Publié le 29 Apr 2021 - 20:38
TRAFIC DE MEDICAMENTS AU SENEGAL

Crime passionnel 

 

L'industrie pharmaceutique de contrefaçon est florissante, en Afrique de l'Ouest. Au Sénégal, les forces de l'ordre se battent pour mettre fin aux activités des syndicats du crime qui opèrent avec des connexions internationales. Toutefois, la lutte contre ce fléau fait face à de nombreux défis, les faux médicaments faisant encore de nombreuses victimes.

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COMMERCE ILLICITE DE FAUX MEDICAMENTS

La mort, moins chère

Pauvreté, offre de soins insuffisante, absence de contrôle. Au Sénégal, les vendeurs de médicaments trafiqués, contrefaits et dangereux pour la santé, ont pignon sur rue. Reportage au marché Thiaroye de Dakar et à Keur Serigne Bi.

L’arrivée d’une journaliste dans le grouillant marché Keur Serigne Bi, en centre-ville de Dakar, suscite immédiatement de la méfiance. Sur les rives de l’avenue Blaise Diagne, s’entassent des piles de faux médicaments vendus par des centaines de commerçants. Ils se passent le mot : ‘’Ne pas communiquer avec la cliente du jour.’’  Pourtant, l’envie ne manque pas de dire ce qu’ils pensent. Une seule personne est désignée pour parler à la reporter. Cette personne se nomme ‘’Wadjou Waxx’’.  Ce géant ne nous a même pas laissé le temps de placer un mot. ‘’On attendait les journalistes. Depuis la saisie des produits par la police, on sait que vous viendrez ici, comme à chaque fois. Vous pensez que nous sommes ici pour tuer les Sénégalais. Ce n’est pas normal de penser ainsi’’, explose-t-il.

A la question de savoir d’où s’approvisionnent-ils, il souligne qu’il travaille pour ‘’serigne bii’’ (le marabout).  ‘’Quel serigne ?’’, relance la reporter.  Suffisant pour mettre fin à la discussion : ‘’Soxnaci, nga baal gnou, teyy mom amougnou diot been yoon. Mane nga dem beuu souba wala beuss boula nex’’, (désolé madame, nous n’avons pas le temps, aujourd’hui. Si vous voulez, revenez un autre jour). Une façon très démocrate pour lui de prendre congé de nous.

Autre marché, autre décor. A Thiaroye, dans le département de Pikine, en banlieue dakaroise, les vendeurs ont installé leurs médicaments sur des étals, à même le sol, dans des boutiques ou encore dans des bassines. Antibiotiques, antidouleurs, antipaludéens ou traitements contre l'impuissance sexuelle. Des médicaments les plus anciens aux plus innovants, en boîte ou à l'unité.

Les tables débordent de boîtes de gélules, de paquets de comprimés et de flacons de sirop, des racines, des feuilles sèches, entre autres. Ils font la concurrence aux vendeurs de légumes. Quand les clients viennent pour acheter des légumes, les vendeurs de médicaments font tout pour détourner leur attention. Pour mieux se faire entendre, certains utilisent des haut-parleurs, d’autres des sifflets. Un vrai commerce se fait dans ce lieu. Il est parfois difficile, pour les clients, de reconnaître le vrai du faux médicament. Les emballages sont tour à tour criards ou très conformes à ceux des spécialités pharmaceutiques. Et les prix sont accessibles à toutes les bourses. Mais au lieu de vous guérir, ces médicaments risquent d'aggraver votre état de santé ou même de vous tuer.

Sur les lieux, il est impossible de sensibiliser les acheteurs sur le danger de ces médicaments, de peur de se faire lyncher. Secrétaires, taximen, ménagères, journalistes, commerçants, enseignants, hôteliers, entre autres, s’approvisionnent dans ce marché.

Salimata Dieng vient acheter ses médicaments. Un vendeur à la sauvette ne tarde pas à arriver. Il est vite recadré par le ‘’grossiste’’ Samba Diop.  ‘’Boy, mayal nit ki mou diall. Sof guene toropp. Kii ci mane leu dieum cii’ (jeune homme, cède le passage à la dame.  Elle n’est pas là pour toi), lance-t-il au démarcheur impudent, avant de s’adresser à la cliente : ‘’Soxnaci, loulay metti’’ (Madame, qu’est-ce qui ne va pas ?’’  La dame répond : ‘’Beugne bou meti moma soonal. Biig dama xolé beu fadiar.’’ (J’ai une rage de dent. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.’’ Aussitôt, Samba lui tend des comprimés en lui disant : ‘’Dom souba, dom ngoon’’ (un comprimé le matin, un autre le soir). La dame lui demande si elle peut prendre un comprimé sur le champ. Il répond par l’affirmative.  Salimata achète un sachet d’eau de 50 F et ingurgite ses cachets. Elle garde les autres comprimés, avant de rebrousser chemin.

‘’Les pharmacies sont faites pour les autorités’’

Sur le chemin de retour, nous lui demandons pourquoi elle n’est pas allée à la pharmacie. Elle répond sèchement : ‘’Wax leene ma bane garab lagnoy diaye gnari fouk, pharmacie ? Niit dangay xam seu boop. Gnoune new dii doole yii, yii gnoy sougnou pharmacie. Cou nek akk li nga tolol’’ (Donne-moi le nom d’un médicament vendu à 100 F dans les pharmacies. Il faut savoir raison garder. Nous les pauvres, nos pharmacies sont ces détaillants. Quand on n’a pas les moyens, il faut se contenter de ce que l’on a.)

Salimata ne veut rien savoir du danger de ces médicaments, encore moins de leur provenance. Tout ce qui l’intéresse, c’est un remède pour calmer son mal. Pour cette dame, il y a qu’une chose à faire : de baisser les prix dans les pharmacies. ‘’On ne peut pas fixer des prix dans un pays où la majorité peine à se nourrir. Les pharmacies sont faites pour les autorités. Il y avait une pharmacie à côté de chez moi. Mais c’est fermé. Parce que nous n’avons pas les moyens d’acheter un médicament à 5 000 F, alors qu’au marché, il coûte 200 F, avec le même résultat. Nous sommes en bonne santé et nous rendons grâce’’, dit-elle.

De retour au marché, la table du vendeur Samba Diop et même celles des autres sont entourées de monde. Il suffit juste de dire de quoi l’on souffre. Et les ‘’pharmaciens’’ viennent à votre secours. Tahirou Sow fait partie de ceux qui ont pris d’assaut les tables de médicaments. Ce jeune étudiant connait les conséquences des médicaments de la rue. Malgré tout, il ferme les yeux et les utilise. Son explication est toute simple : ‘’Je suis allé à l'hôpital ; j'avais mal au ventre. On m'a prescrit un médicament. Mais quand je suis allé l'acheter à la pharmacie, j'ai trouvé qu'il était trop cher. J'ai donc dû acheter des médicaments illicites, car ils sont beaucoup moins chers."

Par chance, quand il a pris les cachets, ses maux de ventre ont arrêté. Depuis lors, quand ses maux reviennent, il vient voir son vendeur Samba Diop.  ‘’Contrairement aux autres vendeurs, je trouve que les médicaments de Samba sont bons. Tout n’est pas faux dans ce qu’il vend. Il y a du bon’’, défend-il. Loin d’être naïf, il a bien conscience du danger. ‘’Le risque zéro n’existe pas. Je sais qu’en faisant cela, je cours un grand risque. Mais je confie ma vie à Dieu. D’ailleurs, mes parents ne sont pas au courant. Si ma mère l’apprend, elle va me tuer. J’ai la chance qu’ils ne lisent pas les journaux. Ils préfèrent suivre l’information à la télévision’’, se confie-t-il.

‘’Nous allons créer un syndicat pour mieux défendre notre profession’’

‘’Gilbert est arrivé. Il dit de lui donner les médicaments’’, annonce un jeune garçon à Samba.  ‘’Prends-en et passe-lui mon bonjour’’, rétorque le vendeur. Le jeune garçon prend un sachet et court faire la commission. A quelques mètres du marché, est garée une voiture. Dedans, se trouve un homme de teint clair. Lunettes couvrant le visage, il guette, à travers son rétroviseur, l’arrivée du petit garçon. Il lui tend le sachet en criant : ‘’Tonton Gilbert, tient. Samba vous salue.’’ Gilbert remet quelque chose au petit garçon. Ce dernier, sourire aux lèvres, le remercie. Il démarre la voiture et s’en va.  Le jeune s’arrête un moment pour esquisser des pas de danse.

Gilbert fait partie des plus grands clients de Samba. Il ne vient jamais au marché.  S’il a besoin de médicaments, il se fait livrer. Mais, de temps en temps, s’il est dans les parages, il appelle ce jeune garçon qui va lui chercher les médications. C’est ainsi que se passe ce commerce. Il se fait dans la discrétion.

Alphonse Sène a toutes les informations sur le trafic de médicaments de rue. Mais il n’y achète que des remèdes traditionnels, des tisanes et des racines. Et si le traitement ne fonctionne pas, il dit aller ensuite à l’hôpital, mais le moins possible, parce qu’il "manque de moyens".  Seynabou Dia, cliente, assure que les commerçants du marché vendent du paracétamol authentique et moins cher que dans les officines, parce qu’ils achètent en gros. ‘’Ils savent comment fonctionnent les médicaments et connaissant leurs clients, savent ce qui va convenir à chacun. De quoi faire s’arracher les cheveux aux pharmaciens diplômés’’, nargue-t-elle.

Car, ‘’dans la rue, les médicaments s’achètent à moindre coût, à la carte, pour un traitement ponctuel, à crédit ou selon ses moyens. Ce qui n’est pas le cas dans les pharmacies où l’on ne vend pas au détail.  Même si, au final, le prix à l’unité ne revient pas plus cher en pharmacie, les gens préfèrent parfois payer une ou deux unités seulement’’, explique-t-elle.  

Il a est presque 15 h, quand Samba a pris congé de ses clients. Presque tout le monde est parti. On palabre avec ce grand vendeur, sans grand succès.  On aura beau déployer des trésors d’éloquence et d’arguments, rien n’y fera. Il est persuadé qu’il a raison de vendre ces médicaments et qu’ils sont efficaces. Il sait que c’est interdit, mais il pense que c’est pour des raisons commerciales, pour ne pas faire concurrence aux pharmacies. Il ne croit pas à la thèse des faux médicaments dangereux.

D’ailleurs, il nous informe qu’ils sont en train de se regrouper pour demander à l’Etat de les reconnaître. ‘’Le bon travail que nous faisons, l’Etat doit le reconnaître. Parce que c’est grâce à nous que beaucoup de gens se soignent. Nous allons créer un syndicat pour mieux défendre notre profession. Nous allons demander aux autorités l’autorisation, sous peu’’ (sic), annonce Samba Diop.

La complicité de l’Etat

Si, pour certains, les populations ne sont pas bien sensibilisées sur l’usage des faux médicaments, d’autres pointent du doigt l’Etat. Abdourahmane Dieng est convaincu que tout ce trafic est organisé par des autorités. Cet étudiant à la faculté de Médecine n’arrive pas à comprendre comment des médicaments hors-circuit arrivent au Sénégal. ‘’Imaginez tous les corps de contrôle qui sont au port, aux frontières, à l’aéroport !  Si les produits passent, c’est parce que quelqu’un a donné l’ordre. Nous avons compris le jeu. L’Etat joue aux pompiers, quand il y a une saisie. Mais, au fond, il est le principal acteur’’, dénonce-t-il.

Très remontée par ce trafic, il soutient que tous les décès liés aux faux médicaments sont de la faute de l’Etat. ‘’Il faut que nos autorités avouent qu’elles sont en train de tuer la population. Ce n’est pas la faute à ces importateurs. C’est celle de l’Etat, en passant par tous les corps de contrôle’’, fustige-t-il.  

Embouchant la même trompette, le docteur Saliou Diop traite l’Etat de ‘’dealer’’. Pour le pharmacien, ‘’il faut qu’on arrête de tourner autour du pot. Tout le monde sait qu’on ne peut pas importer des œufs sans l’avis de l’Etat. C’est lui qui contrôle, qui donne les ordres et libère. Pourquoi chercher d’autres coupables, alors que le véritable responsable est là ? On nous parlait, lors des émeutes, de forces occultes et de terroristes. Mais ce sont eux les véritables terroristes’’.

De l’avis du doctorant, l’Etat a la possibilité d’arrêter ce trafic, s’il le voulait. Mais ‘’il a sa part dans ce business. Vous voulez que nos autorités coupent le robinet qui les nourrit ? Elles ne vont jamais le faire. Ce business est très lucratif. La population doit comprendre que nous sommes les seuls perdants. L’Etat nous tue, en nous regardant droit dans les yeux’’.

Pour étayer ses propos, il a donné l’exemple de Woury Diallo qui a été gracié par le président de la République Macky Sall. ‘’On poursuit quelqu’un pour trafic de médicaments. Avant d’être jugé, le président le gracie. Vous pensez que cet acte est neutre ? Il faut qu’on respecte et qu’on arrête de prendre les Sénégalais pour des idiots’’, dénonce-t-il.

VIVIANE DIATTA

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