Le foncier, nouvelle vache à lait

Arme budgétaire redoutable, le foncier peut aussi constituer une véritable bombe à retardement. De Wade à Faye, tous les régimes ont fustigé les pratiques constituant à une cession massive des terres, avant d’y recourir avec frénésie pour mobiliser des financements. Le duo Diomaye-Sonko ne fait pas exception.
L’aliénation de portions importantes du foncier par le régime précédent de Macky Sall a pendant longtemps alimenté la polémique. Arrivé au pouvoir en mars 2024, le régime du duo Diomaye-Sonko a mobilisé les énergies pour remettre en cause pas mal d’opérations foncières menées par leurs prédécesseurs.
Du littoral à Mbour 4, en passant par les lotissements BOA, Hangar Pèlerins, Recasement 2 – Aéroport de Dakar, EGBOS sur la VDN, Dakar, EOGEN 1 et EOGEN 2, les sites de Batterie à Yoff, Terme Sud, Ouakam, Pôle urbain de Diacksao – Bambilor (TF 11 651/R), Pôle urbain de Déni (TF 14 337/R), Pointe Sarène pour la zone hors SAPCO, lotissement de Ndiobène Gandiol (TF 136), Saint-Louis, Sonko et Diomaye avaient tout remis en cause, plongeant pas mal d’acquéreurs dans une grande expectative.
Il y a quelques mois, le président de la République avait réaffirmé cette volonté de son régime de remettre de l’ordre et de mettre un terme au bradage du foncier. “S’agissant du foncier, il a fait l’objet d’un audit inédit ayant conduit à des mesures correctives en cours de mise en œuvre. Désormais, la gestion du patrimoine foncier se fait avec rigueur, transparence et responsabilité, mettant ainsi progressivement un terme aux pratiques de bradage des terres, tout en garantissant une répartition juste et équitable des ressources nationales. Cette dynamique sera poursuivie avec la relance de la concertation sur la délicate, mais nécessaire et inéluctable réforme foncière”, soulignait le chef de l’État.
C’est donc contre toute attente que certains Sénégalais ont appris que l’actuel régime compte privatiser des terres pour financer son plan de redressement. Sur les plus de 4 000 milliards F CFA à mobiliser, des centaines doivent provenir du foncier à travers des opérations de différentes natures.
Un point a particulièrement suscité l’attention. Il s’agit du sort des bases militaires reprises par le Sénégal après le départ des forces françaises.
La crainte d’un carnage
Selon le décompte fait par ‘’EnQuête’’, ce n’est pas moins de mille milliards qui sont attendus par le gouvernement à travers ces opérations foncières. Dans le détail, c’est 224 000 000 000 F CFA avec la cession temporaire de la moitié du site de l'ancienne base militaire française de Bel-Air ; 61 826 250 000 F CFA attendus de la cession temporaire de la moitié du site de l'ancienne base militaire française de Dakarnave ; 62 500 000 000 F CFA au titre de la cession temporaire de la moitié du site de l'ancienne base militaire française de Rufisque.
Sur cette dernière question, le Premier ministre semble pour le moment être confronté au veto des forces armées soutenu par le président de la République. Lui-même en fait la confidence lors de la présentation du plan. “Sur le recyclage des actifs, nous nous projetons à 1 519 milliards. J’ai parlé des actifs détenus par Sogepa, la possibilité d’une cession partielle du site de l’ancienne base militaire française de Rufisque, si le président de la République l’autorise, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment, avec un veto fort des forces armées”, confie-t-il avec ironie.
Malgré cette réticence, le site a bien été inclus dans le plan.
Outre les zones militaires, le gouvernement compte également puiser dans le foncier de Diass où il n’espère pas moins de 215 milliards F CFA, mais aussi sur le site de Le Dantec pour 126 milliards F CFA, entre autres opérations au cœur du plan de redressement. Alors que certains craignent un carnage en vue, l’Administration parle de rationalisation, de valorisation patrimoniale, voire de justice foncière à travers la régularisation massive.
Un air de déjà-vu
Depuis Wade, cette pratique est bien connue. Très souvent, le régime libéral recourait au foncier pour lever des fonds, en vue soit de réaliser certains projets d’envergure soit de mobiliser des liquidités, parfois aussi à des fins de partage. On se rappelle les projets sur la corniche, avec notamment la cession de terres à des réceptifs hôteliers, l’octroi de surfaces importantes à Mbakiyou Faye en échange du financement du monument de la Renaissance africaine.
À cet effet, le journaliste Madiambal Diagne expliquait dans une de ses chroniques la méthode Wade. “... Abdoulaye Wade lotissait des camps militaires, des casernes, des réserves forestières. Il avait fait entailler, sur instigation de son architecte-conseil Pierre Goudiaby Atepa (l’intéressé le révéla lui-même dans les colonnes du journal ‘Le Quotidien’), plus de 75 ha des surfaces de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor, pour en faire des lotissements de terrains vendus au prix fort”, informait le journaliste. Déjà, il était question des bases militaires françaises, même si la cession n’a jamais eu lieu sous Wade.
“Abdoulaye Wade, disait Madiambal, ne s’interdisait de toucher à aucune portion de terre, jusqu’au stade Assane Diouf de Rebeuss et les hôpitaux et camps militaires. Il se disait même qu’il avait fait chasser l’armée française afin de pouvoir mettre la main sur les vastes superficies de ses camps installés au Sénégal”.
Sous Macky Sall, les mêmes pratiques ont été reconduites. D’ailleurs, la plupart des opérations foncières suspendues au début de ce régime ont été effectuées sous son magistère. Le jugement de Madiambal était d’ailleurs sans appel. Dans sa chronique, il disait : “Finalement, ils ont fait pire que les Wade…”
Après Wade, relevait le patron du groupe Avenir communication, certains avaient cru qu’il ne restait plus rien à vendanger dans la capitale. Mais c’était sans compter sur la perspicacité des politiciens à dénicher les lopins à distribuer et à partager. “... Macky Sall avait dénoncé les attributions foncières scabreuses du régime défunt et avait promis que plus jamais de telles pratiques ne seraient tolérées. Il avait chargé le Pr. Moustapha Sourang d’élaborer un rapport sur la question foncière. Des consultations furent faites sur l’ensemble du territoire national pour voir clair sur tous les litiges et proposer des réformes sur la question foncière au Sénégal. Mais très rapidement, le régime de Macky Sall a pris le pli de son prédécesseur”, rappelait-il.
Finalement, ils font tous comme Wade
Rien donc de nouveau sous le soleil. Aussi bien la valorisation du foncier pour lever des fonds, la volonté d’aliéner les emprises anciennement occupées par les militaires français, tout a déjà été expérimenté sous les cieux.
Comme Macky Sall en son temps, Diomaye et Sonko n’ont également eu de cesse de dénoncer cette logique d’aliénation foncière, souvent assimilée à un ‘’bradage’’ du patrimoine national au profit d’intérêts privés, parfois étrangers. C’est sans doute pourquoi le Premier ministre s’empresse de dire qu’il n’y aura pas de vente, mais il devra être plus précis sur ce qu’il entend par cession partielle. Le doute est d’autant plus permis que les sommes espérées sont très importantes et pourraient être difficilement levées à travers juste une opération de location.
Ils sont en tout cas nombreux les Sénégalais à s’interroger sur les tenants et aboutissants de ces opérations foncières qui font penser aux pratiques anciennes des précédents régimes et qui pourraient soulever pas mal de contestations auprès des populations.
Par Mor Amar