Sale temps pour les hommes d’affaires

Pas de répit pour les patrons sénégalais. Après Khadim Ba, Samuel Sarr, Mahamadane Sarr, Tahirou Sarr, Moustapha Ndiaye, Rayane Hachem… c’était au tour, hier, de Mbagnick Diop de passer devant le Pool judiciaire financier, avant de bénéficier d’une liberté provisoire.
Mbagnick Diop en garde à vue. L’information a fait le tour de la toile, hier, dans la journée. La révélation a été faite par le journal ‘’Le Témoin’’, qui informe, dans son édition d’hier, que le président du Mouvement des entreprises du Sénégal (Meds) venait de passer sa première nuit au commissariat.
Selon le journal, l’homme d’affaires a été longuement entendu la veille par la Division des investigations criminelles (Dic), car il aurait été cité dans un rapport de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), aux côtés de l’artiste Waly Ballago Seck.
Déféré devant le Pool judiciaire financier, M. Diop a pu bénéficier d’une liberté provisoire. Il allonge ainsi la longue liste des hommes d’affaires ayant aujourd’hui des démêlées avec la justice.
Bien avant lui, il y eut les cas de Samuel Sarr, Khadim Ba, Tahirou Sarr, Mahamadane Sarr… Tous sont en prison pour divers chefs d’inculpation. Alors que certains ont été épinglés par des rapports, notamment de la Centif, d’autres croupissent pour des contentieux privés.
L’une des premières fortes personnalités à avoir été envoyée en prison est le patron de Locafrique, Khadim Ba. Cela fait en effet presque un an que le milliardaire a été placé sous mandat de dépôt par le Pool judiciaire financier, à la suite d’un litige avec la douane sénégalaise. Khadim Ba est poursuivi dans le cadre de l’affaire Dermond Oil, pour faux et usage de faux dans un document administratif, importation sans déclaration de marchandises prohibées, violation de la réglementation des changes, escroquerie portant sur des deniers publics, entre autres. Des accusations rejetées en bloc par M. Ba et ses défenseurs, qui brandissent le rapport d’un expert désigné par le juge d’instruction lui-même.
Ledit rapport, dont les détails ont été largement relayés par son avocat, Me Djiby Diallo, aurait indiqué que Khadim Ba n'est ni importateur, ni transitaire, ni établissement financier. Il ne pouvait donc être tenu pour responsable des opérations d'importation ayant motivé les poursuites.
Face au juge, le patron de Locafrique a soutenu que si une infraction devait être retenue, elle ne relèverait ni de sa société Dermond Oil ni de Locafrique, mais de la Sar, seul importateur officiel dans cette affaire.
Ces arguments n’avaient pas convaincu le PJF qui lui avait refusé la liberté provisoire. La douane réclamerait à celui qui détenait 34 % de la Sar la somme de 215 milliards F CFA.
Son associé au sein de la West Africa Energy (WAE), Samuel Sarr, n’est guère mieux loti. À l’instar de Khadim Ba, l’ancien ministre sous Wade est lui aussi en prison depuis le 28 novembre 2024 et peine à voir le bout du tunnel. Contrairement à son ami, il a été placé sous mandat de dépôt, à la suite d’une plainte de certains de ses associés dans le consortium West Africa Energy.
Poursuivi notamment pour “abus de biens sociaux”, Samuel a été arrêté à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, alors qu’il revenait d’un voyage à l’étranger.
Il faut rappeler que Samuel Sarr a été celui qui a porté et développé cette centrale – la première de cette envergure développée et entièrement financée par le secteur privé national – de bout en bout. Malheureusement pour lui, des différends avec ses associés sénégalais, en particulier l’homme d’affaires Moustapha Ndiaye, l’ont finalement mené en prison.
Jusque-là, toutes les demandes de liberté provisoire qui ont été introduites par ses avocats ont été rejetées.
Tombeur de Samuel Sarr, l’importateur de riz Moustapha Ndiaye est lui aussi cité dans des dossiers très compromettants. D’ailleurs, certains s’étaient interrogés à la suite de sa libération après une audition expresse dans l’affaire de surfacturation qui a valu à l’ancien ministre Mansour Faye et à son ex-Dage d’être placés sous mandat de dépôt depuis plusieurs mois.
Également maire de Saint-Louis et beau-frère de l’ancien président, Mansour Faye a été placé sous mandat de dépôt, après avoir été inculpé pour complicité de détournement de deniers publics d’un montant de 2 749 927 498 F CFA. Une infraction qui – si elle est avérée – n’aurait pu être commise sans le concours des commerçants, dont l’importateur Moustapha Ndiaye.
D’après les informations, l’homme d’affaires a pu bénéficier d’une liberté provisoire après avoir accepté de fournir une caution. Même sort pour Rayan Hachem, cité dans le même dossier et également sauvé par une caution. Il convient de rappeler que tous deux, comme Mansour Faye, ont réfuté toute surfacturation dans ce marché qui avait pourtant été passé par appel d’offres. Pour autant, ils ne sont pas totalement tirés d’affaire, même s’ils peuvent remercier le ciel de pouvoir encore humer l’air de la liberté.
Selon ses camarades de l’Unacois, le magnat du riz aurait dû être récompensé et non traîné dans la boue. Car, durant la Covid, c’est en grande partie grâce à lui que le Sénégal a pu disposer de certaines quantités de riz pour nourrir sa population. “Nous rappelons qu’à cette époque, il y avait d’énormes difficultés à faire entrer du riz dans le pays. C’était l’un des rares importateurs en Afrique de l’Ouest qui avait constitué un stock en bonne et due forme. La transaction s’est passée dans les règles de l’art, sur la base d’un appel d’offres”, s’indignaient des membres de l’Unacois dans la presse.
Ces derniers étaient d’autant plus courroucés que l’État évoque un arrêté de 2013 pour alléguer une surfacturation qui, selon eux, n’existe que dans l’imagination des autorités et pour créer des problèmes à l’un des champions de notre économie.
“Inculper Moustapha Ndiaye sur cette base, cela voudrait dire que tous les commerçants sont en sursis”, s’inquiétaient les contestataires qui dénonçaient “une orientation dangereuse qui risque de mettre en péril les relations entre l’État et le secteur privé, et de fragiliser le bon fonctionnement du marché”.
Homme d’affaires réputé très proche de l’ancien régime, Tahirou Sarr a été envoyé en prison par le PJF, à cause d’un rapport de la Centif. C’était fin février. Il venait d’être placé sous mandat de dépôt pour, notamment, escroquerie sur les deniers publics, blanchiment de capitaux et association de malfaiteurs.
Pour rappel, dans le rapport à l’origine des poursuites, la Centif a signalé des transactions suspectes s’élevant à environ 125 milliards F CFA. Sur ce total, 91,6 milliards concernent directement Tahirou Sarr. Ici également, ce sont les hommes d’affaires et les politiques qui sont inquiétés ; les fonctionnaires des régies financières qui ont payé ces montants sont, pour le moment, épargnés.
Fils du propriétaire de la célèbre marque Senecars Tours, Mahamadane Sarr a aussi été victime de sa proximité avec les tenants de l’ancien régime. Placé sous mandat de dépôt par le Pool judiciaire financier en janvier 2025 pour plusieurs chefs d’accusation – association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux, faux et usage de faux – le propriétaire de Lansar subit également les affres de la vie carcérale.
Il faut noter que la marque Lansar est très connue dans le milieu de la location de véhicules de luxe. En 2020, elle avait gagné un important marché de location de véhicules de la présidence de la République. Mais selon le parquet financier, Mahamadane Sarr aurait été au cœur d’une opération de blanchiment de capitaux avoisinant 14 milliards F CFA, perpétrée entre 2020 et 2023.
Le cas intrigant de Mouhamed Dieng
C’est donc un très mauvais temps pour les hommes d’affaires, surtout ceux qui sont considérés comme proches des tenants de l’ancien régime. Alors que la liste des entrepreneurs dans le viseur est loin d’être exhaustive, on note cependant quelques privilégiés qui, jusque-là, semblent narguer la justice. C’est le cas notamment de l’homme d’affaires Mohamed Dieng, au cœur d’un dossier de blanchiment de capitaux mis en exergue par la très sérieuse Centif et qui a déjà fait tomber plusieurs personnalités politiques et du monde des affaires.
Mais pour le moment, lui continue de vaquer à ses occupations. La chronique s’était même indignée de le voir libre, alors que l’ancien directeur général de la Lonase a été envoyé en prison. Le plus cocasse, selon de nombreuses sources, est que ce dernier a été incarcéré à la suite d’une plainte qu’il avait lui-même déposée.
Par Mor Amar