Publié le 29 Aug 2023 - 16:22
REFUS DE QUITTER LE NIGER

Emmanuel Macron prend la parole

 

Le président français s’est prononcé dans la continuité de ses services diplomatiques, refusant de reconnaître la légitimité des autorités de la junte au pouvoir.

 

S’il avait laissé ses services diplomatiques prendre les devants pour apporter la réplique aux putschistes qui réclament le départ de l’ambassadeur français du Niger, le président Emmanuel Macron ne pouvait pas échapper au sujet, hier, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs et ambassadrices qui s'est tenue à l'Élysée. Le chef de l’État français  a conforté le Quai d’Orsay en rappelant que ‘‘la France et les diplomates ont été confrontés, ces derniers mois, à des situations dans certains pays particulièrement difficiles, que ce soit au Soudan où la France a été exemplaire, au Niger en ce moment même’’.

Loin de répondre aux exigences des nouveaux tenants du pouvoir au Niger, Emmanuel Macron estime que la politique française actuelle dans ce pays est la bonne et qu’elle ‘’repose sur le courage du président (Mohamed) Bazoum, sur l'engagement de notre ambassadeur sur le terrain qui reste malgré les pressions, malgré toutes les déclarations d'autorités illégitimes".

Paris ne se voit pas être le problème dans la crise politique qui secoue le Niger depuis la prise du pouvoir par le général Tiani et ses hommes. Au contraire, assure Macron, ‘’le problème des Nigériens, aujourd’hui, ce sont des putschistes qui les mettent en danger, car ils abandonnent la lutte contre le terrorisme, ils abandonnent une politique qui est économiquement bonne. Ils sont en train de perdre tous les financements internationaux qui leur permettaient de sortir de la pauvreté. C’est ça la réalité. Nous ne reconnaissons pas les putschistes et nous soutenons le président Bazoum. Nous soutenons l’action diplomatique, voire militaire de la CEDEAO dans une approche de partenariat’’.

Emmanuel Macron : ‘’Le problème des Nigériens, aujourd’hui, ce sont des putschistes.’’

Vendredi, le ministère nigérien des Affaires étrangères a déclaré avoir retiré l’agrément à l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, l’appelant à quitter le territoire nigérien sous 48 heures. Ce que les autorités françaises ont immédiatement rejeté, estimant que les putschistes n’avaient pas la légitimité pour faire une telle demande.

Ce  weekend,  des manifestations ont été organisées à Niamey en soutien aux militaires et demandant le retrait de la France du pays. Au Mali et au Burkina Faso, Paris s’est pliée aux demandes des putschistes en invitant ses ambassadeurs à quitter ces pays. Mais à Niamey, la musique est toute autre.

En effet, le locataire de l’Élysée estime que la France ne va pas ‘’céder à un narratif utilisé pour les putschistes qui consisterait à dire que notre ennemi est la France’’. Macron rejette pratiquement la faute à la CEDEAO qui n’aurait pas été assez forte pour endiguer une ‘’épidémie de coups d’État’’ dans la région ouest-africaine. ‘’La faiblesse que d’aucuns ont montrée à l’égard des putschs précédents a nourri des vocations régionales’’, assure Emmanuelle Macron, avant d’appeler ‘’tous les États de la région à avoir une politique responsable’’.

Pas de paternalisme, mais des leçons ‘’déguisés’’ à la CEDEAO

Pourtant, le chef de l’Élysée a réfuté l’ingérence qu’on lui prête dans sa politique africaine, surtout vis-à-vis de ses anciennes colonies.  Selon lui, son pays ne fait pas preuve de ‘’paternalisme’’. Ce mal que lui avaient tant adressé les jeunes Africains lors du Sommet Afrique-France d’octobre 2021, à Montpellier. Aussi, Emmanuel Macron estime que son pays ne fera également pas preuve de ‘’faiblesse’’, ‘’parce que sinon on n'est plus nulle part’’.

La rencontre entre le président de la République française et ses ambassadeurs et ambassadrices est pour définir les priorités de la France pays dans ses relations avec les autres nations. Et le contexte international n’est pas à la sérénité. Emmanuelle Macron lance même l’alerte, devant ses homologues occidentaux, évoquant un ‘’risque d'affaiblissement’’ de l'Occident et plus particulièrement ‘’de notre Europe’’, citant ‘’l'émergence de nouvelles grandes puissances internationales’’.

Il y a quelques jours, le Sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’est tenu à Johannesburg. Cette organisation prône un multilatéralisme qui met en place ‘’des États ayant des systèmes politiques différents, des plateformes de valeurs distinctes et des politiques étrangères indépendantes coopèrent avec succès dans divers domaines’’, selon les mots de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. Au sortir de cette rencontre, les Brics ont annoncé l’arrivée de l'Argentine, l'Égypte, l'Iran, l'Éthiopie, l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis comme nouveaux membres de l’organisation à partir de janvier 2024.

Peur d’un monde multipolaire

Pour le président français, ‘’il y a une remise en cause progressive de notre ordre international dans lequel l'Occident avait une place prépondérante et a encore une place prépondérante. Cela résulte du retour de la guerre, notamment en Europe avec l'offensive russe en Ukraine et de la montée d'une politique de ressentiment de l'Asie à l'Afrique, qui se nourrit de l'anticolonialisme, réinventé ou fantasmé et d'un anti-occidentalisme instrumentalisé’’.

Ceci pourrait mener à une opposition du monde, à l’image de ce qu’il a vécu durant la Guerre froide. Le chef de l'État français invite à ‘’éviter une partition du monde autour de la guerre en Ukraine’’, alors que les États du Sud se refusent à condamner la Russie. Il faut ‘’éviter que s'installe un narratif qui consisterait à dire c'est votre guerre en tant qu'Européens, elle ne nous concerne pas. L'Union européenne doit accepter plus d'intégration, voire plusieurs vitesses pour évoluer sur les sujets essentiels’’, a par ailleurs assuré Emmanuel Macron.

Dans cette reconfiguration de l’ordre mondial, l’Afrique saura-t-elle tirer son épingle du jeu ? Si l’indécision règne autour de la situation au Niger, il urge d’éviter qu’il devienne un nouveau théâtre d’affrontements entre puissances aux desseins inavoués.  

Lamine Diouf

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