Publié le 18 May 2023 - 00:44
TENSIONS POLITICO-JUDICIAIRES

La société civile prend son bâton de pèlerin pour un retour au calme

 

Plus de deux ans après les émeutes de mars 2021, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Au moment où l’on se dirige vers de nouvelles heures sombres de l’histoire politique du Sénégal, une partie de la société civile plaide pour le retour au calme.

 

Le procès opposant Ousmane Sonko à la jeune masseuse Adji Sarr n’a pas encore débuté qu’il commence  déjà à embraser le Sénégal. Alors qu’une première audience prévue hier a été reportée à mardi prochain, des heurts ont éclaté, lundi, dans plusieurs localités et principalement à Ziguinchor, à la veille de la programmation de cette affaire. Trois morts ont déjà été enregistrés et plusieurs blessés et des scènes de pillage et de saccage. Le Groupe de facilitation, constitué de personnalités d’organisations de la société civile, a entrepris une opération visant un apaisement des tensions.

Dans un communiqué, Alioune Tine et ses collègues promettent de ‘’poursuivre les rencontres et concertations avec les autorités religieuses, les acteurs politiques, la société civile et les organisations socioprofessionnelles, afin de contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité de plus en plus menacée de notre pays’’.

Le Groupe de facilitation s’est déjà réuni lundi 15 mai pour examiner la situation politique nationale de plus en plus ‘’tendue et inquiétante’’. Une journée lors de laquelle les tensions se sont matérialisées par la mort accidentelle du policier Khassim Diédhiou lors d’une manifestation à Ziguinchor.

Des heurts malgré le renvoi du procès

Ces épisodes violents font craindre le pire, avec la rumeur persistante d’une arrestation d’Ousmane Sonko combinée à la présence massive d’éléments des forces de défense et de sécurité dans la capitale méridionale. Pour parer à toute éventualité, les partisans du principal opposant au régime ont érigé un bouclier humain autour des accès menant au domicile du leader de Pastef/Les patriotes.

Malgré le renvoi du procès, des heurts ont encore été notés, hier matin, dans ce fief de l’ancien député. Convoqué au début de cette affaire en mars 2021, l’arrestation de l’opposant, alors qu’il se rendait au tribunal, a été le point  du déclenchement de cinq jours d’émeutes parmi les plus violentes de l’histoire politique du Sénégal, dont le bilan officiel fait état de 14 morts et près de 600 blessés, selon la Croix-Rouge sénégalaise.  

Pour un retour au calme, des organisations de la société civile ont fait appel aux forces vives de la nation et la libération d’Ousmane Sonko a fait baisser les tensions. Le mouvement de contestation M2D (Mouvement de défense de la démocratie), mis en place suite à cette affaire, suspend ses appels à manifestation à la suite d'une demande de plusieurs chefs religieux, dont le khalife général des mourides Serigne Mountakha Mbacké. En échange, ils demandent notamment ‘’la libération immédiate et sans condition des prisonniers politiques incarcérés’’, l'arrêt de la persécution des opposants et la fin des poursuites contre Ousmane Sonko. Ils demandent également au président Macky Sall de s'engager à organiser les prochaines élections dans des conditions libres et démocratiques, et de ne pas briguer un troisième mandat.

2021 vs 2023, rien n’a changé

Plus de deux ans après, alors que l’élection présidentielle 2024 approche à grands pas, aucun de ces points n’a réellement été satisfait. En plus des accusations de viols et menaces de mort de l’ex-employée du salon Sweet Beauté, un procès pour diffamation est venu contrecarrer l’éligibilité du président de Pastef, les arrestations se multiplient dans les rangs de son parti et tous les signaux montrent une intention du président Macky Sall de briguer un troisième mandat à la tête du Sénégal.

Dans un rapport dénommé ‘’Le Sénégal : un modèle démographique en déclin’’ récemment publié, le think tank Afrikajom Center peint un tableau peu reluisant de la démocratie sénégalaise sous le régime du président de la République Macky Sall. Et selon l’organisation de la société civile, ‘’le Sénégal traverse, à l’heure actuelle, la crise démocratique la plus grave et la plus complexe, sans doute, de son histoire politique et de son histoire électorale depuis François Carpot et Blaise Diagne en 1914’’.

Le document souligne qu’au Sénégal, ‘’tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd’hui que, sur les questions politiques, la justice présente des insuffisances manifestes à réguler le contentieux politique au Sénégal depuis des années. La perception qu’elle n’est pas «indépendante», pas «impartiale», «qu’elle est sélective» et qu’elle est «une justice de deux poids deux mesures» est durement ancrée dans l’imaginaire des Sénégalais’’.

Facilitation des conditions d’un dialogue inclusif

Dans un pays où les libertés d’expression et de manifestation sont consacrées par l’article 10 de la Constitution, l’organisation fondée par Alioune Tine dénonce la ‘’criminalisation des opinions dissidentes et de l’opposition politique’’. Lors des regroupements, ‘’les forces de défense et de sécurité ont fait usage d’une violence excessive et disproportionnée sur les manifestants pacifiques au mois de mars 2021, dans différentes villes du Sénégal’’.

Au moment où l’histoire semble se répéter, le Groupe de facilitation appelle à la ‘’préservation des valeurs de la République, les garants de la cohésion et de la paix sociales’’. Ceci, par la facilitation des conditions d’un dialogue inclusif.

Avant ce regain de tensions, le président de la République a lancé un appel au dialogue auquel le leader de l’opposition a, pour le moment, refusé de participer, réclamant la libération des prisonniers politiques et l’arrêt des ‘’persécutions’’ judiciaires.

Entretemps, les procès contre Ousmane Sonko se sont multipliés, au point que son arrestation semble imminente.

Lamine Diouf

 

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