Vers une gouvernance transparente

Le 18 août 2025, les députés sénégalais se réuniront en session plénière extraordinaire à l’Assemblée nationale, comme l’a annoncé la députée Fatou Cissé Goudiaby. Cette session examinera quatre projets de loi visant à renforcer la transparence et la redevabilité : la réforme de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), la protection des lanceurs d’alerte, l’accès à l’information publique et la déclaration de patrimoine des agents publics. Ces initiatives, portées par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, marquent une volonté de rupture avec les pratiques passées et de consolidation de la gouvernance démocratique.
Le projet de loi n°13/2025 sur les lanceurs d’alerte, récemment adopté en Conseil des ministres, définit un cadre juridique inédit pour protéger ceux qui dénoncent des actes illicites. Selon l’article 1er, un lanceur d’alerte est une personne physique qui, de bonne foi, signale des crimes ou délits financiers, des menaces à l’intérêt général ou des violations affectant la gestion des finances publiques ou privées. Sont exclus les signalements liés au secret de la défense nationale, au secret médical ou à d’autres secrets protégés par la loi.
Ce texte confère également le statut de lanceur d’alerte à des entités ou personnes assistant les dénonciateurs ainsi qu’à ceux exposés à des représailles en raison de leur lien avec un lanceur d’alerte (article 2). Une innovation notable concerne les ‘’prête-noms’’ de biens illicites : ceux qui dénoncent volontairement des avoirs illégaux avant toute enquête bénéficient d’une exonération de responsabilité pénale et d’une compensation financière pouvant atteindre 10 % des montants recouvrés (articles 3, 19, 20).
Par ailleurs le texte établit des procédures claires pour les signalements, qui peuvent être internes (via un référent désigné au sein de l’entité concernée) ou externes (auprès de l’organe anticorruption, par courrier, voie électronique ou téléphone, avec ou sans anonymat) (articles 4-7). Les entités publiques et privées doivent mettre en place des mécanismes de recueil des signalements, avec des référents garantissant confidentialité et indépendance (article 6).
Pour protéger les lanceurs d’alerte, le projet interdit toute forme de représailles, telles que licenciements, rétrogradations ou harcèlement (article 9). L’immunité pénale et civile est garantie pour les signalements conformes à la loi et l’identité des lanceurs d’alerte reste confidentielle, sauf autorisation judiciaire (articles 10-11). Un fonds spécial de recouvrement des avoirs illicites, alimenté par les restitutions et les partenaires financiers, financera des récompenses pour les lanceurs d’alerte et des projets sociaux (articles 17-18).
Ce projet, s’il est adopté, ferait du Sénégal le premier pays d’Afrique francophone à légiférer sur la protection des lanceurs d’alerte. ‘’C’est un signal fort qui pourrait inspirer d’autres pays’’, estime Jimmy Kandé, directeur Afrique de l’Ouest de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf).
Cependant, Amadou Diallo d’Amnesty International met en garde contre les dérives : ‘’Lanceur d’alerte ne veut pas dire délateur. Il faut éviter les abus tout en protégeant la dignité des personnes.’’
Accès à l’information : un droit fondamental en marche
Parallèlement, le projet de loi sur l’accès à l’information, également adopté en Conseil des ministres, vise à garantir aux citoyens un accès aux données détenues par les administrations publiques. Ce texte, en gestation depuis 2011, répond à une demande de longue date des organisations de la société civile comme Panos, Article 19 et Africtivistes.
‘’Cette loi est un outil pour les journalistes et les chercheurs, mais surtout pour les citoyens qui pourront demander des comptes’’, souligne Biram Faye, membre du réseau Panos.
Le Premier ministre Ousmane Sonko, qui a lui-même dénoncé des pratiques opaques en 2016, au prix de sa radiation de la Fonction publique, a insisté sur l’importance de ce droit : ‘’Chaque citoyen doit savoir ce que font le Premier ministre, les ministres et les directeurs.’’
Cette réforme s’inscrit dans un cadre international, soutenu par l’UNESCO qui célèbre, le 28 septembre, la Journée internationale de l’accès universel à l’information.
Cependant, des défis subsistent. Mamadou Thior, journaliste et membre du Cored, met en garde contre les clauses d’exception mal définies, comme la sécurité nationale ou la vie privée, qui pourraient limiter l’effectivité du texte. ‘’Sans précisions claires, ces notions risquent d’être interprétées de manière subjective’’, avertit-il. Abou Sy, journaliste à ‘’L’As’’, abonde dans le même sens : ‘’L’accès à l’information doit être responsable, en excluant les secrets militaires ou commerciaux, mais en privilégiant l’intérêt public.’’
Un défi culturel et pratique
Ces réformes exigent un changement profond de la culture administrative, souvent marquée par l’opacité et la frilosité. ‘’Ce texte peut bousculer les fonctionnaires qui refusaient l’accès à des documents sans justification. Désormais, ils devront motiver leurs refus, sous peine de sanctions’’, explique Mamadou Thior. Cette obligation pourrait transformer les pratiques, notamment dans des secteurs comme les industries extractives où l’opacité sur les montages financiers a longtemps prévalu.
Le Sénégal, l’un des rares pays de la CEDEAO sans cadre légal complet sur l’accès à l’information, rattrape ainsi son retard. Onze des quinze pays membres de la CEDEAO disposent déjà de telles lois, bien que leur application reste inégale. Les expériences africaines, comme au Ghana où des lanceurs d’alerte ont été assassinés, rappellent l’importance d’une mise en œuvre rigoureuse.
Une rupture avec le passé
Ces projets de loi s’inscrivent dans l’engagement du président Faye et du Premier ministre Sonko à moraliser la vie publique. Ils répondent à des promesses électorales du Pastef, qui incluent également la réforme de l’Ofnac et la généralisation de la déclaration de patrimoine.
En 2016, Ousmane Sonko avait payé le prix de ses dénonciations. Aujourd’hui, son gouvernement veut protéger ceux qui suivent son exemple.
Toutefois, la société civile reste prudente. ‘’Ces lois doivent être accompagnées de mécanismes d’application concrets’’, insiste Mamadou Thior. Jimmy Kandé appelle à des autorités indépendantes pour traiter les signalements et garantir l’anonymat des lanceurs d’alerte. Ces réformes, si elles sont bien appliquées, pourraient faire du Sénégal un modèle de gouvernance transparente en Afrique.
Ces projets de loi sur les lanceurs d’alerte et l’accès à l’information incarnent un choix politique et éthique : faire confiance aux citoyens et accepter la reddition des comptes. Leur adoption lors de la session du 18 août 2025 pourrait marquer un tournant pour la démocratie sénégalaise, à condition que la volonté politique s’accompagne d’une mise en œuvre rigoureuse et d’un changement culturel profond.
AMADOU CAMARA GUEYE