Publié le 21 Sep 2017 - 21:37
MOUSSA CISSOKHO SUR LE DOSSIER DU JOOLA, 15 ANS APRES !

‘’Les blocages se situent au niveau du président de la République’’

 

‘’ Passer 2 000 victimes par pertes et profits, c’est insulter la conscience collective’’

Le président de l’Association des Familles des Victimes du Naufrage du bateau le Joola estime que beaucoup restent à faire quant à la prise en charge des revendications des familles des victimes de la catastrophe maritime survenue le 26 septembre 2002 aux larges des côtes gambiennes. Selon lui, les contraintes à la prise en charge des préoccupations des familles des victimes se situent à plusieurs niveaux, notamment, celui du président de la République qui pourtant connaît bien le dossier et a pris des engagements fermes, lors d’une rencontre. Les familles attendent leur matérialisation, même si des choses sont en train d’être faites, comme le mémorial-musée.

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PROPOS RECUEILLIS PAR HUBERT SAGNA (CORRESPONDANT, ZIGUINCHOR)

Ce 26 septembre sera célébré le 15ème anniversaire du naufrage du bateau le Joola qui a sombré aux larges des côtes gambiennes. Quinze (15) ans de commémoration mais également 15 ans de revendications. Que reste-t-il du dossier du Joola ?

Il reste beaucoup à faire. Entre autres, nous pouvons citer le renflouement du navire.

Vous y tenez encore ?

Absolument ! Absolument ! Il s’agit là d’une revendication collective des familles des victimes sénégalaises et européennes. Egalement, il y a la revendication liée à la prise en charge des Pupilles de la Nation relativement à la loi qui a été votée en 2006 et qui a un caractère rétroactif, à partir de 2002. Malheureusement, au démarrage de la prise en charge en 2012, nombreux sont les orphelins qui ont été laissés en rade, parce que, dit-on, ayant atteint l’âge de la majorité. Cela est une injustice qu’il faut réparer, parce que nous estimons que la loi est au-dessus de tout décret. Nous demandons donc à ce que l’Etat respecte la hiérarchie des normes juridiques. Ces orphelins-là ne sont en rien responsables de ce qui leur est arrivé. La responsabilité pleine et entière incombe à l’Etat. Au-delà de cela, nous avons demandé à ce qu’il y ait une commission Justice et Vérité sur le Joola ; que toute la lumière soit faite ; parce que nous ne pouvons pas comprendre qu’il y ait 2 000 morts dans un tel naufrage et qu’il y ait impunité. C’est comme si on veut passer cela par pertes et profits. 

Véritablement, cela va être la plus grande injustice à travers le monde. Nous avons vécu des drames à travers le monde. La justice a eu à sanctionner les responsables. Mais sur le Joola, véritablement, il n’y a aucune sanction. Seulement, des sanctions administratives pour certains responsables, des simulacres de sanctions, parce qu’après, ils ont été promus ailleurs. C’est une revendication des familles des victimes. Il faut que la lumière soit faite sur le Joola. Il s’ajoute également l’entretien des cimetières. Vous n’êtes pas sans savoir que seuls les cimetières de Kantène à la périphérie de Ziguinchor et de Mbao à Dakar bénéficient du soutien des collectivités locales. Les cimetières de Kabadio et de Bassory en Gambie sont laissés à eux-mêmes. J’estime que ce n’est pas décent, ce n’est pas respecter la mémoire de nos chers disparus. C’est pourquoi nous demandons à ce que ce soutien soit étendu à ces cimetières-là.

Parmi vos revendications, il y a aussi la question de la prise en charge psycho-sociale des familles des victimes. Où en êtes-vous avec ce dossier ?

Vous n’êtes pas sans savoir que beaucoup de familles sont traumatisées et développent des réactions à retardement qui peuvent prendre des dizaines et des dizaines d’années. C’est pourquoi nous avons demandé la création d’un centre psycho-social pour accompagner les familles.

Justement, le Mémorial-Musée devrait prendre en charge cette question ?

Absolument ! Nous avons prévu la mise en place de ce centre. Un centre de prévention des risques et des catastrophes. Mais toujours est-il qu’il faut revenir sur tout cela, tant que le projet n’est pas effectif. Il y a aussi la promotion socio-économique des familles des victimes. Parce que ces familles-là, les femmes notamment, se sont constituées en GIE. Nous avons demandé en son temps, à ce que ces dernières s’occupent du nettoiement du navire Aline Sitoé. C’est chose faite, mais il reste pour Aguène et Diambone, mais également la gare maritime. Nous croyons qu’elles sont mieux indiquées pour l’entretien de ces joyaux, ces lieux qui sont un symbole pour les familles. C’est comme si elles entretiennent leurs chambres et demeures de leurs parents disparus. Nous avons demandé aussi l’octroi d’un siège national pour l’association. Cela s’impose.

Revenons au Mémorial-Musée ; le ministre de la Culture avait tenu un Comité régional de développement (CRD) consacré à ce projet cher aux familles. Mais depuis, rien ?

Le processus continue. Pratiquement, nous recevons presque chaque mois voire deux une délégation du ministre de la Culture (la commission en charge de ce projet). Nous sommes à la phase terminale. L’appel d’offres a été lancé. C’est Eiffage qui a gagné ce marché qui avoisine 10 milliards de francs CFA. Nous nous acheminons vers la pose de la 1ère pierre. En l’espèce, nous sommes très rassurés, parce que le dossier avance. L’Etat a consenti des efforts extraordinaires par le biais du ministère de la Culture, Mbagnick Ndiaye, que nous saluons et remercions au passage par rapport à son engagement, sa détermination à la réalisation de ce projet cher aux familles des victimes.

Il est vrai qu’aujourd’hui, il n’est plus ministre de la Culture. Mais nous ne croyons pas que son successeur, le journaliste Abdou Latif Coulibaly, ne viendra pas pour retarder ce projet. L’Etat est une continuité. Il doit pouvoir accélérer la cadence pour qu’on ne parle plus de cette doléance. Nous osons croire que c’est quelqu’un qui connaît bien ce dossier. Par conséquent, nous sommes d’avance rassurés. Il existe un point focal au ministère qui s’occupe de ce dossier. Nous organisons des séances de travail périodiques.

Ou se trouvent le blocage, les contraintes en ce qui concerne les autres points de votre plateforme revendicative ? Avez-vous saisi les autorités compétentes et le président de la République ?

Les blocages se situent surtout au niveau du président de la République. Lors de son passage à Ziguinchor, dans le cadre du Conseil ministériel délocalisé, il nous a reçus et véritablement, nous avons posé l’ensemble des revendications. Il a beaucoup apprécié. Il nous a donné beaucoup d’espoir, mais jusque-là, les choses traînent, tardent à se concrétiser ; même si quelque part, on voit des bribes de solutions. Ce qui était important, c’était de recevoir encore les familles des victimes pour qu’ensemble nous puissions établir le bilan à mi-parcours. Et ce qui est dommage dans tout cela, nous avons adressé une correspondance au Premier ministre.

Cela fait 05 à 06 mois. Il avait répondu favorablement pour nous dire qu’il nous met en relation avec son staff afin de convenir d’une rencontre. Depuis lors, c’est l’omerta. C’est comme si, véritablement, les autorités ne veulent pas satisfaire les revendications des familles des victimes. Nous déplorons cette attitude. Quand on ne peut pas recevoir quelqu’un, autant le lui dire. Mais promettre et ne pas le faire, ce n’est pas respectueux. Les familles des victimes décrient ce comportement. Nous estimons que si nous rencontrons le Président ou le Premier ministre, beaucoup de choses vont évoluer, surtout que le Président connaît bien ce dossier.

C’est vrai ! Il a été Premier ministre ?

Non seulement Premier ministre, mais, quand il était ministre des Mines, c’était au moment du naufrage. Il était la seule autorité à prendre son véhicule pour le remettre au Collectif. Je crois qu’il était très sensible par rapport à cela et quand il était ministre de l’Intérieur, il nous a reçus, parce qu’il ne maîtrisait pas trop ce dossier. Lors de cette rencontre, il a été très sensible. Il a fait des gestes formidables allant dans le sens de montrer sa bonne volonté à conduire ce dossier avec diligence. Egalement, lorsqu’il a été nommé Premier ministre, il nous a reçus, sur instruction du président de la République, lors d’un conseil interministériel consacré exclusivement à ce dossier.  

C’est quelqu’un qui est véritablement au parfum, il n’est pas novice dans ce dossier. Son calendrier semble chargé, mais n’empêche, il peut donner des instructions pour que le dossier soit diligenté. Autre chose qui nous semble importante, lors du 14ème anniversaire, nous avons demandé à ce l’Assemblée Nationale de voter une loi qui déclare le 26 septembre journée des « Patriotes », pour permettre aux Sénégalais de se souvenir. Une manière de lutter contre l’oubli.

Que le président demande ce jour, à partir de 09 heures, que les drapeaux soient mis en berne et appelle toute la nation à observer une minute de silence. Mais très sincèrement, c’est la déception totale (sourires) parce que, lors de la 12ème Législature, aucune proposition de loi n’a été déposée dans ce sens. C’est comme si les députés-là sont mus par d’autres intérêts que ceux du peuple. On ne peut pas vivre une telle catastrophe maritime – la plus importante au monde – et que, véritablement, personne d’entre eux ne lève le petit doigt pour faire cette proposition. C’est décevant de nos parlementaires. Heureusement, ils ont tous été changés (sourires).

Qu’est-ce vous avez prévu pour ce 15ème anniversaire ?

 Nous estimons qu’au-delà du Joola, la route a beaucoup tué et continue de tuer, fruit de l’indiscipline, fruit de l’insouciance, fruit de la cupidité. Nous allons mettre l’accent sur la Tolérance Zéro par rapport aux accidents. Les voitures tuent, les « Jakarta » tuent et les responsables vaquent tranquillement à leurs occupations. C’est comme si la vie humaine n’a aucune signification, aucune importance. C’est un crime que de tuer une personne. De l’autre côté, par rapport aux crimes financiers, on prend des gens parce qu’ils ont volé de l’argent, on les emprisonne avec tout le bruit qui sied. Nous allons interpeller l’Etat pour qu’il n’y ait plus de tolérance par rapport aux accidents de la circulation, surtout les accidents mortels. Il faudrait que l’autorité s’impose pour éviter les accidents.

Nous devons jouer un rôle de veille et d’alerte. Autre chose, nous saluons les efforts fournis par le ministère de l’Economie maritime. Véritablement, il a eu à faire beaucoup de choses, le dragage du fleuve Casamance, le projet d’extension du port de Ziguinchor, avec l’arrivée aussi des navires Aguène et Diambone et d’autres de frets, la réduction du prix du transport etc… Tout cela est à saluer, à encourager. Mais nous allons demander d’autres bateaux, la demande étant supérieure à l’offre, pour éviter d’autres catastrophes et permettre le désenclavement maritime de la Casamance. Nous demanderons à ce que le projet de train Dakar-Tamba-Ziguinchor soit réalisé. Le TER, nous ne sommes pas contre. Mais nous estimons qu’en termes de priorité et de rentabilité, ce projet est prioritaire.

Un mot à l’endroit des familles françaises, belges et hollandaises dont certaines font, chaque année, le déplacement à Ziguinchor ?

Nous n’allons pas baisser les bras. Nous allons poursuivre ce dossier au niveau des juridictions internationales.  C’est possible. Un avocat est disponible pour nous accompagner dans cette lutte. Il s’agit, je crois, de Me Assane Dioma Ndiaye. Les familles vont le rencontrer pour discuter de la faisabilité d’une telle procédure. Dans ce dossier, il y a impunité. Passer 2 000 victimes par pertes et profits, c’est insulter la conscience collective. Le combat continue. Il va se faire au plan international en rapport avec les familles belges, hollandaises et françaises qui seront présentes, lors de cette commémoration. Je profite de l’occasion pour dire aux familles sénégalaises de continuer à y croire. L’Etat a toujours tendance à faire oublier le Joola. Mais nous, nous ne pouvons pas oublier. Il existe une tentative d’intoxication, de découragement et de banalisation.

Nous tenons bon. Ce qui est certain, nous aurons le résultat au bout du compte. Et comme on le dit, le résultat du combat est au bout du combat. Aujourd’hui, nous sommes rassurés. Ces orphelins qui étaient mineurs au lendemain du naufrage sont devenus majeurs. Certains ont leurs masters, d’autres préparent leurs doctorats. La relève se prépare naturellement. Demain, ils prendront la relève pour poursuivre le combat. Et ce combat contre l’Etat sera rude. Quand on observe leurs réactions, lorsqu’ils étaient enfants, on comprend aisément qu’ils ne pardonneront jamais à l’Etat. D’ailleurs, ils commencent à se mobiliser. Ils se constituent en association des orphelins. Nous sommes sûrs que nous arriverons au bout de notre combat.

Un dernier mot sur l’organisation du 15ème anniversaire ?

Ce que nous demandons, c’est que tout le monde se mobilise, parce que ce qui est arrivé peut arriver à tout le monde. C’est une question d’intérêt et de sursaut national. Toutes les couches de la nation ont été touchées par le naufrage. Il faudrait donc que les populations se mobilisent davantage pour que ce jour soit un jour de souvenir, de prière et de recueillement. C’est la meilleure manière de lutter contre l’oubli.

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