Publié le 19 Dec 2019 - 04:28
MARTIN FAYE, JOURNALISTE FORMATEUR

‘’La presse est aux mains ou manipulée par les pouvoirs de l’argent’’

 

Un cours magistral sur la grammaire journalistique. Cette interview avec le journaliste et formateur Martin Faye en a les allures. Il rappelle les fondamentaux de la profession qui semblent être oubliés par beaucoup, aujourd’hui. Ce qui est grave. Certaines maladresses sont érigées en règle d’or. Il est temps de dire non et d’alerter sur la gravité de certaines pratiques, selon M. Faye rencontré à Saint-Louis où il animait un atelier de formation en journalisme culturel initié par l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif).

 

Cela fait longtemps qu’on ne vous voit pas dans la sphère médiatique sénégalaise. Où vous cachez-vous ?

J’ai ma base au Mali, à Bamako, précisément à la Maison de la presse. J’y représente la fondation Hirondelle comme je la représente également en Guinée. Au Mali, je dirige le projet studio Tamani qui est un programme radiophonique en cinq langues. Il est diffusé quotidiennement par un réseau de 75 radios communautaires réparties sur l’ensemble du territoire malien. Voilà mes activités d’aujourd’hui !

Vous étiez en Centrafrique. Aujourd’hui au Mali et en Guinée. Que faites-vous spécifiquement pour qu’on requière votre expertise dans ces pays ?

Cela m’amène à parler un peu de la fondation Hirondelle. C’est une Ong qui s’est spécialisée dans l’accompagnement des médias dans des situations de conflit et post-conflit. J’ajoute : Etat fragile. C’est ce qui m’a amené à travailler d’abord en Centrafrique, à Bangui, pendant à peu près sept ans. J’ai fait quelques mois à Kinshasa aussi, à radio Okapi. Pour les autres pays, malheureusement, les zones de conflit se sont déplacées en Afrique de l’Ouest. En Guinée, malheureusement, il y a une distension de la cohésion sociale. Pour le Mali, le pays est en crise depuis 2012. Il ne faut pas souhaiter que la fondation Hirondelle débarque dans un pays, parce que cela signifie qu’il y a quelque chose qui ne va vraiment pas. Je suis dans cette problématique, à savoir que les radios telle la langue d’Esope sont capables du meilleur comme du pire. Nous voulons, dans un contexte de conflit, de crise, amener les radios à être des sapeurs-pompiers, éteindre le feu d’abord, viser l’apaisement, rassurer les populations. Elles peuvent faire de la prévention pour que les germes de conflit, les signes avant-coureurs du conflit qui sont présents dans toutes les sociétés ne provoquent pas une explosion en violence directe.

Voilà les problématiques sur lesquels je travaille avec la fondation Hirondelle. Il y a deux volets qui concernent la diffusion et la production de programmes. Il y a également l’encadrement qui sous-entend des formations. Je fais beaucoup de formation de journalistes sur le terrain, mes terres de travail.

Eu égard à votre expérience, comment des journalistes ou des médias peuvent déclencher des conflits dans un pays ou entre des pays ?

Malheureusement, cela arrive beaucoup plus souvent qu’on ne le pense. Un dérapage, une maladresse, un mot mal placé ou mal compris peuvent envenimer une situation. Il suffit juste qu’un journaliste prenne position par exemple ou s’attaque à un camp, montre qu’il est partie prenante en soutenant un camp plus qu’un autre ; qu’un journaliste donne la parole à un va-t-en-guerre au lieu de quelqu’un qui est plus conciliant, plus souple. Tout cela conduit à l’embrasement d’une situation et les exemples sont malheureusement nombreux.

Le Sénégal est un pays relativement stable. Mais on constate que dans les médias, la violence verbale est presque omniprésente. Pensez-vous qu’il est temps de dire attention, ce qui se passe ailleurs peut se passer chez nous ?

Il est grand temps, aujourd’hui, de dire attention et je crois qu’on aurait dû alerter depuis longtemps. Malheureusement, il y a des pratiques assez désastreuses qui ne répondent pas à l’éthique et à la déontologie journalistiques. On constate, de plus en plus, que la presse est manipulée, qu’elle verse dans la propagande : la presse est aux mains ou manipulée par les pouvoirs de l’argent. De plus en plus, il y a la corruption qui fait que le traitement de l’information n’est plus aux normes journalistiques, c’est-à-dire une information vérifiée, juste, non partisane et équilibrée. Tous ces paramètres, hélas, ne sont pas respectés. On a, de plus en plus, affaire à une presse de soupçon, de dénonciation. Une presse qui verse dans ce que l’on voit comme répandre des rumeurs, alors que le rôle de la presse est de combattre les rumeurs.

A votre avis, comment en sommes-nous arrivés-là ?

Il y a plusieurs éléments explicatifs, mais je vous en citerai deux qui me paraissent importants. Il y a, d’abord, l’explosion constatée dans le paysage médiatique. Il y a de plus en plus de journaux qui sont créés, la libéralisation des ondes, avec l’avènement des radios privées et communautaires. Cela a fait que le personnel dans les médias a été multiplié. Il y a beaucoup de journalistes, aujourd’hui. La formation de base solide, nécessaire à un bon apprentissage du métier, n’a pas suivi. Beaucoup de journalistes ont été peu formés ou ne l’ont pas été du tout.

Ils ont appris le métier sur le tas et avec les maladresses qu’il faut éviter et ils pensent malheureusement que ce sont ces dernières qui sont les règles du métier. Ensuite, il y a les conditions dans lesquelles on exerce aujourd’hui la profession de journaliste. Je caricature un peu, mais on fait face à des situations où le journaliste n’est pas payé ou mal payé. On en arrive à des situations, c’est là où je caricature, où on leur dit : Payez-vous sur la bête ! La personne vous confie sa rédaction, vous faites le journal, vous allez en reportage et elle vous dit : ‘’Je ne veux rien savoir, ce que vous gagnez sur le terrain vous revient. En revanche, moi, je ne vous donne pas de salaire.’’ Là, on se vend, bien sûr, au plus offrant. L’information est manipulée, dirigée. Quand l’argent entre dans une rédaction, les règles journalistiques en sortent.

Que dire de la course au scoop ?

Cela pose problème et revient à ce que je disais. Il faut revenir à la grammaire journalistique. La course au scoop est une conséquence de la concurrence, de la rivalité entre les différents médias. Les journalistes ont, au moins, appris une chose : ce que vous ne dites pas aujourd’hui, le média voisin et concurrent va le dire et vous serez discrédité. Cela entraine la course au scoop. Ainsi, on fait moins attention à la véracité des informations, parce qu’on veut être les premiers à les donner. On voit souvent un média donner une information pour la démentir elle-même la minute d’après. Dans le feu de l’action, les journalistes n’ont pas vérifié, ne sont pas allés auprès des sources, etc. La règle, c’est d’aller auprès de trois sources au moins pour vérifier une information.

Les dérives, on les note également dans la revue de presse. Vous avez été revuiste de presse. Quel sentiment vous anime, en écoutant certains de ceux qui font la revue de presse ?

C’est difficile à dire. J’ai connu une forme de revue de presse. Cette dernière est-elle désuète ou a-t-elle évolué pour donner naissance à ce que l’on constate aujourd’hui ? Je ne veux pas être méchant ou nostalgique, mais ce que l’on constate aujourd’hui est une parodie de revue de presse. Elle est théâtralisée. On y reprend beaucoup plus les idées que les informations. On en rajoute un peu pour accrocher les gens. On commente même des fois. La revue de presse, c’est déjà le commentaire des confrères. Je me pose beaucoup de questions. Parfois, je me demande si je suis journaliste, et quand je vois beaucoup de pratiques que je n’aie pas connues et que probablement je ne saurais pas répéter.

Certains imputent la faute à quelques anciens ou doyens qui ont déserté beaucoup trop tôt les rédactions. Avez-vous le même sentiment ?

J’ai ce sentiment aussi, mais il faut dire, à la décharge de ces anciens-là, que malheureusement, dans ce métier, plus on a de responsabilités, moins on fait du terrain. C’est une tendance qui nous guette et beaucoup se laisse aller. Quand vous êtes rédacteur en chef, par exemple, vous êtes absorbé par les tâches de gestion et d’administration de la rédaction. Vous êtes absorbé par ce qu’on appelle la ‘’réunionite’’, réunion avec la direction. On ne vous entend plus présenter le journal parce que vous n’en avez pas le temps. Vous passez votre temps à animer une conférence de rédaction, à donner des  directives, des sujets, à veiller à ce que toutes les tâches quotidiennes soient exécutées. Cela vous éloigne du terrain journalistique. Je ne le dis pas pour excuser ces anciens. Aussi, beaucoup d’entre eux ne se reconnaissant plus dans le vécu actuel du journalisme, préfèrent rester à l’écart.

Vous avez été journaliste à une époque où l’Etat avait un certain regard sur le contenu des médias. Il arrivait même que le président Senghor intervienne. Vous ne pensez pas que l’Etat devrait reprendre les choses en main et tenter de réguler un tant soit peu ?

Je suis d’accord pour que l’Etat mette de l’ordre dans la profession. Il faut qu’on identifie clairement qui est journaliste et à quelle condition on peut prétendre avoir une carte nationale de presse. On est d’accord qu’il y a les instances de régulation, le ministère de la Communication ainsi que les associations professionnelles de journalistes qui devraient s’occuper de cela. Je ne suis pas d’accord pour que l’Etat interfère sur le travail des journalistes. Je pense que ce sont les journalistes eux-mêmes qui doivent se faire un point d’honneur à respecter les règles. On ne rend pas toujours compte quand il faut dire à un journaliste ce qu’il doit faire et comment le faire. J’ai toujours eu une urticaire sur ces questions-là, même si quelque part c’est ce que j’ai vécu du temps du monopole de Radio Sénégal. Cela montre aussi qu’il y a des bastilles à prendre pour des journalistes, des combats à mener, des batailles qu’il faut gagner pour que la profession de journaliste retrouve toute sa dignité.

Le Code de la presse pourrait régler certaines de ces questions, mais les décrets d’application tardent.

La balle est dans le camp des autorités. Pourquoi hésitent-elles à aller de l’avant ? Pourquoi ne veulent-elles pas franchir le Rubicond ? Les associations de journalistes ne demandent que l’assainissement de cette profession et sortir le pouvoir de l’argent de l’exercice de la profession de journaliste, mais qu’également les journalistes puissent vivre dignement de leur métier et éviter les tentations dans lesquelles beaucoup de confrères tombent.

De plus en plus d’hommes politiques deviennent des patrons de presse. Cela est-il dangereux pour la stabilité d’un pays ?

Oui, je le crois. Il ne faut pas se faire d’illusions. Quel que soit le média, il a une ligne politique. Un média a toujours des propriétaires, des investisseurs. Ces derniers veulent, en général, un retour sur investissement. Un média est forcément au service d’une cause. Il a forcément une ligne éditoriale qui peut être acceptable ou non. Il y a des gens qui mettent leurs médias au service d’un parti politique ou d’un pouvoir. Ce sont des choix à faire et les journalistes sont écartelés entre leur indépendance, la liberté et les règles éditoriales que chaque média peut édicter dans sa rédaction.

On est dans un continent guetté par différents conflits, mais également par les attaques terroristes. Le Sénégal n’en a pas encore connu. Mais, à votre avis, quelles sont les meilleures attitudes à adopter dans ces cas, en tant que journaliste ?

Je dirais juste qu’il faut se rappeler d’une règle de notre profession qui est la responsabilité sociale du journaliste. Nous sommes quelque part responsables ou garants de la paix sociale. Cette paix sociale, nous pouvons la bouleverser si nous le voulons et ce n’est pas responsable. J’invite tout le monde, y compris moi-même, à exercer cette profession en toute responsabilité. Etre responsable est le maitre mot. Etre journaliste ne permet pas de faire tout ou de dire tout. Il y a la responsabilité.

BIGUE BOB

 

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