Un gré à gré qui choque les acteurs

Pour mettre en place le projet dit “Jambaar”, Waly Diouf Bodiang envisage de donner 10 ha du Port autonome de Dakar, sans appel d’offres, à un consortium composé essentiellement d’entreprises étrangères, belges et espagnoles. Évincés sans compétition, des opérateurs ruent dans les brancards. Le Conseil d’administration, qui devait se réunir ce jeudi, reporté en raison du voyage du DG.
C’est un dossier qui risque de faire grand bruit dans le pays. C’est l’un des tout premiers grands projets du tonitruant directeur général du Port autonome de Dakar (PAD), Waly Diouf Bodiang. Il s’agit du projet à milliards dénommé Consortium Jambaar. Selon nos informations, le projet, qui devait être présenté au Conseil d’administration initialement prévu ce jeudi 11 septembre et qui a été reporté en raison de l’absence du directeur général, soulève déjà pas mal de controverse.
De quoi s’agit-il ? Si le DG Waly Diouf Bodiang va jusqu’au bout de ce projet déjà très avancé, le môle 4 sera totalement privatisé. Les opérateurs qui, jusque-là, traitaient directement avec le PAD, seront contraints de passer par des privés. Le pire dans cette histoire, c’est qu’il n’y a eu aucun appel d’offres pour choisir les meilleurs. Ce qui a provoqué l’ire des acteurs. “Ce qui se passe dans cette affaire est scandaleux. On croyait vraiment que ce genre de pratique est révolu. On ne peut pas prendre un espace stratégique comme le môle 4 et l’attribuer à des compagnies triées sur le volet et après obliger les autres qui avaient le même droit de passer par ces privés. C’est aux antipodes de la gouvernance”, clame une de nos sources.
Selon nos interlocuteurs, l’espace en question, qui s’étend sur environ 10 ha, est en grande partie occupé. “Si le port décide de changer le mode d'exploitation, ça peut être une bonne chose. Mais il faut le faire dans la transparence, en lançant un appel d'offres ouvert comme on l'avait fait quand on devait choisir le concessionnaire dans le cadre du terminal à container avec Dubai Port Word”, dénonce l’un d’eux.
Jusque-là, le mode d’exploitation consiste à accueillir librement et spontanément des navires, qui viennent faire leurs opérations et paient directement leurs redevances au port. Avec la mutation, le port va céder l’exploitation au Consortium Jambaar Holding Sa dans lequel il ne dispose que de 10 %. Les 90 % détenus par des privés dont la plupart sont des Européens. Ledit consortium ayant en charge “la conception, le financement, la réalisation et l'exploitation d'un terminal polyvalent multimodal au môle 4 du Port autonome de Dakar”.
Qui sont les Jambaar de Waly Diouf Bodiang
Pour mener ce projet, le DG du PAD est allé chercher un melting-pot dont des Belges et des Espagnols. Il s’agit de Conti-Lines, une compagnie belge basée à Anvers ; Ership, un groupe espagnol spécialisé dans les services portuaires, notamment la manutention, le stockage et la coordination logistique. Le consortium compte aussi en son sein le Port d'Anvers Bruges International qui fait partie des ports les plus importants d’Europe. À noter que le groupe Maor est la seule entité privée présente dans le consortium.
Pour l’exploitation de cette partie du môle 4, une société de droit sénégalais sera mise en place. Par rapport au schéma de financement, nos interlocuteurs rapportent que le capital initial sera de 100 000 000 F CFA, mais sera porté à 3 280 000 000 F CFA. Les actionnaires mettront 8 803 434 720 F CFA, les banques 33 208 943 840 F CFA.
Au total, c’est des investissements de l’ordre de 54 milliards F CFA qui sont attendus.
Version port
Selon des sources proches de la Direction générale du PAD, le consortium Jambaar Holding SA a soumis au port une offre en date du 23 décembre 2024, conformément à la loi n°92-63 du 2 août 1992. “Tout a été fait dans les règles de l’art, à la suite de plusieurs consultations, échanges et négociations”, se défendent des sources proches de la Direction générale.
L'offre, selon nos sources, s'articule sur trois volets. Volet 1 : Aménagement et exploitation du môle 4 du port de Dakar en un terminal polyvalent et multimodal ; volet 2 : mise en place de services fluvio-maritimes réguliers entre le port de Dakar et plusieurs ports régionaux ; volet 3 : réhabilitation et modernisation de certains ports régionaux stratégiques.
D’après les termes du projet, en contrepartie de l'exploitation du périmètre affecté, le permissionnaire s'engage à verser un ticket d'entrée à 2 500 000 000 F CFA TTC dans les cinq jours suivant la mise à disposition du périmètre ; 1 000 000 000 F CFA TTC pour les volets 2 et 3 du projet ; une redevance fixe de 6 000 F CFA/ma/an, payable trimestriellement et d'avance ; et enfin une redevance variable de 200 F CFA par tonne de cargaison manutentionnée.
À souligner que l’autorisation d’occupation va durer 25 ans à compter de la date de mise à disposition du périmètre, en tenant compte des investissements consentis, du ticket d'entrée et des infrastructures de base, précisent nos sources.
Le port estime qu’à terme, le tonnage prévu est de 1,9 million de tonnes par an, soit environ 8 % du trafic global du port tous sens et produits confondus.
L’ambition du PAD Il faut noter que dernièrement, le Port autonome de Dakar a multiplié les initiatives pour vendre son projet de moderniser davantage l’infrastructure. Ceci, selon les sources portuaires, s’inscrit dans le cadre de la Vision Sénégal 2050. Dans ses différentes sorties médiatiques, Waly Diouf Bodiang met l’accent sur la nécessité de mettre en place des installations plus performantes, pour améliorer le trafic. Ce qui permettrait, à terme, de rendre le port de Dakar plus performant et plus compétitif, dans un environnement de plus en plus concurrentiel. |
Par Mor Amar