Publié le 14 Jul 2020 - 17:34
RAPPORT 2018-2019 DE L’IGE

La bamboula sur les ressources publiques n’a jamais cessé 

 

L’inspection générale d’Etat a publié hier ses rapports de 2016 à 2019. Entre l’achat de voitures sur le dos de l’Etat, le clientélisme politique, les emplois fictifs ou encore les détournements d’objectif, les ressources publiques ont été grandement gaspillées entre 2018 et 2019.   

 

Les rapports très attendus de l’Inspection général d’Etat (IGE) sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes ont été publiés. Dans ceux concernant les périodes de 2018 et 2019, plusieurs irrégularités et manquements ont été notés dans la gestion des biens publics. A commencer sur  le parc automobile de l’Etat. Selon les informations reçus par les enquêteurs, les véhicules administratifs de l’Etat, des collectivités locales, des établissements publics et autres organismes publics, notamment les agences et autres autorités administratives indépendantes, sont pour l’essentiel acquis en dehors du programme annuel.

Par exemple, au titre du programme 2018, la DMTA (direction du matériel et du transit administratif) avait prévu d’acheter 100 véhicules dont 80 véhicules 4X4 et 20 berlines, et 40 motocycles. Mais en lieu et place, 882 voitures ont été achetés, comme l’expliquent les vérificateurs de l’Etat : « Pour la même année, la CCVA (commission du contrôle des véhicules administratifs) a reçu 194 demandes pour l’acquisition de 484 véhicules 4X4 ou 4X2, 290 berlines et 108 voitures utilitaires, soit un total de 882 véhicules, auxquels il faut ajouter 306 motocyclettes ». Au vu de ces statistiques, fait remarquer le rapport, quasiment un véhicule sur 9 devait être acquis par le biais du programme annuel.  

L’IGE a aussi constaté « un grave problème d’éthique, de désinvolture et d’irrespect notoire des règles prescrites » concernant des autorités appelées à d’autres fonctions et qui refusent ou tardent à rendre leurs voitures de fonction. En 2017, fait-il savoir, un agent de l’Etat d’une direction a prêté 4 voitures à un ministre, alors qu’ils ne sont pas dans le même département. Ce qui est formellement interdit. Et jusqu’en 2019, ce ministre n’en a rendu qu’un seul.

Le rapport révèle en outre que les véhicules administratifs sont parfois conduits par des personnes ne disposant ni d’une carte professionnelle de chauffeur, ni d’une autorisation spéciale de conduire. L’IGE a aussi noté un défaut de visite technique annuel des voitures de l’Etat, dont une grande partie est très mal entretenue et bloqué, en panne, dans  des garages privés. Les enquêteurs recommandent un inventaire du parc automobile de l’Etat compte tenu des dépenses annuelles qui y sont consacrées.

Dans leurs enquêtes au niveau des départements ministériels, les vérificateurs de l’Etat ont constaté des projets, ou supposés tels, mis en œuvre depuis plusieurs décennies sans que leur clôture ne soit envisagée. Au ministère de l’Emploi, le projet Fonds national d’Action pour l’emploi (FNAE) est en cours depuis pratiquement 20 ans. Il faut rappeler qu’un projet n’est pas un service administratif, mais un programme qui poursuit des objectifs dans un délai précis.

Par ailleurs, le rapport montre que pour satisfaire un clientélisme, des personnes sont recrutées dans l’administration sans que le ministre de la Fonction publique, délégué de ce pouvoir au nom de l’Etat, ne soit impliqué.

Libéralités dans les recrutements

Au niveau des établissements publics à caractère professionnel, plusieurs actes scandaleux ont été notés au Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD). Dans leurs vérifications, les agents de l’IGE ont remarqué le recrutement de 4 cadres dont 2 qui n’avaient pas l’expérience professionnelle requise et 2 autres embauchés sans appel à candidature. Plus grave encore, il y a été noté un poste fictif « occupé » par un cadre qui a quitté le CETUD, depuis plusieurs années, et qui continue à y être rémunéré avec un CDI. Recruté en 2007, il a été nommé, dix ans plus tard, directeur d’une administration centrale.

Quelque mois après cette nomination, révèle le rapport, « le directeur général du CETUD a nommé l’intéressé comme chargé de mission. Il s’agit d’un artifice pour justifier le maintien d’un certain niveau de revenu, alors que son traitement aurait du être supporté par l’Etat suivant la grille de salaire applicable aux directeur nationaux qui ne sont pas agents de l’Etat. Il n’effectuait aucune prestation pour le CETUD pouvant justifier une rémunération. De surcroît, cette personne est désignée représentant titulaire de l’autorité de tutelle à l’assemblée plénière du CCETUD ».

A la SAPCCO-SENEGAL, les agents de l’IGE ont remarqué qu’il n’existait aucun document de synthèse retraçant l’historique des recrutements. Les dossiers qu’ils y ont consultés ne permettent pas de s’assurer que les agents choisis à l’issue d’un processus de sélection l’ont été sur la base des demandes d’embauche reçus. Fait à noter, la  SAPCO est « confrontée à plusieurs contentieux qui ont trait en général à une procédure d’expulsion pour défaut de paiement de loyer. Rien que les honoraires des avocats pour régler ces contentieux sont de 144  325 507 francs CFA ».

Le rapport 2018-2019 s’est aussi penché sur l’orientation des bacheliers dans les établissements privés  d’enseignement supérieur (EPES). Il note que durant ces deux années, la qualité des établissements n’était pas un critère déterminant. Et l’orientation dans les EPES a été marquée par  des carences rédhibitoires précisant un défaut de référentiel et l’absence d’un partenariat stratégique entre l’Etat et ces entités. Les enquêteurs ont révélés que le corps enseignant des EPES est majoritairement composé de vacataires, de consultants, de doctorants ou de titulaires de masters. Bon nombre de ces établissements ne disposent pas du minimum de 10 % d’enseignants permanents requis par le décret sur le statut des établissements privés d’enseignements supérieurs.

La durée de prise en charge de la formation de ces bacheliers est, selon les contrats de placement et de formation le ministère de l’enseignement supérieur et les EPES, est de 3 ans, correspondant à la durée pour l’obtention d’une Licence. Elle peut être exceptionnellement rapportée à 4 ans pour quelques redoublants. Et ces informations n’ont pas été suffisamment communiquées.

Lamine Diouf

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