Publié le 10 Oct 2018 - 21:40
PERSECUTION OU PARANOIA

Sonko sur la sellette

 

L’ouragan Ousmane Sonko surfe sur les vagues de la vie politico-médiatique depuis quelques semaines. Emportant toute l’opposition, il donne du tournis aux gens du pouvoir, mais bute parfois dans l’excès de victimisation.

 

Les patriotes sont-ils si paranoïaques ou juste méfiants ? Le régime est-il aussi barbare ou simplement a-t-il bon dos ? Coupables parfaits à tous les coups, même les plus ignobles, Macky Sall et ses thuriféraires, en plus des nombreuses accusations ‘’de scandale, de malversation, de corruption, de gabegie et de féodalisation de la justice’’, font face, ces derniers jours, à un tout nouveau front, encore imposé par le jeune parti d’Ousmane Sonko, Pastef. Il s’agit de la bataille de l’opinion autour de la mort de leur responsable à Keur Massar, Mariama Sagna.

Crime politique ou crapuleux ? Chacun y va de son commentaire. Ousmane Sonko : ‘’Nous demandons aux autorités d’élucider les circonstances et le mobile de ce crime odieux et inqualifiable. A tous les patriotes, nous appelons à plus de vigilance et de précautions.’’ Dans le discours de la nouvelle coqueluche du landerneau politique, trois maitres-mots : vigilance, précaution, mobile du crime. Ce dernier terme revient d’ailleurs avec insistance dans toutes les sorties des patriotes, depuis la mort de leur sœur. Militants et avocats n’ont de cesse réclamé la clarification des raisons qui ont conduit à la mort de Mariama Sagna. Poussant les gens du régime à monter au créneau pour dégager toute responsabilité dans cette affaire. Sur les ondes de  la Rfm, le chef de cabinet politique du chef de l’Etat, Moustapha Diakhaté, se défend : ‘’Il ne faut surtout pas tomber dans les insinuations visant à faire croire que ce crime a des relents politiques…’’

Mais le mal semblait avoir déjà été fait. Même si les responsables de premier plan de Pastef se sont gardés jusque-là d’accuser ouvertement le régime, les suspicions ne manquent pas. Aussi bien du côté des militants que des avocats. Et dans les réseaux sociaux, la guerre fait rage entre Pro-Macky et Pro-Sonko. Les seconds accusant directement les premiers d’être responsables de la mort de leur responsable. Les autres taxant leurs adversaires d’être de fieffés menteurs et manipulateurs.

6e aux dernières élections, comment le Pastef en est-il arrivé là ?

Et la guerre est loin de s’estomper. L’affaire Mariama Sagna renforcera, à coup sûr, et pendant longtemps, la bipolarisation de l’espace médiatique par la majorité et l’une de ses oppositions les plus irréductibles du moment. Ce, malgré les précisions des autorités judiciaires sur le meurtre de la responsable de Pastef à Keur Massar. (Lire en page 2 la sortie, hier, du procureur près le tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye)

Sixième force politique du pays avec seulement un député (37 535 voix), si l’on se fie aux dernières élections législatives de 2017, Pastef a pu se hisser au sommet de l’espace médiatique en un laps de temps, en damant le pion à nombre de ses concurrents de l’opposition. Cette montée en puissance a plusieurs facteurs explicatifs, si l’on en croit le politologue Yoro Dia. Les déboires des libéraux et de Khalifa Sall, l’immaturité des responsables de l’Apr, une stratégie de communication très huilée. Tout y passe. Le spécialiste précise : ‘’La démocratie génère toujours des contre-pouvoirs, elle génère toujours une opposition. Et puis, la nature a horreur du vide. Karim Wade invalidé, Khalifa Sall invalidé, Idrissa Seck étant dans une cure de silence, comme disait ‘Walf’, Sonko en profite.’’ Mais ce n’est pas tout.

En effet, outre les malheurs de Khalifa et Karim, Pastef doit surtout une fière chandelle aux gens du régime. Yoro Dia : ‘’Le moteur de la popularité de Sonko, c’est l’intolérance des gens de l’Alliance pour la République (Apr). Par exemple, il fait un livre pour parler de son projet de société. On n’a pas besoin de lui répondre par des invectives, des déclarations intempestives et des textes qui ne sont pas fouillés. Nous sommes quand même dans une démocratie. Les solutions étant relatives dans le domaine de la politique et de la gouvernance, il fallait lui répondre avec des arguments, par un livre s’il le faut. Mais plus les gens vont l’attaquer, plus il va se victimiser et plus il va gagner en popularité.’’

Par ailleurs, le politologue ajoute qu’au-delà de ces facteurs exogènes, il y a aussi les propres aptitudes du chef des patriotes qui lui ont permis d’arriver au stade où il se trouve. ‘’Il a, précise Yoro, une très bonne stratégie, si l’on se fie aux résultats. Il a réussi à éclipser tout le monde. Il est devenu une sorte de tête de turc de la majorité. De telle sorte qu’aujourd’hui, quand on est de la mouvance présidentielle, il est de bon aloi de s’en prendre à Sonko pour montrer qu’on travaille’’. Ainsi, le fonctionnaire radié impose son rythme. Et tout le monde ou presque passe à la trappe. Et le clivage Apr-Pastef se renforce. L’espace médiatique se bipolarise. Légitimant chaque jour davantage la candidature, à la présidentielle de 2019, du fonctionnaire limogé de l’Administration. Sonko est ainsi devenu un ‘’monstre’’ dans le champ politique sénégalais. Il mange toute l’opposition.

Les grands perdants

Parfois virulent, parfois téméraire, souvent pertinent et bien documenté, le leader de Pastef ne semble reculer devant rien. Ses sujets de prédilection, c’est moins Khalifa Sall, Karim Wade et Cie. Lui s’attaque surtout aux sujets qui fâchent : coût du Train express régional, salaires des députés, Ape, mauvaise gouvernance, lutte contre la corruption, fiscalité… Sans oublier le pétrole qui l’a révélé au grand public et entrainé son limogeage de la Fonction publique. C’était le début de ce qui pourrait être considéré par certains comme de la persécution. Sonko est radié suite à ses sorties virulentes à l’endroit du régime. Et depuis lors, rien ne l’arrête. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette stratégie fonctionne comme sur des roulettes. Le journaliste Jean Meissa Diop affirme : ‘’Cette stratégie, qui met l’accent sur les scandales du régime et qui consiste à créer la suspicion autour du leader, fonctionne à merveille. Ça lui a permis de réduire au silence les opposants qui tenaient le haut du pavé et à faire le vide autour de lui. Je pense à Idrissa Seck et à Rewmi, par exemple.’’

En tout cas, dans le champ médiatique, il n’y en a presque plus que pour Pastef, Apr…  Ousmane Sonko, Macky Sall… Quand, par exception, on parle du Parti démocratique sénégalais, deuxième force politique aux dernières élections législatives avec ses alliés, c’est pour mettre en exergue les divergences qui le tuent à petit feu. Pour Idrissa Seck et le Rewmi, c’est surtout pour pointer du doigt leur absence récurrente de l’arène depuis la polémique Bacca…. Taxawu Dakar, Pur, Grand parti et les autres, eux, ne font irruption dans la une des journaux que de manière sporadique. Si ce n’est pour les déboires judiciaires de Khalifa Ababacar Sall en ce qui concerne Taxawu Dakar.

Pour Yoro Dia, on peut bel et bien parler de phénomène Sonko. A moins de  quatre mois de la présidentielle de février 2019, il n’en demandait certainement pas plus. ‘’C’est du pain béni pour lui. Le fait d’être considéré comme tête de turc va jouer en sa faveur. Le propre de la bipolarisation, c’est que celui qui incarne la bipolarisation va récolter tout le vote antipathique. Sonko risque ainsi d’être le réceptacle de tous les gens qui ne veulent pas voter pour Macky Sall’’, analyse Yoro Dia.

La psychose

Au-delà de ces aspects, à Pastef, la psychose du complot gagne de plus en plus du terrain. Ousmane Sonko et ses amis, à tort ou à raison, voient le danger un peu partout. Quelques heures seulement avant la mort de son responsable à Keur Massar, il disait dans l’émission ‘’Objection’’ de Sud Fm être persuadé que les gens du régime seraient même prêts à le tuer : ‘’J’ai toujours dit en réunion de Bureau politique, quand on démarrait notre action politique, que nous avons choisi la voie la plus difficile : celle de s’attaquer au système lui-même. Et tous ceux qui ont eu à s’attaquer à des systèmes de prédation, de criminalité financière, de domination des peuples ont pu perdre leur travail ou être exilés. Ça va de la radiation à la liquidation physique même.’’

La radiation a déjà eu lieu, mais nous sommes loin de la liquidation physique. Jean Meissa comme Yoro Dia estiment que c’est une maladresse de parler de considérations politiques dans cette affaire. Pour le premier, cela peut avoir des ‘’effets contre-productifs’’. Pour le second, ‘’attention à l’effet boomerang’’.

Il n’empêche, au Pastef, la question de la sécurité et des menaces est centrale. Certaines confidences renseignent que, sur demande du parti, Ousmane Sonko s’est vu obliger de renforcer sa sécurité. Pour les meetings, des dispositions particulières sont prises pour parer à toute tentative de sabotage. Chez lui également, des mesures ont été édictées pour sa protection. ‘’Mais si ça ne dépendait que de lui, toutes ces mesures ne seraient pas prises. Pour ironiser, il dit que dans un pays normal, il n’aurait pas eu besoin de toutes ces mesures’’, s’empresse d’ajouter notre interlocuteur proche du parti. Par rapport à la mort de Mariama Sagna,  il rejette en touche les accusations selon lesquelles Pastef l’impute au régime. ‘’Je ne l’ai entendu de la bouche d’aucun membre du parti. Toutefois, je pense que le président qui est prompt à faire des tweets sur des choses nettement moins importantes, aurait pu se prononcer ne serait-ce que pour présenter ses condoléances’’.

A ceux qui parlent de crime politique, Yoro Dia appelle à la retenue : ‘’On n’est pas en Amérique latine, au Guatemala. Le Sénégal n’a jamais été un pays où l’on pratique l’assassinat politique. Ces suspicions ne sont que de la fanfaronnade. Et il faut savoir que tout ce qui est excessif devient insignifiant. Il faut donc que le parti de Sonko évite de faire dans l’excès, parce que cela peut entrainer un effet boomerang.’’

‘’Communication outrancière et excessive‘’

Ainsi, comme dans toute œuvre humaine, certains, aussi admiratifs soient-ils de la personnalité que s’est forgé tout seul le responsable politique, mettent quelque bémol dans sa communication jugée parfois outrancière et excessive. Il en est ainsi quand le patriote en chef accusait les journalistes de ne pas suffisamment jouer leur rôle pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à écrire son livre sur le pétrole et le gaz. Il disait alors que les journalistes seraient ‘’prisonniers de l’argent et inféodés aux puissances d’argent’’. Jean Meissa Diop, répondant dans une de ses chroniques, expliquait, d’une part, que si Sonko est devenu ce qu’il est, la presse y a forcément joué un rôle. D’autre part, qu’il y avait dans ce pays des journalistes dignes des confidences d’un haut fonctionnaire qui auraient pu rédiger un livre fondé sur l’investigation, si Sonko leur avait fait confiance.

‘’Mais cela à condition que Sonko accepte d’être un nègre (non pas qui tienne la plume) mais qui fait le sacrifice de rester dans l’anonymat plutôt que d’un jet à l’autre, d’une déclaration fracassante à l’autre, se propulser devant la une des journaux et les spots des chaines de télévision’’. S’’il y a eu le scandale Watergate, ajoutait le journaliste chroniqueur, ‘’c’est parce qu’un haut fonctionnaire  de la police américaine a préféré rester dans l’anonymat d’un énigmatique Deep throat que d’être et rester Mark Felt. L’histoire a très peu retenu le nom de ce Felt, mais la vérité et la bonne gouvernance ne l’oublieront jamais. Ousmane Sonko aurait pu et dû être un autre Deep throat plutôt que d’exposer de manière désinvolte, jusqu’à y ruiner sa carrière’’.

Apparemment, ceci est loin d’être l’option prise par le leader de Pastef, dont la notoriété politique a été surtout acquise grâce à sa stratégie de com basée sur les scandales du régime. 

MOR AMAR

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