Omega Fishing au cœur d’un conflit écologique
Depuis quelques décennies au Sénégal, de nouveaux types d’industrie se sont développés un peu partout sur le littoral. Ce sont les usines de farine de poisson. Leur installation dans certaines zones a suscité beaucoup de problèmes chez la population. Dans la commune de Joal-Fadiouth, c’est l’usine Omega Fishing qui est la principale cible des autochtones. Ils veulent que l’usine soit déplacée de leur centre-ville.
La commune de Joal-Fadiouth est située à 45 km, par une route cahoteuse, au sud de Mbour, la capitale de la Petite Côte, avant le Sine-Saloum. Elle fait partie des 15 collectivités territoriales que compte le département de Mbour. Quand on parle de cette commune, on pense à deux villages : Joal est celui situé sur la terre ferme, tandis que Fadiouth, surnommé ‘’l’île aux coquillages’’, est reliée par un pont en bois de près de 800 m. La principale activité économique de la commune est la pêche avec quelques balbutiements du tourisme.
D’ailleurs, Joal abrite l’un des plus grands quais de pêche du pays. Il s’agit également de l’un des plus grands centres de production et de transformation de produits halieutiques.
Selon les données de l’exécutif, environ 30 000 t de poissons séchés et d’autres produits halieutiques sont transformés annuellement dans la ville pour une valeur estimée à 32 milliards F CFA. C’est pour cette raison que beaucoup d’investisseurs dans le secteur de la pêche ont élu domicile dans la commune. Plusieurs installations industrielles se sont implantées depuis des années.
L’odeur de la mort
Parmi elles, l’usine Omega Fishing. Elle dérange beaucoup la population. En effet, selon les habitants, l’usine est la source de plusieurs maux de la ville. Dans ce cadre, un collectif contre l’usine Oméga a été porté sur les fonts baptismaux au mois de mai dernier.
Selon les responsables de ce collectif, l’usine n’a pas sa raison d’être au cœur du centre-ville de la commune. Pape Latyr Ndiaye est le membre du collectif. ‘’Le problème que nous avons avec Omega Fishing, date de longtemps. C’est depuis plus de 10 ans qu'on l’a implantée ici. Elle pollue avec de la mauvaise fumée. Les populations en parlent tout le temps’’, a confié Pape Latyr Ndiaye. Le quadragénaire porte bien son âge dans une corpulence sportive. Son pantalon jean et son tee-shirt style sport lui donnent une allure plus jeune, malgré quelques bris gris qui pointent dans sa barbe de trois jours. Très engagé, le représentant du collectif n’a pas hésité à nous faire une visite guidée des lieux. Le centre-ville était dans la plénitude de ses grandes ambiances.
C’est la veille de l’Assomption dans cette commune dont la plus grande partie de la population est chrétienne. Le brouhaha des motos-jakarta, accompagné du vrombissement des taxis-clando et autres voitures, tout cela rythmé par les discussions en continu des personnes qui vaquent à leurs occupations régulières, constitue l’ambiance qui accueille le visiteur au rond-point de la gare routière où se concentrent plus de 75 % des activités économiques de la commune. C’est à moins de 200 m que l’usine Omega s’est installée, au cœur de la commune et au seuil du quai de pêche. Pour le collectif, le problème se situe à ce niveau : l’emplacement de l’usine.
En effet, ‘’l'usine est au milieu du village et face à la mer. Si le vent souffle, toute l'odeur se propage dans les poumons des populations’’, a grogné Pape Latyr Ndiaye. Sur cette lancée, il explique : ‘’C'est plus grave dans les concessions. Si la porte est fermée, on va dormir avec l'odeur toute la nuit. Ce qui risque de causer de la nausée, des vomissements et même du stress. Les populations qui habitent aux alentours confirment que quand elles sont en train de manger, c'est comme de la cendre qui tombe dans leurs repas, parce que la fumée qui se dégage des cheminées de l’usine ne peut monter au ciel, mais plutôt retombe sur les populations et sur l’environnement.’’ Cette version du collectif n’a pas été démentie par les riverains. Sur la rue qui mène vers l’usine, s’alignent de gauche à droite des négoces : boutique de vêtements, multiservices, restaurants, vendeurs de cacahuètes, entre autres. Ils forment une communauté commerciale qui gagne sa vie dans cette partie de la commune de Joal-Fadiouth. Une population cosmopolite venue des divers horizons du pays pour faire fortune dans cette ville qui a un impact dans l’économie sénégalaise. C’est dans cette que rue que Niama Dramé tient sa boutique d'accessoires de téléphones portables. Un espace de 3 m2 équipé d’étagères en aluminium sur lesquelles sont accrochés les objets qui constituent sa marchandise: câbles, chargeurs, écouteurs, pochettes de téléphone et autres accessoires. Au milieu de la boutique, une vitrine dans laquelle on aperçoit la marchandise dite de valeur forme ce décor.
Trouvé devant son négoce, il a exprimé toute sa colère face à cette situation qui gangrène l’économie. ‘’Ma boutique fait face à l'usine. La fumée n’entre pas dans la boutique. Celle qui est la plus dangereuse, c’est la fumée blanche ; si tu la respires, tu vas être enrhumé. C’est une très mauvaise odeur. La femme qui est à côté de moi, si l'odeur commence à se propager, elle fuit les lieux. C’est nous qui fermons sa boutique parce que cette odeur lui cause des maux de tête’’, a soutenu le commerçant.
Même son de cloche chez Mère Ndella (nom d’emprunt). À en croire cette vendeuse de cacahuètes, ‘’les jours où l’odeur commence à se propager, je suis obligée de rentrer à la maison, faute d’alternative. Je ne peux pas supporter cette odeur. Dès que j’arrive à la maison, je me lave le corps avec du savon, parce qu’elle résiste sur le corps et dégage une pestilence insupportable. Mes habits, je les mets dans de l’eau savonneuse et de l’eau de javel pour dégager l’odeur. Vraiment, si on pouvait nous aider pour que cela s’arrête, ce serait très bien’’, a prié la bonne dame.
Les autorités accusées de complicité par le collectif
Devant cet état de fait, les populations disent ne pas avoir senti le soutien des autorités administratives et locales dans leur combat. Selon les responsables du collectif, ‘’nous les jeunes du village avons rencontré l'ex-maire Boucar Diouf pour trouver des solutions à ce problème. Et à chaque fois, la solution tourne court et l'odeur continue de déranger la population’’. Sur cette lancée, il estime que la marge de manœuvre du collectif n’est pas énorme, puisque les administrateurs de l’usine s’adressent directement aux autorités locales qui ‘’savent que l'usine nous pollue. La solution qu’elles ne veulent pas entendre est qu'elle soit délogée. On ne peut pas parler avec elles’’, explique-t-il.
Entre-temps, les élections municipales se sont passées et le maire Boucar Diouf a cédé l’Hôtel de ville à Sophie Siby, ancienne ministre du Pétrole et des Énergies sous le régime de Macky Sall.
Interpellée sur la question, elle n’y est pas allée avec le dos de la cuillère. Sophie Siby a voulu être très ferme dans sa réponse : ‘’Je fais partie de l’État, puisque la mairie en est un démembrement. Nous sommes régis par des textes et des lois. Aujourd’hui, l’implantation d’une usine, ce n’est pas la mairie qui donne l’autorisation. Il y a des ministères qui sont agréés et font des études pour l’installation d’une usine, d’une société ou d’une entreprise’’, s’est d’abord défendu le maire de la commune de Joal-Fadiouth. Avant de préciser : ‘’Les populations ont écrit, j’ai transmis aux ministères chargés de ces questions pour recueillir leur avis et voir quelles sont les solutions qui seront proposées. Je ne peux pas me lever pour dire que je vais enlever ou je vais laisser l’usine, parce que ce n’est pas moi qui ai donné l’agrément à cette usine pour qu’elle s’installe. Quand je suis venue, je ne pouvais que constater, parce que la société était déjà installée. Et cette usine s’est installée en bonne et due forme’’, a soutenu Sophie Siby.
Dans le même sillage, l’ex-ministre du Pétrole poursuit : "De plus, quelles sont les études qui ont été faites pour dire que certaines maladies proviennent de cette usine ? Aujourd’hui, quand on voit Joal, le problème de la fumée, ce n’est pas simplement cette usine. Vous prenez la transformation au niveau du Tane et de Khelcom, peut-être que les gens qui sont sur place ne sont pas impactés, mais est-ce que ces fumées qui sortent de là-bas n’impactent pas d’autres personnes ? Parce que cette fumée, elle transcende. Vous rentrez dans Fadiouth, l’odeur de la fumée de Khelcom dérange les gens. Maintenant, par rapport à l’odeur, il faut que les gens aient des preuves tangibles pour dire qu’à la suite d’une enquête, à cause de tel élément qu’on a trouvé dans le corps humain, qui a fait que ces personnes ont ces problèmes.’’
À l’en croire, ‘’il y avait une première enquête qui avait été faite et il a été question de revoir leur matériel et quand nous les avions reçus, ils ont dit qu’ils avaient déjà acquis l’outillage’’.
La politique de l’autruche des acteurs socioprofessionnels de la pêche
Dans cette grande discorde, les acteurs de la pêche ne semblent pas inquiétés par les débats. Rencontré à la sortie du quai de pêche, Thione Ndiaye a accepté de répondre à nos questions. D’un bel âge, le président des mareyeurs de Joal-Fadiouth est bien dans sa tenue en lin bleu, la démarche assurée. Devant les locaux du Comité local de pêche artisanal (CLPA), le responsable des mareyeurs soutient que le problème avec ’’Omega Fishing, c’est l’odeur. Ça, personne n’en disconvient. Cette odeur est une difficulté chez les populations’’. Mais, ‘’en tant que mareyeur, je dirais qu’il y a des produits qu’on vend à l’usine Omega Fishing, des mareyeurs y travaillent et y trouvent leur compte. Ils vendent du poisson à des prix intéressants. Or, les mareyeurs n’ont pas la responsabilité d’installer une usine. C’est la responsabilité de l’État. Et nous avons la responsabilité de fournir du poisson à toute usine dument installée de la manière que nous en avons la responsabilité pour les marchés à travers le Sénégal. Et ce n’est que cela que nous avons comme relation avec cette usine’’.
Mais selon notre interlocuteur, Omega Fishing a attribué des quotas à certains mareyeurs qui sont les seuls à pouvoir lui vendre du poisson. ‘’Omega Fishing a des mareyeurs principaux ; ils sont au nombre de huit. Ils sont les seuls à avoir le droit de vendre leur poisson à l’usine’’, a révélé Thione Ndiaye.
Par ailleurs, Louis William, président du GIE Diamo Pêcheurs-Mareyeurs martèle : ‘’ Omega est une entreprise privée qui a élu domicile au quai de pêche depuis 2010. C’est une convention de partenariat comme toutes les autres entreprises qui ont élu domicile dans le quai. Elles sont toutes des locataires.’’ Et ‘’par rapport à la plainte des populations, je crois que tout problème à une solution. La meilleure solution, pour moi, c'est qu’Omega puisse améliorer ses conditions de travail et nous y sommes. Pour les populations, je leur demande un peu de patience et bientôt tout va s'arranger’’, a promis de président du GIE chargé de la gestion du quai de pêche.
Par contre, précise-t-il, ‘’n'oublions pas qu'il ne peut pas y avoir de transformation de produits sans odeur et que les usines sont dans une zone industrielle’’.
Le problème reste entier
Malgré toutes les activités menées par le collectif contre l’usine Omega Fishing, la pestilence provenant de la fabrique de farine de poisson reste le poison de leur vie. Aucune recette miracle pour sauver les populations de cette odeur n’ayant toujours pas été trouvée, le collectif a recueilli 3 000 signatures, à l’occasion d’une pétition destinée à faire déguerpir l’usine de la commune de Joal-Fadiouth. Des marches et des points de presse ont été organisés pour dénoncer la situation. Rien n’y fit. Sentant son impuissance devant cette situation, le collectif de Joal a adhéré à un cadre national des collectifs qui luttent contre les usines de farine de poisson dans les autres localités du Sénégal impactées par ces nouvelles industries pour renforcer leurs moyens.
En attendant la panacée tant attendue par les habitants de Joal, Omega continue de produire sa farine de poisson en dégageant son odeur pestilentielle, les autorités locales restent dans leurs certitudes qu’elles ne sont pas responsables de l’installation de l’usine, les acteurs de la pêche poursuivent leur travail et leur cohabitation paisible avec l’usine, les populations continuent à se battre pour un déguerpissement incertain de l’usine.
‘’EnQuête’’ s’est rendu à l’usine Omega Fishing pour échanger avec les dirigeants. Mais le directeur était absent le jour de notre passage. Notre contact nous a été demandé et on l’a laissé à la responsable qualité de l’usine. L’usine ne nous est jamais revenue. On l’a malgré tout relancée, en vain.
IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)