Publié le 2 Sep 2021 - 00:04

Silence, la route tue ! 

 

Au Sénégal, voyager ou tout simplement prendre la route devient de plus en plus un risque. La plupart des ministres en charge des transports ont eu à se rendre dans des lieux d’accidents tragiques aussi funestes les uns que les autres. A chaque fois, le facteur humain est la cause la plus évidente et la plus déterminante. Le mal ne se trouve-t-il pas d’abord à ce niveau ? Les explications évoquées ne sont-ils pas plus profondes cachant un dérèglement structurel à plusieurs niveaux ?

D’abord, concernant la formation des apprenants à la conduite, de l’aveu même du Président de l’amicale des moniteurs et employés d'auto-Ecoles du Sénégal lors d’une récente interview à la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise, il existerait des auto-écoles qui exercent en toute clandestinité.  Faut-il aussi constater qu’avec la cherté des coûts de formation et la rareté des structures de formation des moniteurs d’auto-écoles, ces derniers, de guerre lasse, se forment sur le tas et deviennent responsables de l’initiation d’apprenants de plus en plus jeunes. Dès lors, se pose la question de la régulation et du suivi des auto-écoles dont les activités aboutissent à la délivrance des permis de conduite. Cela interroge aussi la rigueur nécessaire à la délivrance de permis de conduire. Parfois on a l’impression qu’il suffit de payer assez pour avoir son permis. C’est, peut-être, pour cette raison que les futurs conducteurs assimilent des comportements déviants qu’ils reproduisent sur la route et envers les agents de l’État préposés au contrôle.

Par ailleurs, l’enseignement théorique du code de la route est essentiellement centré sur l’apprentissage des règles de conduite et des panneaux de signalisation. Il aborde peu la responsabilité des conducteurs et le respect de la sécurité routière. Ainsi, est-il nécessaire d’introduire des innovations ainsi que des messages forts de sensibilisation dans les cours théoriques en explicitant aux apprenant les dangers qui sont inhérents à un non-respect du code de la route. Combien de conducteurs savent qu’un accident à une vitesse de 50 Km/H correspond à une chute du 2ème étage d’un immeuble ?

Ensuite, à propos de l’état des véhicules, malgré la modernisation de la visite technique dans la région de Dakar principalement (qui est l’une des rares capitales africaines où les charrettes circulent), nous constatons tous que des « épaves roulantes » (cars rapides, clandos, Ndiaga Ndiaye, taxi bagages, etc.) continuent à arpenter dangereusement nos routes, sous l’œil des agents de contrôle. Pour y remédier, il est important de durcir les conditions d’attribution de la visite technique, en mettant un place un système de contrôle qui ne permet aucun passe-droit. Au-delà des visites techniques annuelles, n’est-il pas nécessaire de restaurer le contrôle régulier de l’état des véhicules par les policiers et gendarmes sur les routes ? Dans la même veine, les chauffeurs devraient être soumis, lors des contrôles, à des tests d’alcoolémie et de prise de substances inappropriées pour la conduite.

Le renouvellement du parc automobile est également à encourager. Il passerait d’abord par la mise à la casse de certains véhicules qui sont devenus inadaptés à la circulation puis par l’imposition d’une taxe importante sur les véhicules d’un certain âge (voitures de collection). L’autorisation d’importer des véhicules datant de 15 ans pour les véhicules consommant de l’essence ou d’autres sources d’énergie propre et 10 ans pour les véhicules à gasoil pourrait également faciliter cela.

Aussi la professionnalisation du secteur de la mécanique automobile par la promotion de la formation professionnelle et l’appui à l’installation d’entreprises de vente de pièces détachées certifiées et de réparation mécanique dotées des technologies de dernière génération aiderait à maintenir nos véhicules en bon état.

S’agissant des acteurs du transport, la formalisation des contrats de travail et une protection sociale des chauffeurs et des autres prestataires devraient être obligatoires au même titre que l’assurance véhicule. Une sécurité sociale englobant la couverture santé, retraite et chômage permettrait d’assurer de bonnes conditions de travail et d’éviter que des chauffeurs d’un âge avancé soit encore obligés de travailler. Les politiques de protection sociale mises en œuvre depuis quelques décennies ont permis d’avoir un système performant pouvant enrôler l’ensemble des individus concernés dans des mutuelles de santé ou dans le « régime simplifié des petits contribuables ». Cela participerait aussi à une professionnalisation du secteur du transport que les acteurs appellent de tous leurs vœux.

Cet ensemble de dispositions pourraient être prises en urgence, dès maintenant, afin de lutter de façon drastique contre la récurrence des accidents de circulation qui commencent à constituer un fléau couteux pour notre pays.

Au demeurant, Durkheim nous a appris que « dans toute société, existe une morale au nom de laquelle les opinions jugent et les tribunaux condamnent », la vie en société sénégalaise ayant comme soutènement le « yaar et le teguinn[1] », il est temps pour l’Etat pour de stopper l’indiscipline qui règne sur nos routes.

La perte d’un membre de la famille est l’un des chocs qui l’affecte le plus durablement surtout si l’on pouvait éviter. Pour y remédier, ne faut-il pas appliquer la recette de Foucault : « surveiller et punir » ? Il est certain qu’aucun acte, aucune mesure, aucune loi ne sera de trop. Ce faisant, gageons croire que la fermeté dans la gestion du secteur des transports va définitivement prévaloir.

Amadou Kanar Diop, sociologue-communicant

afcdiop@gmail.com

 

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