Publié le 19 Jun 2022 - 01:06
PETER COLE, ARTISTE LIBÉRIEN

Une carrière façonnée par les combats

 

D’une échappatoire, la musique est devenue l’arme qui permet à Peter de vaincre la guerre. Aujourd’hui, son nouveau single, ‘’Let it go’’, déjà disponible, enseigne le sens du pardon.

PROFIL

Si ses lunettes noires et sa voix vous semblent familières, ne vous y trompez pas. Vous avez bien reconnu un des membres du jury de ‘’Sen Petit Gallé’’, l’émission du label Prince Arts Studio dans lequel s’affrontent autour du chant des enfants âgés de 10 à 16 ans. Pour le grand public, Peter Cole est un coach vocal, directeur artistique, expert de la détection de talents musicaux.

Mais ‘’Tonton Peter’’, comme l’appellent affectueusement ses amis, est aussi un artiste, musicien, compositeur et producteur bien connu des nuits dakarois. Après deux albums ‘’Rebirth’’ et ‘’Nerfertitus’’, il s’apprête à remettre cela d’ici la fin de l’année 2022. “Let it go” (Laisser aller), troisième single de cet opus, est déjà dans les bacs. Avec ce "song", l’artiste appelle son public et son peuple à ‘’recommencer sans cesse, sans regarder en arrière’’. Une manière de rappeler l’importance du pardon et surtout de mettre un doigt sur l’histoire de sa vie.

Comme il l’avoue en premier, ‘’la vie m’a joué des tours’’. En y réfléchissant comme le fait souvent Peter Cole, ‘’le message m’est venu qu’on ne peut pas avancer si on ne veut pas laisser derrière nous les erreurs et les échecs du passé. On se fait du mal tout seul, si on ne pardonne pas parce que les gens à qui l’on en veut ne se souviennent plus peut-être. Donc, on doit se lever et écrire de nouvelles pages de notre vie’’.

Originaire du centre du Liberia (Gbarnga, sa ville natale) le jeune Peter a connu une enfance difficile, déchirée entre la pauvreté et la guerre qui frappe son pays. Pourtant, l’innocence aidant, c’est cette période que Peter décrit comme l’une des plus belles de sa vie : ‘’Mon enfance était très, très heureuse. J’étais le petit garçon de 12 ans qui jouait de la guitare à la messe et dans nos spectacles culturels à l’école. J’avais la liberté d’avoir des soirées de tam-tams (des pots de conserve) avec des amis sans que mes parents se plaignent. Après les cours, je jouais au foot avec mes nombreux copains et on se taquinait.’’ 

Parmi ces talents précoces, l’auteur de ‘’Let it go’’ s’oriente vers la musique. D’abord, tout naturellement. Lui, fils d’un charpentier qui s’adonnait au chant. Emprunter cette activité dans l’orchestre de son lycée, en tant que guitariste et chanteur, avant ses 14 ans, n’était point difficile. Ensuite, pour faire de la musique une arme, pour combattre la guerre civile. Celle-là qui l’a poussé à fuir sa ville (tombée aux mains d’un chef de guerre), sa famille et ses proches pour se réfugier à Monrovia (capitale libérienne) et plus tard en Côte d’Ivoire. ‘’J’ai vu ma vie changer en un combat de survie et j’ai dû rester clean, malgré les influences négatives qui viennent avec des conflits armés. Grâce à la musique, j’ai réussi à tracer une nouvelle vie’’, apprécie-t-il.

Artiste engagé

À côté des combats et de l’insécurité, l’artiste s’engage. À travers sa musique, Peter soulève les problèmes sociaux liés aux droits des enfants, aux violences conjugales et à la santé publique. Il est l’un des membres fondateurs du Bosco Beat Band qui a offert du divertissement dans l’enclave de Monrovia, pendant la guerre civile. Il sensibilise également la population au sort des enfants de la rue, proies vulnérables des milices qui en faisaient des enfants soldats. L’orchestre qu’il a mis en place, avec des enfants ayant déposé les armes, a participé avec Youssou Ndour, Papa Wemba et d’autres grands noms de la musique africaine, au projet documentaire “So Why” de la Croix-Rouge internationale (CICR).

Quand le Liberia a connu la paix en 2003, Peter a fait l’hymne “Rape is a crime” (le viol est un crime) pour la campagne contre le viol qui était banal dans la société libérienne. Il a ensuite fait une tournée nationale pour sensibiliser sur le sujet, de même que plusieurs campagnes pour la santé (polio, Ebola, paludisme, etc.). Aux côtés de Youssou Ndour, il a travaillé sur le projet “Roll back Malaria”.

Les conflits le suivent pourtant au pays de Houphouët-Boigny, avec le coup d’État en 1999. Peter Cole décide alors de s’installer au Sénégal. Ici, l’artiste fait sa vie avec une Sénégalaise. Une union dont sont issues deux filles de 18 et 13 ans. Divorcé, en train de refaire sa vie, il n’en reste pas moins attaché au ‘’pays de la Téranga’’, occupé à ‘’faire l’éducation de mes filles qui vivent avec moi, même si elles préfèrent être avec leur grand-mère maternelle dès que l’occasion se présente’’.

Mettre son expérience au service de la musique sénégalaise

L’histoire d’amour entre Peter Cole et la musique sénégalaise est loin de se limiter à ‘’Sen Petit Gallé’’ et aux collaborations avec Prince Arts. ‘’Let it go’’ et l’album qu’il annonce viennent relancer une carrière musicale, ‘’après une pause provoquée par des événements dans ma vie personnelle.’’ L’artiste espère s’imposer davantage sur la scène musicale sénégalaise et faire plein de featuring avec des artistes sénégalais. Mais il souhaite surtout mettre son expérience au service de la musique sénégalaise. ‘’Aujourd’hui, on dirait qu’il n'y a que la place pour la musique qui fait danser en Afrique. À mon avis, ça limite le génie des artistes africains et sénégalais. On a beaucoup d’autres rythmes qu’on n’entend jamais dans les genres musicaux de nos pays. Il est temps que les journaux et émissions consacrés à la musique africaine cherchent des œuvres originales et les fassent entendre. Si l’on écoutait que de la musique en boîte de nuit, peut-être des artistes comme Yandé Codou Sène n'auraient jamais été découverts’’, estime-t-il.

Celui qui se réjouit du travail effectué par la Sodav (Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins) appelle les autorités publiques à développer plus de mécanismes pour protéger les œuvres des artistes et à  créer des festivals pour favoriser l’expression de la diversité artistique.  

Lamine Diouf

 

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