Publié le 6 Aug 2018 - 13:56
REFUS DE REPONDRE A LA DIC

Le coup programmé de Cheikh Bamba Dièye

 

L’ancien maire de Saint-Louis est comme un caillou dans la chaussette de la magistrature et dans celle de la majorité Bby. En usant de sa qualité de parlementaire pour refuser de déférer à une convocation de police, il met la poursuite à rude épreuve.

 

Cheikh Bamba Dièye va-t-il allonger la liste de politiques en délicatesse avec Dame justice ? En refusant de déférer à une convocation de la Division des investigations criminelles (Dic) dans la nuit de vendredi dernier, pour organiser une conférence de presse le lendemain samedi à Bopp, il met en difficulté toute la machine judiciaire. ‘‘Tout le monde sait où me trouver, je serai entre mon domicile et mon siège. C’est une cabale politico-judiciaire initiée par le président de l’association des malfaiteurs’’, a-t-il déclaré devant la presse. En tant que député élu et ayant déjà siégé plusieurs fois à l’Assemblée, sa convocation implique, de facto, la violation de l’article 51 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, nous apprend l’ancien député Thierno Bocoum. Au chapitre 13 du règlement intérieur traitant de l’immunité des députés, les dispositions de l’article 51, citant même la Constitution, sont un frein à l’action de la justice.

‘‘Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions (article 61, alinéa 2 de la Constitution). Le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil constitutionnel’’, dispose cet article de la loi n°2002-20 du 15 mai 2002. Si l’on exclut le fait que la session est finie, la sanctuarisation qu’offre l’immunité parlementaire est toujours active pour le député élu sous la bannière de la coalition Manko Taxawu Senegaal. L’autre porte qu’offrait le flagrant délit, pour son déferrement à la convocation de la Dic, s’est également refermée, confirme M. Bocoum, puisqu’il fallait, pour ce chef, le convoquer dans les délais prescrits par la loi.

Pour autant, Cheikh Bamba Dièye n’est pas encore sorti de l’auberge, puisque la procédure de levée de son immunité parlementaire, quoique longue et complexe, n’est pas rédhibitoire à son encontre. ‘‘C’est l’Assemblée qui lève l’immunité à travers une commission ad hoc de 11 personnes qui va lui soumettre un rapport. Quand on dit Assemblée, on parle de la majorité, bien sûr’’, avance le leader du mouvement Agir. L’écrasante majorité qu’est le groupe Bby, 125 députés sur 165, ne se privera certainement pas d’envoyer à la potence cet adversaire politique qui a qualifié leur chef, Macky Sall, en termes peu avenants.

Perceptions

Dimanche 29 juillet, venu assister au meeting du mouvement ‘’Khalifa Président’’ à Dalifort, le leader du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno Jubbel (Fsd/Bj) avait décrié les motifs pour lesquels son allié politique Khalifa Sall a été jugé et condamné. ‘‘Le président des associations de malfaiteurs du Sénégal est Macky Sall. Il a trié sur le volet les magistrats les plus corrompus pour juger Khalifa Sall. Le juge Malick Lamotte fait partie non seulement des complices de Macky Sall, mais il est membre éminent de l’association des malfaiteurs et c’est un corrompu. Demba Kandji aussi est membre de l’association et un de ceux qui font honte à la justice sénégalaise’’, avait-il déclaré sur la tribune.

A deux niveaux, toutefois, les questionnements surgiront pour les probables parties demanderesses. Si c’est l’Union des magistrats sénégalais (Ums) qui attrait le député, les questions se posent, sur les réseaux sociaux notamment, de savoir ce qui explique leur promptitude corporatiste à se défendre, alors que des cas impliquant des morts en interpellation ne les a pas fait réagir. Le président de l’Ums, Souleymane Téliko, ayant affirmé deux jours après les propos incriminés qu’ils ‘‘sont intolérables’’ et ne ‘‘doivent pas rester impunis’’. Quant à la tutelle gouvernementale, le Garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall a également jugé ces propos ‘‘irresponsables’’, entrainant des réactions par presse interposée.

Là également, le risque de distiller dans l’opinion la perception d’une justice à deux vitesses est grand. D’ailleurs, les partis de l’opposition n’hésitent pas à en faire leur cheval de bataille. Dans la soirée d’hier, c’est la Ligue démocratique Ld/Debout qui s’est insurgée contre cette convocation via un communiqué. ‘‘Ld/Debout s'indigne de la énième forfaiture d'une justice aux ordres, tristement gangrenée par une catégorie de juges, bras armés au service de l'Exécutif’’, déclare-t-elle, citant des cadres de la coalition présidentielle (Farba Ngom, Mansour Faye, Mame Mbaye Niang) qui n’ont pas été inquiétés pour leurs propos ou leurs actes de mal gouvernance.

D’ailleurs, sur la toile, l’analogie est ironique entre l’auto-enchainement de Bamba Dièye devant les grilles de l’Assemblée nationale, en 2011, marquant les débuts de la chute de Wade, et son actuelle convocation. Avec des commentaires tournant en dérision les différentes parties prenantes, l’on suggère aux tenants du pouvoir actuel que ceci pourrait aussi être le début d’une autre fin.

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