègues ne proposent que des singles. Aujourd’hui, on ne fait plus d’albums pour espérer des recettes dans la vente. On les fait juste pour rester sur la scène musicale. La vente de Cd ne marche plus. Il y a la piraterie qui mine le marché. On investit beaucoup d’argent pour faire un album et on n’y gagne rien à la fin. Si je tiens à sortir ce nouvel album, c’est pour marquer ma présence. Car, avec ma longue absence, certains ont cru que je ne faisais plus de la musique. Je réponds toujours que je ne peux pas arrêter de chanter, car c’est la musique qui me fait vivre. Peut-être qu’ils ne me suivent pas de près, mais je fais de la musique au Théâtre national Daniel Sorano.  Si je suis payée chaque fin du mois, c’est grâce à la musique.

Donc, cela a été difficile pour vous d’en arriver là aujourd’hui ?

Cela a été très difficile, parce que jusqu’à présent je n’ai pas encore tourné les clips. J’espère seulement pouvoir le faire sous peu.

Comment faites-vous pour allier votre carrière solo avec celle menée à Sorano ?

C’est un peu difficile, surtout maintenant que j’ai des responsabilités à la compagnie. Avant, j’étais membre simple de l’Ensemble lyrique traditionnel. Depuis juillet 2016, je suis passée au statut de directrice. Ce qui fait que les choses deviennent difficiles pour moi. Avant, je pouvais signer pas mal de contrats pour aller jouer seule, mais avec mon nouveau statut, c’est presque impossible. Avant de prendre des engagements ailleurs, il me faut demander une autorisation à mon directeur général. Mais, jusque-là, j’arrive à allier les deux, mais j’avoue que ce n’est pas du tout évident.

Comment êtes-vous arrivée à ce stade au sein de Sorano ?  

Une personne doit croire en elle et surtout respecter son travail. Hier (Ndlr, mardi) j’étais en réunion avec les collègues ; je leur ai carrément dit que si je suis directrice, ce n’est pas parce que je suis la meilleure, ni parce que je suis la plus intelligente.  C’est juste que dans chaque entité, il faut qu’il y ait un dirigeant ou une dirigeante. C’est vrai que je respecte mon travail et que je n’accepte jamais qu’on me fasse des reproches sur mon travail, sur des choses que je pouvais facilement éviter. Depuis que je suis à Sorano, je n’ai jamais eu une demande d’explication. Je me respecte et sais me faire respecter. On m’a fait la proposition d’être la directrice de l’Ensemble lyrique traditionnel pendant des mois et je refusais à chaque fois. Je disais toujours à mes supérieurs qu’il y avait des gens qui étaient là bien avant moi. Ils m’ont alors expliqué que les choix n’étaient pas basés sur l’ancienneté des uns et des autres, mais plutôt sur la rigueur dans le travail.

Je me dis tout le temps que professionnellement, pour avancer, il faut respecter son travail et ne pas tricher. Dans ce sens, il faut bien se comporter et être en de bons rapports avec tout le monde. Le jour où la décision de me nommer a été officialisée, j’étais absente. J’étais à Fatick où le président organisait un conseil ministériel. C’est de là-bas qu’on m’a appelée pour me dire que la note de service annonçant ma nomination est affichée. J’étais surprise, parce que je n’avais pas donné mon aval. Quand j’en ai parlé à mes parents, ils m’ont dit que si j’étais certaine d’être à la hauteur des tâches qu’on me confiait, je pouvais accepter. Dans le cas contraire, je n’avais qu’à décliner une fois encore la proposition. J’ai alors accepté et ceux avec qui je travaille sont des gens bien, pas difficiles à diriger. Ce n’est pas évident, tout de même. Il est difficile, de manière générale, de diriger des gens. Quand on occupe certains postes, il faut être assez ouvert et réceptif.

Pourquoi réellement vous ne vouliez pas du poste ?

J’avais peur et je trouvais que c’était de lourdes responsabilités à assumer. Il est difficile de diriger des artistes et ça l’est encore plus quand il s’agit de l’Ensemble lyrique traditionnel de la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano. Ce n’est pas facile. Heureusement, avec l’aide de Dieu, j’y arrive aujourd’hui. On travaille en toute cordialité. En tant que directrice, je m’occupe de la programmation des répétitions, des contrats, des autorisations d’absence, du pointage, etc. La troupe théâtrale à son directeur de même que le ballet la Linguère. Nous tous sommes sous la supervision du directeur général du théâtre Daniel Sorano.

L’Ensemble lyrique ne se produit plus comme avant. Pourquoi ?

Si, pourtant, nous faisons beaucoup de productions. Le problème qu’on a, c’est la médiatisation. On a joué le 8 mars dernier. Vous savez, si on se produisait tous les jours et que ce n’est pas médiatisé, c’est comme si on ne faisait rien. On a animé beaucoup de soirées de gala. L’atelier musical joue beaucoup dans les hôtels.

Comment appréciez-vous le changement de statut de Sorano ?

Je ne peux pas dire que le statut a changé. Je pense qu’il n’est pas encore effectif. Je suis allée en réunion de coordination ce mardi et nous n’avons pas encore reçu le document notifiant le changement de statut. Par conséquent, je ne peux encore me prononcer sur cette question. Nous n’en savons pas grand-chose. Le directeur nous a dit la dernière fois que lui-même n’ayant pas reçu le document confirmant ce changement de statut, il ne peut encore s’avancer sur la question.

Comme appréciez-vous l’évolution de la musique sénégalaise en général et sérère en particulier ?

(Elle hésite) Il m’est difficile de parler de la musique. Je peux dire que les gens font des efforts et de leur mieux pour faire bouger les choses. Concernant la musique sérère, il reste des choses à faire. On ne fait pas la promotion de cette musique. Je l’ai souvent décrié. On ne peut pas aimer quelque chose qu’on ne connaît pas. Quand on nous propose souvent certaines choses à longueur de journée, on finit par aimer. Mais on ne le fait pas pour nous. Il y a énormément de chanteurs sérères, mais on en connaît que très peu.

On est 4 ou 5 à avoir réussi de sortir de l’anonymat. On a également des problèmes de moyens. On a une association des artistes sérères et on échange autour de nos difficultés. On a des artistes talentueux, mais ils manquent de soutien. Certains Sérères ne soutiennent pas assez leurs artistes. Moi, personnellement, tout ce que je peux faire pour aider la jeune génération est de sensibiliser nos parents et faire part de leurs problèmes à chaque fois que j’ai l’occasion de le faire. J’ai duré dans ce métier. J’étais dans un ballet, auparavant. J’ai commencé à chanter depuis le début des années 1980. Donc, j’ai pratiqué ce métier pendant longtemps avant de sortir mon premier album au début des années 1990. J’encourage les plus jeunes et leur dit de ne surtout pas baisser les bras.

Tout le monde sait que vous avez du talent et que vous avez eu un bon début, après la sortie de votre album. Qu’est-ce qui n’a pas marché et qui a fait qu’aujourd’hui vous menez une carrière solo assez timide ?

Ce n’est pas que timide, mais vous savez, quand vous sortez un album et que vous restez 7 ans sans mettre une autre production sur le marché, il est normal que vous perdiez du marché. Je suis dans l’autoproduction et ce n’est pas évident. C’est ce qui explique mes longues absences du marché du disque. Je sais que ce n’est pas lié à un problème de performance. Je suis une bosseuse et j’ai fait beaucoup d’ateliers musicaux. Même après la sortie de mon album, j’allais suivre des cours auprès d’Adolphe Coly et de William Badji. Jusqu’à présent, je ne rechigne pas à apprendre de nouvelles techniques vocales. Je prends tout ce qui me permet de m’améliorer. L’un des problèmes que j’ai également, c’est le fait de manquer d’un bon staff. Il est important d’être bien entouré. Je n’ai jamais travaillé avec une maison de production.

En tant que femme, que pensez-vous du rapt d’enfants au Sénégal ?

Cela m’attriste beaucoup. Je prie tous les jours pour que ceux qui le font changent et deviennent des gens bien. Le viol laisse des séquelles à vie. Kidnapper des enfants, les tuer pour des biens matériels est affreux. Il faut se suffire de ce que l’on a. Mais quand on a trop de prétentions sans les moyens honnêtes d’y parvenir, on peut verser dans des atrocités. Les gens me disent souvent que je ne vieillis pas. C’est parce que je n’accepte pas de stresser pour certaines choses. Je crois fortement que tout ce que je dois avoir sur terre, je l’aurai avant de mourir, si Dieu le veut bien.  

HABIBATOU WAGNE

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