‘’Ce que nous proposent les candidats…’’
Président de l’Association des animateurs culturels, Thierno Diagne Bâ décortique pour ‘’EnQuête’’ les propositions des candidats à la Présidentielle pour le développement du secteur de la culture.
Que pensez-vous de ce que certains candidats, ceux qui ont pris la peine de le faire, proposent dans leur programme pour faire avancer la culture ?
Il faut saluer les offres de programme ou politiques culturelles des candidats à l’élection présidentielle 2024. Toutefois, ils sont tous dans la continuité des politiques culturelles du Sénégal : valorisation et promotion du patrimoine, construction d’infrastructures, organisation de manifestations culturelles, subvention des acteurs culturels et financement des entreprises culturelles.
Certains présentent même des programmes qui existent déjà. Ce qui fait que leurs propositions manquent de cohérence par rapport à leur vision et la politique culturelle existante. D’autres ont, par ailleurs, des offres très intéressantes qui méritent une attention. Exemples en seraient :
le candidat Amadou Bâ qui propose de mettre en place rapidement des mécanismes opérationnels de la rémunération pour copie privée, d’accélérer la construction de l’École nationale des arts et métiers de la culture (Enamc) et de la Cité du cinéma et de l’audiovisuel ;
Bassirou Diomaye Faye qui entend mettre en place une économie de la culture en renforçant les mécanismes de financement qui existent déjà comme le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica), le Fonds de développement des cultures urbaines (FDCU) devenu Fonds de développement des cultures urbaines et des industries créatives (FDCUIC), le Fonds d’aide à l’édition (FAE) et le Fonds de soutiens aux manifestations culturelles (FSMC) ;
Idrissa Seck propose de construire dans chaque capitale régionale un palais de la Culture ;
Khalifa Sall promet de lancer un programme de développement intégré de l’industrie de production audiovisuelle, cinématographique et digitale, et de protéger les industries créatives naissantes au moyen d’un cadre juridique ;
Aliou Mamadou Dia souhaite développer le tourisme religieux et mettre en place une École nationale de la cinématographie et du numérique ;
Déthié Fall promet d’organiser des assises culturelles avec toutes les parties prenantes en cohérence avec sa vision et d’ouvrir une école nationale d’architecture. Il entend aussi faire de la diplomatie culturelle un pilier central pour étendre la capacité d’influence du Sénégal ;
Mahammed Boun Abdallah Dionne, le candidat qui a proposé beaucoup de réformes dans son offre programmatique, n’a proposé aucune réforme pour la culture. Dans son programme, on peut lire : ‘’Mon gouvernement, en collaboration avec les organisations locales, va mettre en place des initiatives de soutien visant à promouvoir l’artisanat, améliorer les compétences des artisans et faciliter l’accès au marché international.’’ Pour y arriver, il compte ‘’promouvoir la culture en valorisant et en promouvant la richesse de la culture locale à travers l’artisanat, en encourageant la création d’articles qui reflètent les traditions et l’identité sénégalaise. Mais aussi en organisant des évènements culturels et des expositions pour exposer des œuvres des artisans’’.
Pour le candidat Dionne, la culture se résume à l’artisanat et à l’organisation d’évènements.
En somme, les différentes propositions, même si elles ne disent pas comment y arriver, sont louables, se complètent et vont en droite ligne avec une certaine demande. Cependant, aucun candidat n’est dans la réforme des politiques culturelles ni dans la prospective.
À votre avis, quelles sont les véritables réformes à envisager pour un changement notoire ?
Les politiques culturelles au Sénégal ont réellement besoin de réformes. La première est celle de l’institution. Le ministère de la Culture, qui conçoit et met en œuvre les actions culturelles de l’État, doit être réformé pour mieux répondre aux exigences de l’heure pour lui donner une certaine cohérence par rapport à la vision du Sénégal qui tend vers l’émergence.
Pour se faire, il est important de moderniser les instruments de nos politiques culturelles, en créant un écosystème, une écologie culturelle dynamique et durable, en modernisant nos infrastructures culturelles, en révisant les cadres législatifs et réglementaires par rapport au numérique, en créant une fiscalité propre pour nos entreprises culturelles, en revoyant la structuration et le fonctionnement des différents mécanismes de financement (Fopica, FDCUIC, FAE…) qui doivent tenir compte de la particularité de l’économie de la culture.
La culture est une expression démocratique, mais les régions et les départements manquent d’infrastructures culturelles de qualité. On peut se poser légitimement cette question : quelles réformes des centres culturels régionaux ?
Spécifiquement, en tant que président de l’Adac, au plan administratif, qu’est-ce qui devrait être fait pour l’amélioration des conditions de travail des fonctionnaires du ministère de la Culture ?
La réforme du statut du cadre des fonctionnaires de la culture est plus qu’une nécessité, c’est une exigence. Ce statut n’a plus évolué depuis 1980. J’invite le prochain président de la République à faire de la réforme dudit statut un élément important de sa politique culturelle. Il est notoire que le décret est caduc, le secteur de la culture a évolué et est complètement bousculé par le numérique, avec de nouveaux enjeux et métiers. De cette révision découlera inéluctablement la création de nouveaux corps.
En effet, au ministère de la Culture, il n’existe que cinq corps, à savoir : le corps des conseillers aux affaires culturelles, celui des conservateurs de musée, le corps des animateurs culturels, celui des techniciens de musée et le corps des gardiens de musée. Ils sont certes importants, mais ne sont plus suffisants dans le contexte de l’évolution drastique du secteur. Face aux industries culturelles et créatives bouleversées par le numérique et à la dynamique du patrimoine, les politiques culturelles sont obligées de s’adapter à la mondialisation de la culture et la prégnance des Gafan (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix) qui donnent un autre visage à la diversité culturelle. Un changement de paradigme s’impose inéluctablement.
En conclusion, je peux dire que la culture doit être au cœur des politiques de développement du prochain président : la culture pour l’éducation et la construction d’une société où l’humain sera au centre, la culture pour panser les peines et les violences, la culture pour donner de l’emploi aux jeunes et booster l’économie, la culture pour rayonner et influencer le monde.
Maguette NDAO