Publié le 18 Nov 2020 - 19:19
PROTECTION SOCIALE :

Absence de politiques de protection

 

Malgré les nombreux mécanismes mis en place par les pouvoirs publics, plus de 60 % de la population estime être laissée en rade dans la mise en œuvre des politiques en matière de protection sociale. Hier, lors d’un atelier organisé par le Reprosoc (Renforcer la société civile pour une protection sociale efficace), certains acteurs n’ont pas manqué de faire le lien avec le développement de phénomènes comme l’émigration clandestine et la nécessité de pérenniser et de renforcer les mesures de prise en charge des populations les plus nécessiteuses.

 

Au Sénégal, malgré les nombreux mécanismes éployés depuis 2012, la plupart des populations n’ont pas accès à la protection sociale. Selon le professeur Abdou Salam Fall, une étude menée par le Lartes (Laboratoire de recherches sur les transformations économiques et sociales) a montré que seulement 17 % de la population a accès à une mesure de protection sociale. Il précise : ‘’Cette étude a été réalisée sur un échantillon de 18 000 personnes à l’échelle nationale. Dix-sept pour cent ont dit avoir eu à bénéficier d’au moins un des mécanismes de protection sociale mises en œuvre.’’

Pourtant, renseigne le professeur Abdoulaye Sakho, la Constitution, en son article 1er, a prévu que le Sénégal est certes une République laïque, démocratique, mais elle se veut aussi sociale. Il regrette : ‘’Nous passons notre temps à parler de la laïcité et de la démocratie, mais nous parlons très peu de la République sociale. Alors que rien n’est plus important dans le contexte sénégalais. Moi, je pense qu’il faudrait même l’inscrire parmi les domaines réservés du président de la République. C’est une priorité parmi les priorités.’’

Pendant que l’Etat brille par son absence dans la prise en charge d’une bonne partie des populations les plus nécessiteuses, l’accroissement de la pauvreté a fini d’ébranler la solidarité au niveau du tissu familial et communautaire, naguère moyen de substitution des pouvoirs publics. Ce qui n’est pas sans corrélation sur le développement de certains phénomènes comme l’émigration clandestine. Professeur Sakho : ‘’Autrefois, la solidarité permettait de combler le gap. Mais elle ne fonctionne plus comme avant. C’est ce qui pousse les jeunes à partir à l’aventure, face aux difficultés à trouver de l’emploi, le bien-être. Je pense que la question de la protection sociale doit être au cœur des politiques publiques.’’

Le professeur Abdou Salam Fall ne dit pas le contraire. A l’en croire, les jeunes, catégorie exposée aux vulnérabilités, faisaient dans la débrouillardise. ‘’Parce qu’il devenait de plus en plus difficile de se débrouiller, ils avaient commencé à prendre les airs. Ensuite, puisque les frontières sont maintenant fermées, ils prennent les embarcations de fortune pour l’émigration clandestine. Tout ça, c’est parce qu’ils n’arrivent plus à satisfaire leurs besoins dans le pays. C’est cela l’intérêt de la protection sociale’’.  

Abondant dans le même sens, le président de l’Union des associations des élus locaux (UAEL), Adama Diouf, dira : ‘’Notre devoir, nous en tant qu’élus, c’est de combler les inquiétudes de nos populations. On ne peut pas être là à assister les gens mourir en mer, sans réagir. Et parmi les facteurs qui poussent les gens à aller à l’aventure, il y a cette vulnérabilité. Pour y faire face, il faut de l'inclusion. C’est une question de justice sociale, de démocratie participative, d'économie inclusive. Mais cela coûte cher et il faut que tout le monde contribue’’.

Pour le président du Conseil départemental de Kaffrine, le gouvernement est résolument engagé dans cette dynamique, par la construction d’un système de politique sociale durable. ‘’Tel est, souligne-t-il, l’axe 2 du Plan Sénégal émergent.
Cet engagement s'est traduit par la mise en place d’outils majeurs (bourses de sécurité familiale, couverture maladie universelle, revenu national unique, carte d'égalité des chances... C’est donc une volonté manifeste qui se traduit par des résultats’’.

Il ressort des différentes communications que les couches les moins protégées sont celles qui en ont le plus besoin. Il s’agit des populations pauvres, celles qui évoluent dans le secteur informel ainsi que dans le monde rural. Selon les différents participants, il urge de trouver des solutions pour enrôler ces masses importantes de la population dans les politiques en matière de protection sociale.

Les contingences politiques ne doivent pas nuire à la pérennisation des politiques

Sur initiative de la Cicodev (Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement) financée par l’Union européenne, les acteurs étatiques et de la société civile se sont penchés, hier, des heures durant, sur les meilleures stratégies pour renforcer et rendre pérennes les politiques de protection sociale au Sénégal. C’est dans ce cadre que s’inscrit la mise en place de la plateforme Renforcer la société civile pour une protection sociale efficace (Reprosoc).

Mais comment rendre durables ces politiques, si l’on sait que les gouvernants ont toujours été accusés de les politiser ? Le directeur exécutif de la Cicodev, Amadou Kanouté, déclare : ‘’C’est justement pour nous assurer que certaines politiques soient trans-mandatures, c’est-à-dire qu’elles vont au-delà des mandats. L’important est que cela puisse être porté par des acteurs qui y croient ; par des acteurs qui se disent : quelles que soient les contingences politiques, il nous faut nous assurer que le citoyen est au cœur des politiques publiques. Et mettre le citoyen au cœur des politiques. C’est ça la protection sociale. C’est de veiller à identifier ceux qui sont les plus vulnérables, les plus pauvres, les plus faibles et mettre en place des politiques pour qu’ils ne soient pas laissés en rade. C’est l’occasion de saluer la démarche inclusive de la Délégation générale. Ce faisant, nous allons éviter que les contingences politiques ne soient pas des obstacles qui nuisent à la pérennisation de ces politiques.’’

Dans ce cadre, l’Institut africain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement a réalisé une enquête des mécanismes de protection sociale. ‘’L’étude, renseigne M. Kanouté, a montré des incohérences, une dispersion des efforts, un manque de synergie… Nous demandons donc à la Délégation générale à la protection et à la solidarité d’être comme un chef d’orchestre pour coordonner et mettre en harmonie toutes les actions’’.

Saluant les initiatives prises par le gouvernement depuis 2012, il lance un appel à tous les acteurs pour plus d’engagement et de synergie des actions. ‘’La protection sociale, souligne-t-il, a un coût. Mais tout le monde reconnait que c’est un investissement. Puisqu’il faut le faire, il faut qu’on se donne les moyens de le faire. Autant c’est la mission de l’Etat, autant c’est l’apanage de tout le monde. Quand je dis tout le monde, je pense à l’autorité territoriale, aux parlementaires, aux partenaires, aux organisations de la société civile, mais aussi aux groupes organisés comme les ‘bajenu gox’… Ensemble, il faut trouver les moyens de pérenniser les mesures de protection sociale’’.

Selon la déléguée générale en charge de la protection sociale, cette problématique est érigée en rang de priorité du gouvernement actuel. Pour elle, ce domaine est trop vaste et tous les acteurs y ont une place. Et d’ajouter : ‘’La protection sociale est une exigence et la Covid vient renforcer la pertinence de la mettre au cœur de nos politiques. Cette initiative, nous l’espérons, va renforcer davantage les mécanismes mis en place.’’

Interpellée sur l’évaluation de l’impact des mécanismes mis en place par le gouvernement du Sénégal, elle rétorque : ‘’Nonobstant les évaluations régulières que nous faisons avec la Banque mondiale, là nous sommes en train de faire une évaluation d’impact. Mais il faut savoir que l’impact s’acquiert sur le long terme. Pour les bourses de sécurité, par exemple, il faut savoir que sortir un ménage de la pauvreté n’est pas chose facile. De plus, il ne faut pas perdre de vue que la pauvreté est aussi une question de comportement. C’est pourquoi, au-delà des cash-transferts, nous encadrons aussi les bénéficiaires.’’  

Mor AMAR

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