Publié le 19 Jun 2023 - 17:39

Pour une nouvelle grammaire de la gouvernance étatique du Sénégal

 

La crise que traverse notre pays exige une réflexion approfondie au-delà des débats partisans, faussés d'avance.

A- Une justice sénégalaise débout mais fébrile

Il faut tout d'abord rendre hommage à notre justice qui est restée debout malgré les tentatives nombreuses qui veulent la prendre en otage, venant de toutes parts. Cela fait déjà plus d'une décennie que cela perdure et il est temps de laisser la justice effectuer son travail avec sérénité car une justice forte et bien menée est garante du vivre ensemble, de la démocratie et de la sécurité dans notre pays.

Le courage des magistrats qui ont lavé l'honneur d'Ousmane Sonko sur notamment les faits de viol dont il était accusé doit être souligné. Car malgré toute l'émotion que ce genre de situations peuvent drainer, notre justice est restée imperturbable et tous les citoyens doivent soutenir nos magistrats pour les protéger ; c'est notre salut.

Sur la décision prise contre notre compatriote Ousmane Sonko, si elle s'appuie sur des bases juridiques objectives, on peut se poser la question de sa justesse au regard du contexte et des intentions d'Ousmane Sonko. Bien évidemment si on peut avoir un avis moral (cela ne doit pas être le rôle de la justice qui doit se contenter de dire le droit et rien que le droit afin que la religion du tribunal soit éclairée et préservée) quant à la démarche d'Ousmane Sonko d'aller dans ce salon de massage ; démarche dont je suis persuadé qu'il regrette. Toutefois, l'intention de détourner ou de corrompre la jeunesse est-elle matérialisée ? Est-elle établie ? Ousmane Sonko en personne avait-il connaissance de l'âge des employées du salon de massage ? Est-il obligé par la loi de le savoir ? Est-il interdit de fréquenter un salon de massage ? Je ne suis pas sûr des réponses à ces questions. C'est la raison pour laquelle, sur ce point sans vouloir remettre en cause la légitimité de nos juges, nous pouvons nous poser légitimement la question de l'équilibre de la décision et de sa portée. A mon sens Ousmane Sonko, dès lors que les faits de viol n'ont pas pu être établis, devait être purement et simplement relaxé. Je le dis sans parti pris.  Cette analyse vaut pour toute personne qui pourrait être concernée

B- Une nécessité de légiférer

Par conséquent, le fait qu'Ousmane Sonko soit disculpé ne doit empêcher en rien de protéger son accusatrice comme toutes nos jeunes filles par une décision forte contre ce salon de massage qui se permettrait d'employer des mineures sans scrupules et au mépris de la loi en vigueur en pareil matière au Sénégal. D'ailleurs, c'était l'occasion pour les parlementaires de s'en saisir pour légiférer afin que cette activité soit mieux réglementée et mieux contrôlée dans le but de protéger les exploitants et les usagers. C'est un regard citoyen et responsable que nos autorités doivent avoir à l’occasion de telles situations. C'est l'occasion de renforcer notre arsenal législatif et de l'adapter à l'évolution de notre société.

C- Gouverner autrement et protéger nos acquis sociaux, démocratiques et institutionnels

Pour ce qui concerne le débat de fond qui doit être abordé, nous disons que le président Macky Sall a posé des actes forts pour le développement et le rayonnement de notre pays. Ses réalisations sont visibles et importantes et c'est tout à son honneur en tant que premier Président né après les indépendances. Il est fondamental que la question de l'exercice direct du pouvoir ne vienne pas ternir tout ce travail qui a été mené avec certes des difficultés mais aussi des résultats tangibles.

Quelles qu'elles soient les décisions, des uns et des autres, d'accéder ou de se maintenir à la tête de l'Etat, gardons à l'esprit qu'au-delà des hommes et des femmes, ce sont nos structures coutumières et sociales, nos institutions politiques, judiciaires, économiques, militaires et administratives qui doivent être préservées. Nous ne devons jamais perdre cela de vue car nul n'est éternel. Nous devons en tant que sénégalais se saisir cette crise pour inventer au regard de nos ambitions et de notre histoire une nouvelle grammaire de la gouvernance de notre État mais également de nos territoires notamment en renforçant les moyens et l'indépendance de la justice.

D- La responsabilité des élus locaux et des acteurs territoriaux

La crise socio-économique, le mal profond qui sévit dans notre pays et qui inquiète toute une jeunesse mais également les familles n'est pas seulement le fait de l'Etat mais aussi et surtout de l'absence de politique de proximité et de la méconnaissance de leur rôle et responsabilités de beaucoup de responsables et élus locaux. Paradoxalement ceux-là sont les premiers à pousser nos jeunes citoyens à brûler le cordon de la solidarité et du vivre ensemble car leurs intérêts personnels guident leur réflexion quant au devenir du pays, de notre jeunesse, de nos territoires et de nos institutions.

E- la mobilisation stratégique de nos institutions

Il me semble que cette crise aurait pu être atténuée si nos institutions notamment notre Assemblée nationale jouaient le rôle qu'il leur est assigné. En effet, les débats sérieux et structurés au niveau de la représentation nationale sont inexistants ou inaudibles car loin des préoccupations des Sénégalais.

Les thématiques de l'emploi, de l'entreprenariat, de la formation et de l'insertion doivent être des thèmes majeurs à l'assemblée. Des projets de loi doivent être proposés et discutés de manières sérieuses concomitamment aux décisions importantes prises par le gouvernement. Ce travail en amont est inexistant ; induisant ainsi de mauvaises décisions et une mauvaise utilisation des instruments mise en place alors même que le gouvernement a dédié des moyens colossaux pour répondre à la crise que traverse notre pays.

L'Assemblée nationale n'est pas une boîte de résonance de la majorité. C'est la voix du peuple et elle doit le rester. Des enquêtes parlementaires doivent être diligentées dans beaucoup de cas d'abus des biens publics ou de fautes graves, d'événements avec des répercussions négatives majeures sur notre économie, notre société et notre pacte social. Rien n'est fait ou bien les rares initiatives sont tuées dans l'œuf.

Quant à notre exécutif et les membres du gouvernement, ils ont une responsabilité aujourd'hui et demain. Ils doivent comprendre que chaque acte posé à une conséquence positive et/ou négative. Ils doivent peser leurs sorties médiatiques. Leurs propos doivent être au-dessus des polémiques partisanes et doivent préserver les administrations qui leur sont confiées. Le comportement républicain doit les guider afin de prendre de la hauteur et de savoir que les interpellations citoyennes ne sont pas forcément des mises en accusations mais des appels à la vigilance et des rappels de leur engagement vis à vis de la nation.

F- la diversité politique source de vie et de vigueur de notre démocratie

Avec Ousmane Sonko ou tout autre opposant, le Sénégal doit éviter le syndrome Cheikh Anta Diop qui a été détesté toute sa vie avant d'être bien plus tard auréolé et bénéficier d'une reconnaissance posthume.

Quand on conduit les destinées d'un pays moderne et aux traditions démocratiques comme le Sénégal, les voix dissonantes doivent être des sentinelles intégrées dans la manière de définir et d'interroger nos actions afin d'éviter des erreurs irrécupérables ou aux conséquences désastreuses pour le pays.

L'intelligence de la gouvernance réside dans la capacité à capter les dynamiques sociales et politiques qui résultent de notre action et avoir le sens de la mesure.

Contribution d'un citoyen sénégalais

Amar Thioune

Chercheur en sciences politiques

Expert en politiques territoriales.

amar.thioune38@gmail.com

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