Publié le 5 Nov 2013 - 12:30
POLITIQUE SANITAIRE DU SÉNÉGAL

 CMU, intox et non-dits

 

Lancée le 24 septembre dernier par le président de la République, la Couverture maladie universelle (CMU) connaît des ratages dans son application. Si ce n'est que les autorités ont menti par omission. Du reste, des médecins prédisent sa mort en l'état actuel de sa déclinaison.

 

Refrain du régime de Macky Sall, la Couverture maladie universelle (CMU) sonne comme une garantie d'accès aisé à des soins de qualité. Officiellement lancée le 24 septembre dernier, cette politique entrant dans le cadre de la protection sociale fait beaucoup espérer. Dans ces premières déclinaisons, la CMU va de la gratuité des soins des enfants de 0 à 5 ans, à celle de la césarienne en passant par le plan Sésame destiné aux personnes du troisième âge, les subventions à la dialyse... Sauf qu'à la pratique, la couverture n'est pas si ''universelle'' que cela.

Césarienne, une gratuité à problème

Lancée en décembre 2004 pour être effective le 1er janvier 2005, la gratuité des accouchements et des césariennes est à géométrie variable : celle des accouchements concerne les centres et postes de santé, alors que les césariennes le sont dans les centres de santé à SOU (Soins obstétricaux d’urgence) et les hôpitaux, à l’exception de Dakar. Cette initiative a pour objectif de contribuer à réduire, de manière significative, la mortalité maternelle d'ici 2015.

A l’Hôpital général de Grand-Yoff (Hoggy), par exemple, où l’accouchement par césarienne est payant comme prévu, on émet des doutes quant à la viabilité de la CMU. Selon un médecin de cet hôpital ayant parlé sous le sceau de l'anonymat, la CMU ne vient pas à son heure. ''On parle de CMU alors qu'il n'y a pas assez d’hôpitaux pour régler ce problème. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé avec le plan Sésame et la gratuité des césariennes. Donc, le président devrait bien réfléchir avant de lancer cette politique de santé'', objecte le toubib. Pour notre interlocuteur, l’État devrait d'ailleurs avant tout faire l'audit du financement versé pour ces deux initiatives. ''En prévision de son démarrage, le ministère de la Santé et de la Prévention médicale avait, au courant du dernier trimestre 2004, mis en place d’importants moyens, notamment le versement à la Pharmacie nationale d'approvisionnement (PNA) d'une somme de 310 249 000 de francs CFA pour garantir la disponibilité d’un stock de 2000 kits d’accouchement et 437 kits de césarienne, et un préfinancement des hôpitaux de 20 735 000 francs CFA. Une subvention de 700 millions de francs Cfa sur fonds propres de l’État a été dégagée à cet effet pour couvrir le plan Sésame. Mais personne ne sait où est passé cet argent'', avance notre source. A l'en croire, les autorités ministérielles et le gouvernement ne ratent jamais l’occasion de ''crier sur tous les toits la gratuité alors qu'elle n'est pas universelle. Elle est partielle. Ils créent la confusion chez la population qui ne comprend rien. Ce n'est pas normal. Il faut savoir prendre ses responsabilités'', dénonce le médecin.

''La charrue avant les bœufs''

Un des ses collègues va plus loin. D'après ce dernier, avant d'injecter 90 milliards pour cette CMU, il serait plus judicieux de trouver une solution à la prise en charge et l’accueil des malades, éternel problème dans les structures de santé. Car, souffle-t-il, il y a toujours des femmes qui payent les kits pour la césarienne à cause du manque de moyens dans les hôpitaux. ''L'argent versé pour la césarienne n'a pas été bien géré. Il y a des gens qui payent toujours la césarienne dans les régions. Dans d'autres, la gratuité n'est que de nom parce que le patient doit payer les frais d'hospitalisation et les médicaments, ce qui est plus cher que le kit. Ils ont mis la charrue avant les bœufs'', dénonce le médecin. Avant d'expliquer que ''pour les volets accouchement et césarienne, la Dage (Direction de l'administration générale et de l'équipement du ministère de la Santé) a viré, depuis 2004, 691 537 000 francs Cfa aux formations hospitalières et 922 284 750 francs Cfa à la PNA. Pour le Sésame, elle a mis, en 2006, pour le compte des hôpitaux et de la PNA, respectivement 580 millions et 120 millions de francs Cfa et, en 2007, 595 millions pour les hôpitaux avec une réserve de 105 millions destinés à la PNA et autres formations sanitaires. Mais le problème n'est pas réglé'', dit-notre source.

A en croire docteur Mohamed Lamine Ly, médecin-chef du District de Dakar-Sud, les autorités du ministère de la Santé peinent à mettre en place les kits des césariennes. ''Ceux-ci devraient combler le manque à gagner occasionné par la gratuité de cet acte si utile pour préserver la vie de la mère et de l’enfant'', informé-t-il. D'après lui, les Sénégalais doivent savoir que la plupart des structures de santé fonctionnent sur la base des recettes issues de la participation financière des populations à l’effort de santé, qui se substituent très souvent aux fonds de dotation logés dans les collectivités locales et dont très peu parviennent aux districts. ''Le district de Mbao qui, depuis 2009, n’aurait pas reçu ses fonds de dotation, et les districts du département de Dakar qui, depuis deux ans, n’ont pas reçu leurs dotations en médicaments. Tout cela fait que c’est essentiellement avec les ressources provenant des populations que les comités achètent des médicaments, recrutent des agents supplémentaires, réparent des ambulances, complètent les budgets des campagnes de vaccination, etc.'', relève Dr Ly. 

Le syndrome du plan Sésame

A en croire un radiologue officiant à l'hôpital de Fann, le ministère de la Santé devrait mieux et bien communiquer avec la population : ''Cette CMU ne peut pas se faire tant que les problèmes internes ne sont pas réglés. Les autorités ont mal communiqué sur la gratuité des soins des enfants de 0 à 5 ans. Le ministère veut nous mettre en mal avec la population. Tout le monde croit que c'est tous les enfants qui sont concernés alors que ce n'est pas le cas. La CMU risque d'être comme le plan sésame.'' Un autre médecin de renchérir : ''Partout on dit gratuité, mais c'est faux. Pourquoi les autorités n'ont pas introduit la région de Dakar dans ces histoires de gratuité ? C'est vraiment n'importe quoi. Macky Sall et Awa Marie Coll Seck ne devraient pas entrer dans ce jeu. La population leur fait confiance donc il faut prendre tout cela en compte. Ils doivent tenir un langage de vérité sur la CMU avant qu'il ne soit trop tard.''

Pour rappel, dans la circulaire du ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, adressée aux médecins-chefs des régions du pays, il est indiqué, concernant la gratuité des soins des enfants de 0 à 5 ans : ''La première phase sera mise en œuvre sur toute l’étendue du territoire, du 1er octobre au 31 décembre 2013, selon des modalités suivantes : exemption de paiement de tickets de consultation et de vaccination au niveau des postes de santé publics ; exemption de tickets de consultation, de vaccination et d’hospitalisation pour une durée maximale de 7 jours au niveau des centres de santé publics ; exemption de paiement du ticket de consultation pour les urgences et les cas référés des hôpitaux publics.''

Viviane DIATTA

 

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