Publié le 13 Jun 2012 - 17:05
REPORTAGE - ENFANTS DANS LES MARCHÉS

Les gamins, une cible parfaite

Photo d’illustration

 

Les marchés dakarois accueillent un personnel très jeunes pour le boulot de portefaix. Certains se disent soutiens de famille, d'autres triment pour l’obole au marabout. Le job rapporte, certes, mais expose les gamins à des violences et harcèlements.

 

La cacophonie est à son comble au marché Castor de Dakar. Des vendeurs à la sauvette se disputent la place. Des marchands font usage à fond la caisse de hauts parleurs et autres mégaphones pour accrocher la clientèle. Des charrettes transportant des paniers de poissons et autres fruits de mer se faufilent dans le désordre humain et les déchets de toute nature. Parmi ce petit monde bigarré, un enfant, Seydou Timéra, 12 ans, teint noir, panier à la tête ; il transporte des bagages moyennant quelques pièces. Depuis deux ans, Seydou exerce le boulot de transporteur au dit marché. Il se lève tous les jours à 6 heures du matin pour son ''bureau''. Un travail difficile vu sa taille et son âge. ''Je me lève très tôt le matin pour transporter les paniers de poisson des femmes. A 200 F Cfa le panier, il m'arrive de prendre 6 à 7 paniers. Après, j'attends celles qui viennent faire le marché quotidien. Pour ces dernières, le prix dépend du poids du panier. Il arrive parfois qu'elles nous donnent 50 F alors que le boulot est trop dur. Les plus généreuses payent jusqu'à 300 voire 500 F Cfa'', confie-t-il à EnQuête. Seydou partage voire se dispute ce marché du travail avec d'autres gamins. A la recherche de gagne-pain, ces gosses se faufilent à travers les étals. Ils sont les premiers à souhaiter ''la bienvenue'' aux clients.

 

Assis sur sa charrette, un autre portefaix, Alpha Kane, attend des clients, Agé de 15 ans, les mains sur les tempes, le regard pensif, Alpha, 15 ans, fait parfois la navette entre les quartiers Castor et HLM. Ce mineur a perdu son père à l'âge de 3 ans. Il se souvient de la suite : ''Ma mère m’emmenait mendier avec elle tous les jours sur la VDN [Voie de dégagement nord de Dakar}. Quand j'ai eu 6 ans, elle m'a demandé de faire la même chose mais dans les marchés. C'est alors que j'ai rencontré Thierno Bâ [un ami] avec qui je me suis lancé dans ce travail.'' Alpha précise qu'il ne vit ''que de cela''. Son terrain de chasse, les bagages des grossistes, quand ils ravitaillent les petites boutiques. ''Nous voulons juste aider nos parents, car la vie est trop dure'', explique le garçon. Chemise déboutonnée, visage dégoulinant de sueur, Bouba Doucouré en veut à ses parents. Il leur reproche de ne l'avoir pas inscrit à l'école. Il envie ses camarades qui y sont. Aujourd'hui, il se résigne et entend subvenir aux besoins de ses petits frères, à 16 ans.

 

 

''Pas le droit de rentrer les mains vides''

 

Au marché Tilène Seydou Kane dit travailler sur les ordres de son marabout. A l'en croire, celui-ci leur exige de fréquenter les marchés car ils y gagneraient plus. ''Chaque matin, nous venons en groupe pour transporter la marchandise des clients. Nous le faisons par obligation et, à la fin du travail, chacun doit ramener avec lui 2000 francs. Nous vivons chez lui (marabout) et il nous nourrit. Nos parents nous ont abandonnés, donc nous n'avons aucun choix'', raconte Seydou. Panier sur la tête, Rakhim Hann s'emploie à faire convenablement son travail. Sa tranquillité à la maison en dépend. ''On n'a pas le droit de rentrer les mains vides. Tu risques d'être puni pendant une semaine. Mais heureusement que nous sommes solidaires, on s’entre-aide. Moi je ne reproche rien à mon marabout''.

 

 

''Je gagne plus de 50 000 francs la semaine''

 

Habibou Diallo, 17 ans, vient de la Guinée. Habits en haillon, il conduit, tout en sueur, une charrette remplie de marchandises au marché Tilène. Habibou a quitté son pays pour appendre le Coran au Sénégal. Une fois au pays de la Teranga, l'idée de devenir transporteur a gagné son esprit. ''Tout début est difficile, je restais toute une journée sans avoir de quoi me mettre sous la dent. Une semaine après, je me suis adapté. Aujourd'hui, je gagne 22 000 francs Cfa la journée''. Ce que confirme Lamine Ndiaye, un talibé. ''Vraiment nous rendons grâce à Dieu. On se débrouille bien avec ce qu'on gagne. Notre maître coranique nous demande de lui donner 500 francs par jour. Au lieu d'aller mendier, je préfère travailler pour gagner plus rapidement la somme et le reste, je le garde pour moi. Il m'arrive de gagner 5000 francs la journée'', précise Lamine. Mais à quel prix ? Les garçons interrogés soufflent que le travail est dur et comporte beaucoup de risques.

 

 

Victimes de harcèlements

 

Évoluant dans une cour d'adultes, ces enfants laborieux jouent aussi leur intégrité physique. Le sujet est délicat, mais Seydou Kane lâche : ''Nous sommes souvent victimes de tracasseries. Les anciens (les plus âgés) se sentent écartés et ils ne nous laissent pas travailler tranquillement. Ils nous accusent de vol, nous tabassent parfois''. A quelques mètres de lui, Sadibou Keïta, tête rasée, air abattu. A 14 ans, Sadibou fait déjà office de ''cadre'' au marché Castor. Orphelin de père à 5 ans, il dit fréquenter le marché pour nourrir ses frères. ''Le seul problème que nous avons ici, nous les enfants, c'est la jalousie des plus âgés, ils nous injurient tous les jours prétextant que nous avons pris leur place. Nous, nous allons à la quête de clients ce qui fait que nous gagnons plus, eux restent sur place et attendent les clients''. La violence dans ce milieu est monnaie courante, à en croire les témoignages. ''Parfois, aux heures de descente, des hommes de grande taille viennent nous arracher tout ce que nous avons gagné dans la journée'', se plaint Sadibou. Ses pairs et lui sont ainsi à la merci des plus forts, comme dans une jungle où risquer sa personne est une nécessité de survie.

 

Viviane DIATTA

 

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