Publié le 14 Nov 2018 - 23:01
RELATIONS POUVOIR ET SOCIETE CIVILE

Beaucoup de heurts, peu de lueurs

 

Loin de les apaiser, la sortie virulente de Macky Sall contre Amnesty International/Sénégal a mis davantage le feu sur les relations exécrables entre le pouvoir et certaines organisations de la société civile.

 

Hier, ils ont cheminé, main dans la main, pour le départ d’Abdoulaye Wade du pouvoir. Aujourd’hui, c’est la guerre ouverte entre Macky Sall et une partie de la société civile, la section sénégalaise d’Amnesty International particulièrement. La goutte d’eau qui semble avoir fait déborder le vase, ce sont les positions tranchées de Seydi Gassama et Cie. Dans une interview avec France 24, Macky Sall accuse : ‘’Dans l’affaire Karim Wade et Khalifa Sall, c’est la justice qui s’est prononcée en toute indépendance. L’Organisation des Nations Unies n’a jamais critiqué le Sénégal.

La Cour de justice de la Cedeao, non plus. Il y a beaucoup d’amalgames, de confusions. Amnesty International gagnerait d’abord à voir le statut de ses représentants au Sénégal.’’ Face à de telles accusations, Seydi Gassama, Directeur exécutif de l’organisation, n’a pas tardé à réagir. Il temporise : ‘’La diabolisation des défenseurs des droits humains ne sert à rien. Le gouvernement doit travailler avec les Ong pour améliorer la situation des droits humains au Sénégal.’’

Le président de la République n’avait, lui, pas mis de gants. Il ajoutait : ‘’Lorsque ces responsables marchent avec l’opposition, vont voter, même pour un référendum, dans le camp de l’opposition contre le pouvoir, leurs avis n’ont aucun intérêt à mes yeux. Ils sont politisés. Ceux-là gagneraient à quitter leurs organisations pour entrer dans l’opposition. Quelqu’un qui manifeste avec l’opposition ne peut pas me donner un avis de société civile.’’ Voilà qui est clair par rapport à la vision de Macky Sall de la société civile.

Mais Seydi Gassama ne veut pas l’entendre de cette oreille. Pour lui, le président Sall ‘’est juste allergique à la critique. Il ne peut apporter la plus petite preuve que les représentants d’Amnesty Sénégal ont une fois marché avec l’opposition et votent pour l’opposition’’.

Du Wade !

Cette sortie fracassante du chef de l’Etat contre Amnesty rappelle, à bien des égards, des déclarations très acerbes de l’ancien président de la République contre la société civile. Abdoulaye Wade avait, d’ailleurs, l’habitude de les traiter de ‘’politiciens encagoulés’’. A l’époque, bien évidemment, il y avait une parfaite convergence de points de vue entre cette même société civile et l’actuel président. En 2010, en effet, dans une interview avec le journal français ‘’Marianne’’, le ‘’Pape du Sopi’’ répondait ainsi à une question sur le nombre de ses détracteurs qui augmentait, notamment dans la société civile. ‘’Ah…, disait-il, l’Afrique possède cette capacité d’endosser toutes les institutions et de les vider de leur contenu. Et vous journalistes européens, vous êtes si naïfs… Il n’y a pas de société civile au Sénégal, juste des politiciens qui avancent masqués, car ils n’osent pas prendre leurs responsabilités’’.

L’ex-mentor de Macky Sall ne s’en limitait pas là. Il ajoutait : ‘’Cette pseudo société civile m’accable, dites-vous… Eh bien ! Moi j’affirme que je suis toujours en état de grâce, depuis mon élection de 2000. Sortons en voiture dans les quartiers et vous constaterez que ma popularité est intacte.’’ Quelques mois seulement après cet entretien, il avait été balayé par le peuple.

Incompatibilité d’humeur

Toutefois, sous le magistère de Macky Sall, le constat est que de fortes têtes de la société civile ont eu à flirter plus avec l’Etat, le pouvoir, qu’avec l’opposition. En effet, traditionnellement, les rapports ont été conflictuels entre le pouvoir et la société civile. Sous le règne du président Sall, par contre, il y eut jusqu’à une certaine époque de l’apaisement. Ils sont même nombreux les responsables d’organisations de la société civile à s’être reconvertis politiciens, et même membres du gouvernement.

Il s’y ajoute qu’on constate, depuis 2012, des politiciens reconnus qui ont franchi les frontières de la sphère politique pour s’empêtrer dans la sphère société civile. Ce qui n’est pas de nature à clarifier le débat. Parmi ces derniers, on peut citer notamment les membres du Gradec (Groupe de recherche et d’appui pour la démocratie participative et la bonne gouvernance) qui n’ont pu s’imposer dans la politique et qui ont décidé de rejoindre la société civile avec la bénédiction du pouvoir. Ce qui n’est pas pour clarifier le débat.

Le secours du Forum civil

En tout cas, pour le Forum civil, les choses sont tout à fait claires. Dans un communiqué, les amis de Birahim Seck ruminent leur colère. A les en croire, ‘’l’attitude frileuse et antidémocratique (du gouvernement) n’honore guère des dirigeants qui envisagent d’organiser dans notre pays les assises de l’Internationale libérale qui a comme credo la protection et la défense des libertés’’. Le Forum civil se dit ‘’solidaire d’Amnesty International et de toutes les organisations de la société civile victimes d’attaques que rien ne saurait justifier. Le propre d’une République démocratique est de garantir la liberté d’expression à toutes les composantes de la société. A cet effet, la section sénégalaise de Transparency International appelle le gouvernement et les citoyens à s’investir davantage dans la préservation des acquis démocratiques, en l’occurrence les droits et libertés’’.

L’organisation estime que cette sortie du chef de l’Etat est à inscrire sur une longue liste d’autres attaques de la part de membres du gouvernement. Elle rappelle les attaques du ministre des Mines, de celui en charge de l’Agriculture… et dénonce une ‘’tentative de musèlement de la société civile’’. ‘’Dans ce contexte pré-électoral marqué par une absence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition, l’Etat doit plutôt travailler à rassurer les populations, en préservant et en consolidant la paix, la stabilité sociale et l'espace civique’’, préviennent-ils.

Pour certains Sénégalais, il faut tout simplement s’interroger sur la propension des pouvoirs politiques à vouer aux gémonies les organisations de la société civile quand elles les critiquent, à les choyer quand elles leur attribuent de bonnes notes.

MOR AMAR

 

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