Publié le 21 May 2020 - 04:22
PR. KHALIFA ABABACAR WADE, ANESTHESISTE-REANIMATEUR

‘’Le Sénégal a une mortalité qui est inférieure, pour le moment, à celle des autres pathologies’’

 
Le nombre de décès et de cas confirmés de Covid-19 ne cesse d’augmenter au Sénégal. A tel point que les populations soutiennent que tous ceux qui entrent en réanimation meurent. Ce qui n’est pas le cas. Beaucoup guérissent, de l’avis du chef de Service d’anesthésie-réanimation urgence hémodialyse de l’hôpital Principal de Dakar, Professeur Khalifa Ababacar Wade. 
 
 
Alors que le nombre de patients ne cesse de s’accroitre, la mortalité inquiète. Le Sénégal est à son trentième décès lié à la Covid-19. Lundi, il y a eu deux nouvelles victimes. La première est un patient âgé de 73 ans résidant à Grand-Yoff. Il est mort le lundi 18 mai à 20 h au centre de santé Nabil Choucair. Le deuxième décès est un patient âgé de 86 ans résidant à Dakar. Il a succombé le 16 mai, dans une structure de santé privée de la place. Les résultats de l’examen effectué sur la victime, rapporte la directrice générale de la Santé, le Docteur Marie Khemess Ngom Ndiaye, sont revenus positifs. 
 
Ces deux décès, qui portent le nombre de morts à trente, viennent alourdir le bilan du mois de mai. Car le week-end du samedi 9 au dimanche 10, le pays a eu 5 décès, sans compter ceux de la semaine dernière. Une situation qui inquiète les populations, surtout celle des malades admis en réanimation. 
 
Mais le médecin-colonel, Chef du Service d’anesthésie-réanimation- urgence hémodialyse de l’hôpital Principal, rassure. Le professeur Khalifa Ababacar Wade, interrogé lors d’une visite dudit service, assure que tous les malades qui rentrent en réanimation ne meurent pas, contrairement à ceux que disent ou pensent certains. ‘’Ce n’est pas le cas. Cela fait juste 20 jours que nous recevons des malades de la Covid-19. On a déjà reçu 16 patients positifs et on a eu 4 décès. Cela fait une mortalité d’à peu près 22 %.  En réanimation, les études qu’on a faites ici à Principal montrent que le taux de décès est entre 26 et 28 % en temps normal. Dans toutes les réanimations du monde, on dit qu’un patient en réanimation sur quatre meurt. Des études ont montré que dans certains pays développés, le taux de mortalité est au-delà de 28 %. La réanimation est destinée aux patients les plus lourds. Donc, forcément, on va avoir plus de décès en réanimation que dans les autres services. Au Sénégal, pour le coronavirus, on a une mortalité qui est inférieure, pour le moment, à la mortalité des autres pathologies’’, renseigne l’anesthésiste-réanimateur.  
 
Comme preuve, le médecin-colonel informe que déjà trois personnes prises en charge au service de réanimation dudit hôpital sont guéries et rentrées chez elles. ‘’C’est vrai qu’on a 4 décès en réanimation sur 6 patients reçus. Mais il y en a deux qui sont en cours de traitement et qui évoluent bien. On a des patients très graves, puisque la réanimation est destinée aux patients les plus graves, quelle que soit la spécialité. Mais la situation est maitrisée, parce que tous les patients ont une prise en charge correcte et adéquate’’, souligne le Pr. Wade.  
 
Il affirme que ses collègues et lui traitent des maladies beaucoup plus graves que le coronavirus. La seule différence est que la Covid-19 est médiatisée. ‘’Il faut que les gens sachent que quand quelqu’un meurt de coronavirus, on en parle à la télévision, à la radio, dans les journaux et les réseaux sociaux. Ainsi, tout le monde est facilement au courant. Alors que, parallèlement, il y en a beaucoup plus qui sont morts de quelque chose au même moment. Quand on parle de Covid, les gens pensent que tout le monde en meurt’’, se désole-t-il. 
 
‘’Le virus entraine des défaillances d’organes…’’
 
Le Pr. Wade indique que dans les services de réanimation, on peut voir des patients conscients et qui arrivent même à tenir assis, alors qu’ils sont dans un état grave. Par conséquent, il n’est pas dit qu’un malade en réanimation doit être forcément dans un état comateux. La gravité s’apprécie suivant les défaillances des organes. ‘’Quand on amène un patient en réanimation, c’est pour qu’on fasse une suppléance des organes qui sont en train de lâcher. Le patient peut vous parler et avoir des défaillances d’organes très sévères. Souvent, on fait la confusion, en pensant que tous les patients en réanimation sont dans le coma. Mais non ! Le coma, c’est une défaillance d’organes du cerveau. On peut avoir d’autres défaillances d’organes qui ne font pas un coma, mais qui sont très sévères’’, explique le Pr. Wade. 
 
Le spécialiste a reconnu qu’au début, les gens pensaient que la Covid-19, c’était une insuffisance respiratoire seulement. Donc, il fallait mettre tout le monde sous respirateur artificiel. Finalement, partage-t-il, ils se sont rendu compte que c’est beaucoup plus compliqué que cela. ‘’C’est une maladie qui atteint tous les organes. Cela atteint une défaillance multi viscérale. Le cerveau peut être atteint, le poumon, le cœur, le rein, la coagulation. Finalement, cela peut être beaucoup plus sévère que ce que l’on croyait.  Actuellement, on a beaucoup de patients, mais seulement un est sous machine. Les uns sont dialysés, les autres bénéficient d’autres types de traitement de réanimation qui sont très lourds’’, fait-il savoir.
 
Pour le professeur Khalifa Ababacar Wade, la Covid-19 est un virus que personne ne connait. Il y a beaucoup de théories autour. Chaque semaine, soutient-il, on a une thèse et la semaine suivante le contraire. ‘’Cela nous pose un peu de problèmes dans cette guerre. Mais toutes les dispositions sont prises pour essayer de vaincre cet ennemi invisible. C’est une guerre difficile, mais avec beaucoup de forces, si tout le monde s’y met, les gens peuvent s’en sortir. On doit se serrer les coudes. Tous les praticiens doivent s’unir pour essayer de vaincre cette maladie’’, conseille-t-il.  
 
S’agissant du fonctionnement du centre de traitement de Principal, il informe qu’ils ont 30 patients positifs rien qu’en urgence. Ils ont été répartis entre les services des maladies infectieuses Buffler et celui qu’il gère. ‘’On a aussi des patients venant d’ailleurs. On a des patients venant de Touba, d’autres sont venus d’eux-mêmes ou régulés par le Samu ou d’autres centres. On a un centre national ouvert à tout le monde. Cela dépend juste du tableau. Si on nous présente un patient grave et qu’on a de la place, on l’accueille’’.
 
Il a, par ailleurs, lancé un appel aux populations qui ne croient pas en l’existence de la maladie.  ‘’Quand on sort dans la ville, on nous dit que la maladie n’existe pas. Nous qui sommes là, savons que ça existe. Parce que nous voyons les patients arriver avec des tableaux très graves, très sévères. On les voit nous-mêmes après traitement, après tous les efforts qu’on fait, décéder devant nos yeux. Il faut que la population sache que cette maladie existe bel et bien ici et est très grave. Elle entraine des défaillances d’organes qui sont parfois irréversibles, quelles que soient les mesures de réanimation. C’est comme toutes les maladies. Cela ne veut pas dire qu’ils vont mourir à 100 %’’, rappelle le médecin. ‘’On a eu des patients qui ont eu des arrêts cardiaques et qu’on a pu sauver. Ils nous voient dans la rue et nous encouragent. Donc, c’est pareil pour la Covid. On verra des patients sortir de l’hôpital qui vont peut-être nous remercier’’, souhaite le spécialiste. 
 
VIVIANE DIATTA
 

 

Section: