Publié le 8 Jun 2022 - 14:37
RÉINSERTION SOCIALE DES CONDAMNÉES POUR INFANTICIDE

La double peine

 

Les femmes condamnées pour infanticide ne sont pas au bout de leurs pénitences, lorsqu’elles terminent de purger leurs peines, souvent longues. Elles doivent alors passer devant le tribunal de la société, reconstruire les liens familiaux distendus ou coupés et affronter, au quotidien, le regard des autres. Esseulées, le plus souvent, il leur faut vivre loin de leurs enfants et trouver des moyens de subsistance. ‘’EnQuête’’ a rencontré certaines d’entre elles qui racontent leur histoire. Elles demandent miséricorde et réclament l’aide de l’État et des ONG.

 

Les crimes d’infanticide sont aussi vieux que le monde. Au Sénégal, presque à chaque session de chambre criminelle, autrefois cour d’assises, des femmes sont jugées et condamnées pour ce crime. La plupart d’entre elles évoquent la peur d’être la risée de leur famille ou de la réaction des parents, pour expliquer leurs gestes. Elles purgent, souvent, des peines allant de 5 à 10 ans. Après avoir recouvré la liberté, se pose l’épineuse question de leur réinsertion sociale. Car, après en avoir terminé avec la justice, elles doivent vivre avec le regard de la société. Et le tribunal populaire est souvent impitoyable.

Trouvée dans un quartier d’une localité de la région de Diourbel, Laurence* revient sur cet épisode douloureux de sa vie. ‘’J’étais mariée à un émigré. Malheureusement, j’ai commis l’irréparable, en m’acoquinant avec un agent de la Senelec, afin de pouvoir payer mes factures d’électricité, parce que mon mari n’avait pas suffisamment de revenus pour prendre en charge la famille. De cette relation adultérine, je suis finalement tombée enceinte. Lorsque je lui ai fait part de ma grossesse, il m’a dit qu’il n’était pas l’auteur.  Pour ne pas être la risée du quartier et de ma belle-famille, j’ai décidé, quand j’ai ressenti les premières douleurs, de me débarrasser de cet enfant. Je l’ai étranglé avant de le mettre dans un sac en plastique et de l’enterrer dans un coin de la rue’’.

Depuis ce geste fatidique, sa vie est un enfer. La dame est obligée, aujourd’hui, de se prostituer pour vivre. ‘’Depuis lors, et même après mon arrestation et ma condamnation, je n’ai plus de vie de famille. Je fais l’objet de railleries. D’ailleurs, pour subvenir à mes besoins, j’ai préféré ne plus loger dans la maison de mes parents et de trouver refuge dans une autre ville où j’exerce le plus vieux métier du monde, pour pouvoir prendre en charge mes enfants et moi’’.

Le cas de Laurence n’est pas isolé. Elles se comptent par des centaines. Revenant sur son cas, Ndèye Astou, emprisonnée pendant cinq ans à la Maison d’arrêt et de correction de Diourbel pour infanticide, cherche difficilement à retrouver sa place dans la société. ‘’Je n’avais pas peur pour moi, mais pour mes enfants qui vont payer pour des erreurs qu’ils n’ont pas commises. J’avais certes caché la grossesse, mais je n’avais pas tué l’enfant. Ce que j’ai vécu ces quatre ans, Dieu seul le sait’’, confie-t-elle.

Autre ex-détenue, autre récit de vie, autre drame familial. Tête baissée, mains croisées, Khady* livre sa version des faits. ‘’Deux ans après la mort de mon mari, je suis tombée enceinte de son meilleur ami. J’avais des doutes sur mon état, les tests de grossesse étaient négatifs, mais j’ai finalement accouché d’un bébé sans vie. Je l’ai enterré avec l’aide d’un vieux, puis, trois jours après, j’ai reçu la visite de policiers. Depuis, je suis en prison’’.

Les femmes détenues moins soutenues que les hommes

Au Sénégal, les infanticides sont devenus un véritable problème de société. En toile de fond, le manque d’éducation et la méconnaissance de la contraception, ainsi que l’interdiction de l’avortement. Toutes ces femmes ont en commun la difficile et épineuse équation de leur réinsertion sociale. La plupart basculent dans la prostitution et peinent à trouver un mari. C’est parce que, explique Laurence, ‘’au Sénégal, les gens aiment fouiner dans le passé des autres. C’est l’une des raisons qui font que nous ne pouvons plus retourner dans nos localités d’origine, parce que certaines qui l’ont tenté ont été la risée des autres. Même nos parents nous fuient. L’État devrait en principe mettre en place un fonds de réinsertion sociale, surtout que nous ne recevons aucun appui ou aide’’.  

Une autre de renchérir : ‘’Être femme en prison, c’est être davantage coupé de sa famille que ne le sont les hommes. Contrairement aux hommes qui continuent d’avoir régulièrement des visites de la part de leur entourage, notamment féminin (mères, conjointes, sœurs, etc.), nous autres femmes sommes moins soutenues, pendant notre incarcération’’.

L’équation de l’indépendance financière

D’autres ex-détenues plaident pour des circonstances atténuantes à l’endroit de ces femmes qui ont eu maille à partir avec la loi. Ndèye Astou déclare à ce propos : ‘’Après avoir fini de purger notre peine, nous n’avons plus de réputation, plus d’honneur, plus de famille. Personne ne veut de nous. On nous juge sans nous comprendre et dire que, pour la plupart d’entre nous, les enfants étaient des mort-nés, mais nous n’avons aucune preuve pour le montrer. L’État gagnerait à nous accompagner avec des psychologues et des facilités de réinsertion économique, parce qu’on ne peut pas réussir la réinsertion sociale en restant dépendantes financièrement.  C’est un véritable chemin de croix pour nous autres femmes. J’invite aussi les organisations non gouvernementales à orienter leurs actions vers nous’’.

À la sortie de prison, les femmes doivent affronter le regard de la société qui n’est pas tendre avec celles qui ont été condamnées à des peines de prison. À cela s’ajoute l’épreuve de la reconstruction du lien familial. Pour certaines, la garde des enfants leur a été retirée ; pour d’autres, il s’agit de renouer avec des proches dont elles sont sans nouvelle depuis des années, surtout lorsqu’il s’agit de longues peines. Le temps et l’éloignement créent une distance qu’il faut désormais combler, rattraper.

Certaines femmes ont perdu leur logement, pendant leur incarcération et se retrouvent à la rue. Sans un toit, sans un emploi, ne pouvant compter sur le soutien de leur entourage, les risques de récidive et donc de retourner en prison sont grands. Enfin, il existe peu de structures de réinsertion dédiées aux femmes, une fois hors des murs de la prison.

La mise à l’abri de ces femmes, mais surtout le soutien et l’accompagnement dans la réalisation de leurs projets de vie, sont indispensables, si l’on veut les aider à se reconstruire, à s’éloigner définitivement de la délinquance et leur éviter un retour à la case prison.

Boucar Aliou Diallo (Diourbel)

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