Publié le 21 May 2020 - 01:12
PREPARATIFS DE LA KORITE

Tailleurs et coiffeuses à l’épreuve de la Covid-19

 

 
A quelques jours de la fête de l’Aïd-el-Fitr (Korité), les tailleurs et gérantes de salon de coiffure se tournent les pouces. La pandémie de la Covid-19 a un fort impact sur ces secteurs qui, d’habitude, réalisaient leurs plus gros chiffres d’affaires, en ces périodes. 
 
 
En cet après-midi du lundi 17 mai, la vie reprend progressivement son cours à Khar Yallah (Grand-Yoff). Par petits groupes, les habitants sortent se ravitailler pour les besoins de la rupture du jeûne. Dans une ruelle sablonneuse, des étals de légumes et de fruits installés çà et là forment un marché. En face, un salon de coiffure bien visible. Un calme plat est noté à l’intérieur des lieux. Pas de gérante, ni de cliente, encore moins de trace qui témoigne d’une activité professionnelle. Deux hommes penchés sur des documents renseignent de l’absence de la maitresse des lieux. Ils ne donnent aucune précision sur la date de son retour. 
 
‘’Elle ne travaille pas aujourd’hui et ne sera pas là demain, non plus’’, nous informe-t-on sans plus de détails. L’on imagine que la gérante a mis la clé sous le paillasson ou a tout bonnement décidé de réduire ses activités, le temps que la crise passe, parce que c’est ce qu’a fait une de ses collègues, Oumy. La jeune dame au teint noir, sourcils bien tracés, tient son salon dans un coin du quartier Missirah. La mère de famille ouvre tous les jours ses locaux, dans l’attente d’une cliente potentielle. Cependant, la propreté du carrelage et le rangement impeccable des outils de travail témoignent d’une longue absence d’activité.   
 
‘’Plusieurs de mes collègues ont préféré fermer boutique, à cause de la situation. Vous avez dû sûrement faire le constat. Mon salon de coiffure est encore ouvert, parce que je suis chez moi. Donc, je ne paie pas la location, mais d’autres charges m’attendent et je tire l’essentiel de mes ressources de ce salon. Actuellement, je ne fais que dépoussiérer tous les matins, mais il faut reconnaitre que ça ne marche plus’’, explique-t-elle. Elle garde le sourire malgré la situation. 
 
Néanmoins, Oumy reste nostalgique de l’ambiance des années précédentes où, à pareille heure, se rappelle-t-elle, la confection des perruques avait déjà démarré et des rendez-vous fixés pour certaines clientes.  ‘’Cette année, tout est calme. Je ne pense même pas à passer des nuits blanches au travail. Les gens sont méfiants à cause de la maladie. On s’évite.  La preuve, toutes mes assistantes ont préféré rester chez elles. Je n’ai pas d’ailleurs les moyens de les prendre en charge’’, dit-elle.  
 
Même tableau chez Soda. Ici, on évite les rassemblements. La jeune mère de famille tient son échoppe en face du centre Talibou Dabo. Heureusement pour la jeune dame qui a su se réinventer. Elle a préféré multiplier ses chances pour ne pas dépendre que de la coiffure. Soda offre, en effet, des tenues prêt-à-porter pour homme et des produits cosmétiques bien disposés sur des étagères. 
 
Il y a quand même des jours de chance pour elle, comme ce lundi. Elle est sollicitée par une cliente pour des tresses traditionnelles. ‘’Je peux rester parfois toute une journée à me tourner les pouces. Je ne peux pas, non plus, fermer ma boutique, car c’est mon gagne-pain. Je suis là tous les jours, en espérant recevoir des gens’’, dit-elle sur un ton triste. Comme si la rareté des clients ne suffisait pas, elle est obligée de rentrer tôt. Résidant à la Scat-Urbam, elle est obligée de quitter très tôt son lieu de travail pour rejoindre son domicile conjugal, pour préparer la rupture du jeûne, mais surtout à cause du couvre-feu. ‘’C’est vrai qu’il y a un assouplissement, mais on ne peut pas passer la nuit pour travailler, comme cela se faisait les années précédentes. D’ailleurs, nous n’avons même pas suffisamment de clients pour cela’’, indique-t-elle.
 
Par ailleurs, ces gérantes de salon de coiffure ne sont pas les seules à souffrir des affres de la crise sanitaire.
 
Les tailleurs en ressentent également les contrecoups. C’est le cas de Yacine, une couturière qui emploie deux jeunes tailleurs. Chez elle, les commandes foisonnent. Taille moyenne, elle fait des va-et-vient incessants entre son domicile et l’atelier pour s’enquérir de l’évolution du travail. ‘’Nous avons des commandes certes, mais il faut reconnaitre que ce ne sont pas des tissus de valeur qui nécessitent un paiement important. Donc, on gagne beaucoup moins. Cette année, c’est la soie qui est prisée et la plupart des commandes sont pour les enfants. On a la chance d’être chez nous, les tailleurs peuvent alors s’enfermer la nuit pour travailler’’, se réjouit-elle.  
 
‘’Certains de nos collègues tailleurs souffrent’’
 
Ibrahima, par contre, estime qu’il est impensable de passer la nuit avec ses faibles commandes. Son atelier établi au quartier Darou Rakhmane de Grand-Yoff grouille au rythme des machines à coudre. A cela s’ajoute une sonorisation qui distille des mélodies arabes. Trouvé à l’arrière de l’atelier s’activant sur une table de repassage, le tailleur expose la situation : ’’Les clients viennent à compte-gouttes. D’habitude, à cette période, on était débordé et on passait nos nuits au boulot. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Les périodes de fêtes nous permettent de sortir la tête de l’eau, car les temps sont durs.’’ Ce qui ne va pas sans conséquence. Payer la location de l’atelier devient difficile. ‘’Cette crise est mondiale, donc nous essayons de communiquer avec nos bailleurs qui sont très compréhensifs. J’ai décidé aussi de ne pas engager de tailleur, mais plutôt de me contenter de mes apprentis pour alléger les charges’’, fait-il savoir.
 
Mass, qui a décidé de faire cavalier seul depuis quelque temps, n’est pas confronté aux problèmes de location. Trouvé tout seul dans son atelier où sont empilés dans un coin quelques tissus, le jeune couturier est occupé à terminer une tenue. Vêtu d’un t-shirt vert clair, il reconnait que les clients ont actuellement d’autres priorités que de s’acheter de nouvelles tenues pour la Korité. Mass reste cependant très sensible à la situation de ses collègues qui sont établis dans les marchés. 
 
‘’Je suis chez moi. Donc, les mesures de restriction ne sont pas source d’obstacle. Par contre, les autres sont obligés de fermer à partir de 17 h. Il faut reconnaitre que nos collègues souffrent en ce moment. Ils ont en charge la location et le paiement des employés’’, se désole-t-il. 
 
Les gestes barrières
 
Nos interlocuteurs n’ont cependant pas oublié les exigences du coronavirus et les gestes barrières, malgré la recherche du gain. En effet, d’après Yacine, elle reçoit ses clients avec un masque dans son atelier exigu. ‘’Je vais me laver directement les mains à chaque fois que je sors d’ici et les tailleurs ont chacun une bouteille de gel hydro-alcoolique dans leur poche’’, rassure-t-elle. 
 
Pendant ce temps, Ibrahima indique qu’il a fait du port du masque une obligation dans son lieu de travail. ‘’Pour la prise de mesures, je me débrouille pour ne pas être trop proche du client’’, renseigne-t-il. Dans les salons de coiffure, par contre, cette distance n’est pas évidente. Mais pour Soda, il faut privilégier le port du masque et le lavage systématique des mains après chaque service.  ‘’Vous voyez que j’en porte et ma cliente aussi. A la descente, je préfère marcher pour éviter les transports en commun. Et pour le reste, je m’en remets à Dieu’’, confie-t-elle. 
 
Ces artisans interrogés sur l’appui financier accordé aux secteurs impactés par la crise, disent n’avoir aucune information sur ce soutien étatique. Mass, lui, dit n’attendre rien de personne pour faire fonctionner son atelier. ‘’La situation est dure certes, mais on ne peut pas rester les bras croisés. Toute aide sera cependant la bienvenue’’, souligne-t-il. Même son de cloche chez Ibrahima qui informe n’avoir reçu aucun soutien. Pis, il fait savoir qu’aucun de ses pairs n’a, à sa connaissance, bénéficié de cette assistance. Et pourtant, ces artisans visités restent très affectés par la crise sanitaire actuelle. D’après Oumy, depuis le début de la pandémie, son salon de coiffure ne reçoit qu’une cliente par semaine. ‘’Je peux dire que même avant les préparatifs de la Korité, on ne travaillait que les samedis‘’, se désole-t-elle.  
 
Avec l’étude sur l’impact de la Covid-19 commanditée par le ministre de l’Industrie et des Petites et moyennes industries sur son secteur, nos interlocuteurs peuvent peut-être garder un brin d’espoir. 
 
HABIBATOU TRAORE 

 

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