Publié le 19 Mar 2019 - 20:47
PETERSEN, PLUS DE 72 HEURES APRES

Les ‘’vies’’ perdues sous les flammes

 

De la poussière, des débris, de la désolation, tout, dans ce coin de Dakar naguère assez grouillant, aujourd'hui si calme, témoigne du ravage des flammes de vendredi 15 mars dernier, vers les coups de 7 h, pendant que les marchands, venant pour la plupart de la banlieue, s’apprêtaient à rejoindre leurs tables et cantines. Ce jour-là, Petersen a perdu bien plus que du matériel. Ce sont des pans importants de vies qui sont partis en fumée. En un laps de temps ! 

 

La soixantaine révolue, Pa Samb n’en revient pas. Venu de son patelin, un village au cœur du Cayor, dans le département de Kébémer, le vieux tente de reprendre sa petite vie, après le violent incendie qui a emporté ses maigres économies, vendredi dernier. Sur un poteau électrique, au niveau du rond-point Petersen, il accroche quelques articles, des sacs en toile qu’il échange entre 1 000, 1 500 et 2 000 F Cfa. ‘’Ce que tu vois là, c’est tout ce qui me reste. Tout le reste est parti. Je n’ai plus rien. Je dois repartir de zéro. C’est dur, mais c’est la volonté de Dieu’’, déclare le sexagénaire qui s’efforce tant bien que mal à ne montrer aucun signe de faiblesse. En tout, il s’agit de 6 sacs de différents modèles : des grands, des moyens et des petits. Tous, il vient de les acheter chez son fournisseur. Lui qui avait l’habitude de s’en procurer par dizaines.

En fait, chaque soir, après une journée de dur labeur, le vieux marchand, n’ayant pas de cantine, déposait ses invendus dans un magasin sur place. Jeudi dernier, en confiant sa marchandise au lieu habituel, il était loin de se douter que c’était la dernière fois qu’il allait les retrouver. La voix presque inaudible, il revient sur ce matin de vendredi : ‘’J’ai appris la nouvelle de l’incendie à la radio. Tout de suite, j’ai accouru. Une fois sur place, j’ai constaté que le magasin était inaccessible. Le feu s’était déjà propagé. J’ai perdu environ 80 mille francs Cfa, c’est-à-dire l’ensemble de mes bagages.’’

Autour de lui, sous un soleil ardent, un groupe de jeunes s’activent dans le nettoiement des lieux. Le vieux, lui, tente d’écouler les six sacs qu’il vient d’acquérir pour reprendre le cours normal de sa vie. Il squatte les lieux depuis les années 2000. Autrefois, quand il en avait la force, il vendait des chaussures, des habits... Au fil des ans, le sexagénaire a perdu de sa puissance. Raison pour laquelle il s’est replié dans la vente des sacs. Il explique : ‘’C’est plus léger. A mon âge, je ne peux plus trainer avec des chaussures entre les mains. Je m’en sors pas mal, Dieu merci. Même si la vente de chaussures rapporte plus.’’ Aujourd’hui âgé de 66 ans à l’état civil, beaucoup plus en réalité, il ne faut surtout pas s’attendre à ce qu’il prenne sa retraite. Le sourire forcé en coin, il dit : ‘’Où est-ce que vous avez vu un commerçant prendre sa retraite ? Je ne peux pas aller me reposer, parce que j’ai sur mes épaules une famille à nourrir. Chaque mois, je prends ce que j'ai, je retourne au village, je solde mes comptes devant le boutiquier ainsi que les autres dettes de la famille.’’ Et il ne compte pas arrêter de sitôt.

Non loin du vieux, sont assises une bande de jeunes filles et femmes. Khady Dieng en fait partie. Tee-shirt noir sur un pantalon jogging de même couleur, elle s’est, en un jour, retrouvée au chômage. Jeune célibataire âgée d’une trentaine d’années, Khady n’en est pas moins responsable. Elle se démène comme un beau diable pour soutenir, dit-elle, ses parents restés au bled, dans son Khombole natal. L’ancienne commerciale dans une entreprise de la place a tout laissé pour s’adonner au commerce dans la rue.  Elle témoigne : ‘’Je suis là depuis presque deux ans. Auparavant, j’avais un contrat de prestation de services dans une entreprise sénégalaise. Mais, un beau jour, le patron nous a fait savoir qu’il ne compte plus nous traiter comme salariés, mais comme commissionnaires. Cela ne m’arrangeait pas. C’est pourquoi j’ai quitté.’’

Khady : ‘’D’habitude, je travaillais avec des ressources propres’’

Depuis lors, la jeune fille a signé un bail avec le marché. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne le regrette nullement. Au début, dit-elle, c’était difficile d’avoir une place disponible. Avec l’appui de bonnes volontés, elle y est parvenue. Ce qui lui permet d’être assez autonome. ‘’C’est avec ce travail que je paie ma location, sans compter ma nourriture et le soutien à ma famille qui est restée à Khombole’’, témoigne-t-elle, assise au milieu de ses pairs, toutes en chômage technique.

En ce jour de dimanche, ces braves dames se tournent les pouces. Assommées certes, elles refusent de jeter les armes. A quelques jours du Magal de Porokhane prévu le 28 mars prochain, nombre d’entre elles avaient renforcé leurs commandes. A l’instar de Khady qui avait investi toutes ses économies dans l’achat de marchandises. ‘’Tout a péri dans les flammes. C’est une valeur de 400 000 F environ. D’habitude, je travaillais avec des ressources propres. Mais avec le Magal, il me fallait augmenter ma marchandise’’, confie-t-elle.

 Le jour du sinistre, elle a failli tomber des nues. Fraichement sortie de la douche, se préparant pour aller au boulot, son téléphone sonne. Au bout du fil, sa maman qui lui annonce la mauvaise nouvelle. Elle ne sait pas encore si ses marchandises ont été endommagées. Dans l’expectative, elle reçoit un autre coup de fil. Un parent qui lui signale qu’elle est bien concernée. Elle dit : ‘’J’ai marché de Colobane à Petersen, parce qu’il y avait des embouteillages et j’avais hâte d’arriver pour constater de visu les dégâts. J’avais en réalité du mal à y croire.’’

Seynabou : ‘’Avec 15 000 F, j’ai commencé à vendre des couches pour enfants’’

Seynabou Guèye habite Guédiawaye. Elle aussi vend des chaussures. Dans l’incendie, elle dit avoir perdu des marchandises d’une valeur estimée à 500 mille francs Cfa environ. Mariée et mère de 6 bouts de bois de Dieu, la jeune femme, seulement 30 ans, était auparavant domestique. ‘’J’avais un enfant. Je le portais sur mon dos chaque matin pour aller au travail. C’est par la suite que j’ai arrêté pour entreprendre. J’avais pu, en tant que domestique, économiser 15 000 F Cfa. C’est avec cet argent que j’ai commencé à vendre des couches pour enfants. Aujourd’hui, avant l’incendie, j’avais des marchandises d’une valeur de 500 000 F Cfa’’.

Etablie sur les lieux depuis 2003, Seynabou est une vraie débrouillarde qui ne rechigne pas à la tâche. Quand elle a appris la nouvelle, c’est comme si la terre se dérobait sous ses pieds. Elle confesse : ‘’J’étais déjà en route. La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est comment rembourser mes dettes. On a une tontine dans le marché et j’ai déjà pris ma part. C’est avec cet argent que je me suis approvisionnée. Maintenant, il va bien falloir que je rembourse et je n’ai rien, pour le moment.’’

Dans la tontine, chaque jour, la jeune femme misait pour 5 000 F. Depuis vendredi, elle est dans l’impossibilité de payer sa dette. ‘’C'est très difficile. Moi, je n'ai ni frère ni mère qui peuvent me venir en aide. Ma mère se débrouille ici au marché comme moi. Dans ce marché, il n’y a que des femmes battantes qui ne dépendent que d’elles-mêmes pour subvenir à leurs besoins quotidiens’’.

Ndèye Diop, elle, habite Malika. Elle dit avoir 24 ans. On lui en donnerait volontiers une trentaine. Sans doute lessivée par le poids des charges pesant sur ses frêles épaules. Célibataire, elle n’en est pas moins responsable, ou à tout le moins soutien de famille. Elle revient sur son train-train quotidien : ‘’J’ai calé mon réveil à 6 h 20 mn. Chaque jour, je me lève à cette heure, je prends mon bain, je prie et je sors de chez moi vers les coups de 7 h. Et je ne rentre qu’à 22 h. C'est parce que nous croyons en nous. Moi, j’ai très tôt commencé à prendre mes responsabilités.’’ Auparavant, elle vendait divers articles dans la circulation, interceptant les automobilistes avec tous les risques que ça comporte. Elle a aussi été dans un salon de coiffure ainsi que dans un atelier pour apprendre la couture. Ce qui fait de la jeune demoiselle une personne polyvalente qui ne demande qu’un accompagnement pour s’épanouir. ‘’Je rends grâce à Dieu. J’ai débuté avec un capital de 10 000 F. Aujourd’hui, je ne peux vous dire le montant de la marchandise que j’ai perdue, mais c’est beaucoup. Mais on rend grâce à Dieu, parce qu’on est encore là à le raconter’’, dit-elle stoïque.

‘’Nous avons besoin d’aide. Nous vivions au jour le jour’’

Actuellement au chômage, elle espère vite se relever. En vrai battante, elle refuse de se laisser dominer par le sinistre. Même si le combat est loin d’être gagné. Faute de moyens. ‘’Nous avons besoin d’aide. Nous vivions au jour le jour. Ce sont les cordonniers qui nous donnent parfois de la marchandise et on rembourse après. Parce qu’il y a une relation de confiance entre ces derniers et nous. En ce qui me concerne, il y a une bonne partie que je n’ai pas encore soldée et je vais devoir rembourser’’.

Pour la plupart, ces dames n’attendent pas grand-chose des pouvoirs publics, juste les conditions minimales pour exercer leur travail en toute quiétude. Ce qui est loin d’être évident dans ce monde à forte domination masculine. Il n’empêche, celles rencontrées à Petersen se donnent corps et âme pour exister. ‘’Ces femmes que vous voyez, dit-elle, désignant ses collègues,  viennent de partout. Nous n’avons aucune aide. Nous arrivons à nous financer grâce à la solidarité, à la tontine que nous avons mise en place. Aujourd’hui, c’est à l’arrêt, parce que n’ayant plus d’activité, nous ne pouvons cotiser. Moi, chaque jour, je versais 2 000 F. C’est chacun en fonction de ses possibilités. J’ai beaucoup de dettes, mais j’espère que ça ira. Je demande juste aux autorités de nous laisser à Petersen’’.  
A côté des femmes, se trouvent quelques jeunes garçons assis à même le sol. Parmi eux, Amadou Sy, ancien du lycée Limamou Laye. Aujourd’hui âgé de 24 ans, il a quitté l’école depuis 2009. ‘’C’était pour aider ma mère, témoigne-t-il. Grâce à ce travail, j’arrivais à subvenir tout seul à mes besoins. Avant, c’est ma mère qui m’achetait même mes fournitures. Je ne pouvais plus le supporter. C’est pourquoi j’ai abandonné les études’’. Sur l’ampleur des dégâts, il informe : ‘’Je ne saurais vous dire combien nous avons perdu. Nous allons devoir repartir de zéro. C’est très dur. Mais on essaie de tenir le coup.’’

MOUNDIAYE CISSE, DIRECTEUR EXECUTIF ONG 3D

‘’L’Etat doit faire autant que ce qu’il avait fait pour les éleveurs’’

Avec ce violent incendie qui s’est déclaré à Petersen, la solidarité s’organise petit à petit autour des commerçants, surtout au bénéfice des moins nantis. C’est en tout cas dans ce sens que s’inscrit une visite de l’Ong 3D sur les lieux. Son directeur exécutif Moundiaye Cissé déclare : ‘’D’abord, nous sommes venus pour constater de visu l’ampleur des dégâts. En tant que Sénégalais et leader d’Ong qui travaille sur ces questions de promotion des droits humains et de développement durable, nous nous devions de montrer à ces pères et mères de famille toute notre solidarité. Voilà pourquoi nous avons été là pour rencontrer les responsables, mais surtout essayer de les réconforter et soulager particulièrement les braves femmes.’’

L’Ong a, en outre, promis aux femmes sinistrées une enveloppe symbolique qu’elle compte leur remettre, aujourd’hui, afin de leur permettre de reprendre leurs activités. Moundiaye Cissé d’inviter le gouvernement à se déployer pour appuyer ces jeunes et ces femmes qui, pour lui, sont plus que des agents économiques. ‘’Comme il l’avait fait, lors des intempéries qui avaient frappé les éleveurs, en dégainant 1 milliard de francs Cfa, geste que nous avions salué en son temps, nous nous attendons à la même chose pour ces gens qui ont eu l’initiative d’entreprendre. Car c’est l’Etat qui avait la mission régalienne de leur trouver des emplois formels’’, plaide-t-il.

 

 

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