Les inondations reprennent déjà leurs aises

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Les premières perles de l’hivernage 2022 se sont abattues dans la capitale sénégalaise et ont rendu difficile la journée de beaucoup de Dakarois. À Thiès, les précipitations de la nuit du mardi au mercredi ont eu des conséquences dramatiques, avec la mort de deux personnes.
Anxieuse de ne pas recevoir ses premières pluies depuis plusieurs jours, Dakar vit un cauchemar face à la générosité du ciel qui a ouvert ses vannes hier. Conséquence : la capitale sénégalaise s’est réveillée dans les eaux issues des pluies qui n’ont pratiquement laissé aucun quartier indifférent. Et l’image forte de cette journée d’hier restera l’énorme cratère sur le pont de l’émergence. Des images impressionnantes qui ont rapidement fait le tour du Sénégal, à travers les réseaux sociaux.
Venu s’enquérir de la situation, le préfet de Dakar a laissé paraître sa surprise par rapport à la situation. Selon Mor Talla Tine, ‘’les services de la météo nous ont fait noter que c’est 84 mm de pluie qu’on a enregistrés, une partie de l’autoroute a été impactée, coupée en réalité. (…) Ce sont des situations qu’on ne peut pas prévoir. Parce que Dakar n’a pas l’habitude d’enregistrer, en l’espace d’une heure, 84 mm de pluie. Certainement, c’est ce volume d’eau important qui explique cette situation, comme cela peut arriver dans n’importe quel pays. Le plus important pour nous, c’est que, dès que cette situation a été connue, des dispositions ont été prises pour non seulement dévier la circulation, mais aussi engager l’entreprise chargée des travaux pour que de façon diligente la partie affaissée soit réparée dans les meilleurs délais’’.
Le pont de l'Émergence encore sujet à inquiétudes
Cette infrastructure, inaugurée en juillet 2016, n’en est pas à son premier coup de ‘’bad buzz’’. Quelques jours après sa mise en service, elle avait valu aux autorités des railleries, avec des flaques d'eau sur le pont, après les premières pluies. Huit mois plus tard, sur une partie de la route de l’une des bretelles de sortie, un trou béant s'est ouvert. L’entreprise en charge avait expliqué cet inconvénient comme le résultat d’un tuyau enseveli à trois mètres en dessous de la piste goudronnée, dont la pression de l'eau propulsée en geyser a occasionné l'anomalie repérée sur la chaussée.
Cette fois-ci, c’est bien la pluie qui semble être à l’origine du cratère. Mais le désagrément aux usagers de la route ne devrait pas durer très longtemps, si l’on en croit le préfet de Dakar. ''Nous nous sommes donné comme objectif de tout mettre en œuvre pour que cette nuit (celle d'hier, NDLR) tous les travaux soient terminés’’.
La qualité en questionne plus d’un. Le candidat à la députation, tête de liste de la coalition AAR Sénégal, Thierno Alassane Sall, y est allé de son petit commentaire, en demandant ‘’de quoi cet effondrement est-il le nom ? D'infrastructures surpayées et mal conçues, de l'absence d'un système de drainage des eaux adapté à une ville tentaculaire, de la boulimie foncière ?".
Mêmes préoccupations pour le coordinateur du Forum civil, qui interpelle le président de la République. Pour Birahime Seck, ‘’à ce niveau de dégénération rapide, les responsabilités du maître d’ouvrage (et/ou du MO délégué), de l’entrepreneur et du bureau de contrôle ne sont pas à exclure. Y avait-il une étude ? Qui l’a validée ? Est-ce que les spécifications techniques ont été respectées… ?’’.
Plusieurs quartiers inondés
Sur les réseaux sociaux, les images des inondations parlent d’elles-mêmes. À Liberté 6, la superbe pelouse synthétique du stade nouvellement réceptionnée est complètement recouverte d'eau et de boue. Même décor aux Parcelles-Assainies, à l’Unité 4 où des maisons et des rues offrent un triste spectacle de populations qui pataugent dans les eaux. À la Scat-Urbam, des voitures sont piégées dans les eaux. À Cambérène 2, sur la VDN, à l’avenue Blaise Diagne, partout, les images rivalisent sur les quantités d’eau déversées et sur les dégâts occasionnés.
À Keur Massar, les démons des inondations se sont déjà installés. Aux quartiers Aïnoumady, des eaux stagnantes rappellent les images des inondations de 2020. Celles-là qui avaient provoqué le déplacement du président de la République Macky Sall sur place, avec un plan spécial pour Keur Massar de 15 milliards de francs CFA.
L’année dernière déjà, les inondations avaient repris, malgré les travaux effectués sur place. Cette fois-ci, c’est le tout nouvel autopont, mis en circulation la semaine dernière, qui est mis en cause par les populations. À la cité Enseignants, un habitant a indexé l’ouvrage, dans une vidéo virale sur les réseaux sociaux : ‘’Nous vivons une véritable malédiction avec la construction de cet autopont. En plus des dégâts matériels dus à la destruction des maisons sur l’emprise, nous vivons déjà des inondations après la première pluie. Et tout cela n’est que la conséquence de la construction de ce pont qui n’a pas été bien faite pour accueillir les eaux ruisselantes. Nous avions alerté les autorités, mais rien n’a été fait.’’
Des déclarations d’autorités contredites par la réalité des inondations
Le 2 juin dernier, le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam, se disait, au terme d’une visite des ouvrages installés dans le cadre de la lutte contre les inondations, convaincu que ‘’l’engagement pris, le 17 septembre 2020, par le chef de l’État Macky Sall, de lancer des travaux d’envergure au niveau de Keur Massar, a été respecté’’.
‘’Ce que nous avons vu, ajoutait-il, nous rassure. Les populations, elles-mêmes, ont constaté que des progrès ont été réalisés, comparé à la situation de septembre 2020, quand le chef de l’État annonçait le lancement d’un programme d’urgence au niveau de Keur Massar. Cela a été matérialisé avec un premier marché de 15 milliards F CFA, puis un avenant de 2,5 et un deuxième marché de 11 milliards. En plus des travaux de canalisation, dont l’exécution se fait à un rythme satisfaisant, il y a également le bassin de la forêt classée de Mbao où sont déversées les eaux de Keur Massar et le bassin versant vers Mbeubeuss’’.
Dans une déclaration faite lors de la rencontre ‘’Gouvernement face à la presse’’ du 28 avril 2022, le ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l'Aménagement des territoires, Porte-Parole du gouvernement, faisait dans le clair-obscur. Après avoir promis la fin des inondations à maintes reprises, Oumar Guèye, s’était ravisé sur la question. ‘’Si on prend en compte ce qui est en train d’être fait à Keur Massar, à l’heure actuelle, ajouté à ce qui a été fait, normalement, la situation va s’améliorer. Mais c’est en fonction des quantités de pluie reçues. Il faut toujours se dire : si l’on reçoit 1 000 mm de pluie, alors là, il n’y a pas un seul ouvrage qui va tenir. C’est clair. Je vous ramène à ce qui se passe un peu partout dans le monde, même dans les pays développés qui ont beaucoup plus de ressources que nous. Dans les conditions normales, il y aura de l’amélioration, mais si les conditions dépassent celles que nous avions l’habitude de vivre, nous pouvons avoir des situations difficiles’’.
Malgré tout, la première pluie a déjà montré les limites des travaux effectués.
Deux morts à Thiès
À Thiès, les précipitations ont débuté avant celles notées dans la capitale. Et c’est là-bas qu’elles ont été dramatiques. En effet, Habib Sougou, la trentaine, et sa fille aînée âgée de 4 à 5 ans, ont trouvé la mort sous les décombres d’un minaret qui s’est effondré pendant la forte pluie qui a arrosé, dans la nuit du mardi au mercredi, la cité du Rail. L’accident a aussi provoqué plusieurs blessés, des talibés pour la plupart, qui ont été évacués à l’hôpital régional. Une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances à l’origine de ce triste événement.
À côté de ce drame, beaucoup de quartiers de Thiès ont été inondés par les fortes précipitations. Et selon les prévisions météorologiques, le temps restera instable sur tout le territoire et d’autres pluies sont attendues dans la nuit d’aujourd’hui et de demain.
Lamine Diouf