Publié le 11 May 2015 - 12:04
TOURISME SÉNÉGALAIS

Les maux de la décadence

Les acteurs du tourisme sénégalais se sont réunis lors de la publication de l’agenda touristique de cette année pour arriver au même constat : la filière est en souffrance. Jadis mamelle importante de l’économie sénégalaise, le tourisme paie cash les erreurs répétées d’un pilotage à vue. Les dix années passées n’ont pas été les plus reluisantes pour cette filière. Malgré une cascade de circonstances défavorables et une gestion approximative, acteurs et autorités veulent insuffler un souffle nouveau à une activité sur les rotules.

 

Immobilisme et manque de clairvoyance. Pour la directrice de l’agence de tourisme CTA, Awa Guèye Sow, ces deux manquements illustrent à merveille les tares qui caractérisent la mauvaise passe de ce secteur au Sénégal depuis une décennie. ‘‘Personnellement, je pense que notre  destination a perdu en attractivité faute  d’une  volonté politique  affichée que nous aurions  dû  avoir depuis plus de  10 ans. Notre  offre  touristique ne  reflète pas un bon rapport  qualité/prix’’, résume-t-elle dans les couloirs silencieux du King Fahd Palace Hotel. Un atelier entre les ministères du Tourisme et de la Culture, avec les professionnels de la filière touristique, bat son plein ce mardi 5 mai. Objet ? Le lancement de l’agenda culturel et touristique 2015 dont la dernière publication remontait à 2005.

Une décennie de traversée du désert pour un secteur qui comptabilise près de 7% du Pib, selon les indicateurs économiques. Après le choc pétrolier de 1973, suivi d’une décennie de sécheresse,  l’effondrement des deux mamelles de l’économie sénégalaise avait poussé les pouvoirs publics à explorer d’autres options moins dépendants des aléas pluviométriques. Le tourisme  s’était ainsi présenté comme une alternative à la contribution d’une croissance après plusieurs décennies  d’expérimentation. Dans son âge d’or, il a même été considéré comme le deuxième pourvoyeur de devises après la pêche. Générant 100 000 emplois, directs et indirects ; sans compter ses effets induits positifs sur la protection sociale et des secteurs transversaux, le tourisme va mal pourtant. Mais depuis quelque temps, les alertes des acteurs touristiques se font de plus en plus pressantes  sur la perte de vitesse du secteur. ‘‘La morosité de ce secteur est due à la combinaison de facteurs endogènes et exogènes’’, explique Cheikh Gaye, du syndicat agences de voyage et de tourisme du Sénégal, qui agite le chiffon rouge devant les choix discutables pour le tourisme, la cherté de la destination, l’essoufflement du tourisme balnéaire, le manque d’orientations stratégiques…. Le tourisme est en proie à des soubresauts convulsifs que les acteurs veulent maîtriser avec diligence pour lui redonner ses lettres de noblesse.

Le Sénégal, destination payée fort cher

Malgré une position géographique idéale, l’attractivité de la destination Sénégal pose problème à cause de sa cherté. Les prix du tourisme sénégalais ne sont pas compétitifs. Pis, ils sont prohibitifs  face à une concurrence plus efficace. En dépit d’un emplacement pratiquement similaire à celui de son voisin cap-verdien, par rapport à l’Europe (principal marché émetteur), les coûts sont onéreux. Awa Sow, explique  qu’entre  ‘‘ces  2 pays, c’est  essentiellement les taxes sur le billet d’avion. Pourtant aux Iles du Cap-Vert, le  visa est  instauré avec une  redevance de seulement 20 euros  payables à  l’aéroport  sans  trop de  formalités. Et les  hôtels  y affichent  complet’’, déclare-t-elle. En effet, pas moins de huit redevances surenchérissent sur le billet d’avion dont la Redevance d’atterrissage ; d’éclairage ; passagers ; stationnement ; carburant ; sûreté ; Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (RDIA) ; et celle de la sécurité portant le prix du visa à 54 euros. Au finish, le package sénégalais coûte cher au touriste. ‘‘Ça tourne autour de 1 100 à 1 300 euros (soit 721 553 à 852 744 F Cfa) par personne, alors qu’au Cap-Vert, c’est entre 900 et 1 000 euros (590 360 à 655 957 FCfa).

 Pour le Maroc, c’est moins de la moitié’’, fait savoir  Moustapha Kane, Secrétaire permanent du syndicat patronal de l’industrie hôtelière du Sénégal. Outre le renchérissement des charges, ce sont les lourdeurs administratives dans l’obtention du visa biométrique qui décourageait les visiteurs. ‘‘Malgré le  dispositif  d’accueil mis par les autorités, nos  touristes  se plaignaient  souvent  du temps qu’ils mettaient pour  remplir cette  formalité payante ou non au niveau de l’aéroport. Il y aura une meilleure  fluidité dans la  zone d’arrivée  des passagers au  niveau de l’aéroport’’, déclare Awa Guèye Sow, soulagée par cette levée,  tout comme on l’est dans le milieu.

Les réactions favorables sont unanimes pour cette mesure incitative, dont l’application des dispositions annexes est attendue avec impatience. Mieux ou pire que le voisin cap-verdien, le Maroc constitue un raccourci plus facile pour les touristes européens, français en particulier, qui constituent l’essentiel de la clientèle. Avec une  politique touristique  mieux  structurée, une  vision claire des objectifs évalués à l’horizon 2020, une politique  d’ouverture du ciel  moins  contraignante qu’au Sénégal, et la proximité avec  l’Europe ; le royaume chérifien capte plus facilement les touristes, explique Mme Guèye Sow.

La suppression ou l’allègement de ces taxes, qui constituent une des mesures d’accompagnement à la suppression du visa, pose problème toutefois. Les différentes intersyndicales de l’aéroport font plus que grincer des dents quant à une telle mesure. Lors du sit-in des travailleurs des Aéroports du Sénégal (ADS), en début mai, Serigne Moustapha Guèye, responsable syndical,  a fait état d’une perte de l’ordre de 8 milliards dans les chiffres d’affaire de la structure, si la mesure venait à être actée. Concomitamment, un cafouillage dans la gestion touristique s’est traduit par ce choix contesté de la réciprocité du visa. Un immobilisme du marché sénégalais face aux évènements géopolitiques dans le Nord de l’Afrique que déplore Moustapha Kane : ‘‘ Nous n’avons pas su nous positionner par rapport aux événements du printemps arabe. Nous n’avons pu capter les clients de Tunisie, d’Egypte car il y avait eu un surcoût au même moment’’, se désole le Secrétaire permanent du syndicat patronal de l’industrie hôtelière du Sénégal.

Érosion côtière et Ebola, hantises du tourisme balnéaire

Les autres obstacles du tourisme ont pour noms érosion côtière et  Ebola. Saly Portudal, l’image d’Epinal du tourisme balnéaire sénégalais, prend l’eau de toutes parts. L’érosion côtière menace le devenir de  ce type de tourisme dans la Petite côte. Nicolas Forger, directeur de Fram Saly Portudal et porte-parole des responsables de réceptifs, avait tiré la sonnette d’alarme sur ce mal qui ronge les côtes : ‘‘Les causes restent liées en partie à des activités humaines dont l’édification d’infrastructures inappropriées le long du littoral’’, déclarait-il lors d’une conférence de presse du syndicat  des responsables de réceptifs hôteliers de  Saly. Mais Awa Guèye Sow estime que c’est le tourisme balnéaire dans cette station balnéaire qui  est principalement concerné. Et impute cette situation à une non-anticipation des programmes politiques pour offrir des alternatives : ‘‘Nous  avons  tardé à mettre en place les nouvelles  stations touristiques  identifiées comme Pointe Sarène, Joal Finio,  Ndolette, Saint-Louis, Fimela etc. Si nous avions lancé  l’aménagement de ces  stations ou zones  touristiques 15 ou 20 ans en arrière, on aurait pu diversifier  notre  offre  balnéaire et Saly serait  peut-être moins  chargée’’, relativise-t-elle.

 Des facteurs exogènes, dont un de santé publique notamment, expliquent également la régression des chiffres du tourisme. L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’ouest, dont un cas importé au Sénégal, a porté un préjudice incommensurable, surtout à un tourisme d’affaires qui, jusque-là, sortait la tête de l’eau avec des taux d’occupation-lit majorés à 85%. ‘‘Les annulations depuis septembre (2014) se sont traduites par un manque à gagner de 800 millions de F Cfa’’, avouait le directeur du King Fahd Palace, Pierre Mbow, dans le magazine Jeune Afrique du 9 février 2015. Une dramatisation médiatique à outrance qui a desservi la cause du tourisme. Résultats des courses, une fréquentation en chute libre au grand dam des professionnels du tourisme. Une tendance baissière depuis 2008 est notée dans l’arrivée des touristes. Malgré les chiffres officiels qui parlent d’un peu plus de 1 million entre 2011 et 2013, les évaluations des professionnels donnent une version tout autre : moins de 500 000 touristes ; moins de 100 milliards F CFA sont annuellement enregistrés.

 Selon le mémo de relance et de développement du secteur touristique, citant la Direction de prévision des études économiques (Dpee), les touristes sont passés de  490 552 en 2008 à 425 452 en 2011. Les recettes générées par le secteur sont estimées en 2011 à 79,447 milliards F CFA contre 85,057 milliards F Cfa en 2010. Des performances passables stoppées par une résilience  en 2012, où  443 532 visiteurs ont été enregistrés avant la dégringolade statistique, causée par Ebola notamment mais aussi une période préélectorale tendue. Même si le taux d’occupation-lits des hôtels d’affaire affiche des chiffres honorables, 70 et 85% ; la directrice de l’agence de tourisme CTA estime que celui des hôtels  situés dans les zones  balnéaires  illustre bien un malaise car se situant  entre 25 et 30%. Un taux  faible comparé aux taux d’occupation  moyen des  années précédentes qui se situait  entre 60 et 70 %, selon Awa Guèye Sow.

Le cours de  rattrapage d’Abdoulaye Diouf Sarr

La décennie 2005-2015 perdue, les autorités veulent impulser une dynamique nouvelle au secteur. Ainsi, pour s’inscrire dans la perspective d’atteindre le 3 millions de touristes à l’horizon 2023, comme stipulé dans le Plan Sénégal Emergent (Pse), les autorités inoculent le sérum derechef pour une rémission immédiate du secteur touristique. Suite aux complaintes des professionnels du secteur, l’Etat du Sénégal revoit sa copie sur la réciprocité du visa. Après 36 mois d’une application controversée, sa suppression est annoncée par le président Macky Sall lors de son allocution de veille d’indépendance, le 3 avril 2015. ‘‘Le caractère payant du visa n’était pas la seule préoccupation mais toutes les formalités qui constituaient un désagrément pour le touriste ont été supprimées’’,  a déclaré le ministre de tutelle Abdoulaye Diouf Sarr. Une mesure salutaire pour l’ensemble des acteurs de la filière. 

Les autorités veulent également diversifier l’offre pour ne plus subir le diktat du balnéaire. ‘‘Le tourisme a besoin de produits d’affaires et quand nous savons que la culture participe à 40% dans la décision du voyageur, on a intérêt à vulgariser le potentiel culturel de notre pays’’, proposait le ministre du Tourisme Abdoulaye Diouf Sarr au sortir de la rencontre sur l’agenda de 2015. En compagnie de son homologue de la Culture, ils ont édité l’agenda touristique de cette année dont la parution avait cessé depuis 2005. Ceci après un conseil interministériel sur le tourisme en février 2014 sous l’égide du Premier ministre d’alors Aminata Touré. Plus un fonds d’appui de 5 milliards pour l’hôtellerie annoncé par le président Sall, ainsi que la réception de la zone touristique intégrée  de  la pointe de Sarène en 2016 ... Un regain d’activité après une décennie de léthargie dont le Sénégal veut se rattraper pour se repositionner.

Le  pronostic optimiste de la directrice de l’agence de Tourisme CTA est encourageant : ‘’Pour la saison prochaine, on commence à avoir un frémissement d’intérêt pour la destination Sénégal.’’

Les autres chiffres

Le Sénégal compte 744 réceptifs, 34 062 lits, 345 licences d’agences de voyage et 531 guides touristiques dont 21 titulaires. Les hôtels représentent 33,60% du parc, les auberges 31,04%, les campements 24,43% et les résidences 10,93. Des offres que notre pays veut améliorer à l’horizon 2018 avec 15 000 nouveaux lits et 10 000 réceptifs. Les régions de Thiès et de Dakar polarisent  22 540 lits à elles deux. 

Le premier marché émetteur de touristes au Sénégal reste la France avec près de 43% des arrivées. Elle est suivie par la Belgique (3,3%), l’Espagne (3%), l’Italie (2,3%). Le pays est en volume la 35e destination privilégiée des Français, c'est-à-dire seulement 0,5% des départs internationaux depuis le territoire français, la 22e pour les Luxembourgeois, la 48e pour les Belges, la 59e pour les Espagnols, la 72e pour les Italiens et la 111e pour les Allemands.

(Source : Journal EnQuête du 24 novembre 2013 citant rapport du cabinet ISDL/ATTRACT)

Ousmane Laye Diop

 

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