Publié le 20 Mar 2018 - 01:57
VAISSELLE, MENAGE, COURSES…

La nouvelle forme d’exploitation des talibés

 

Quand on parle de maltraitance des enfants dans la rue, au Sénégal, on pense très souvent aux supposés maîtres coraniques. Pourtant, l’exploitation de cette couche a pris une nouvelle forme. A Thiès, certains talibés ont des ‘’Cdi’’ avec des propriétaires de fast-food, avec des banques, des boutiques… Ils s’occupent de la propreté des lieux ou de la vaisselle, moyennant 500 F Cfa à ramener à la maison.

 

‘’Talibé, viens, je vais t’envoyer. Tu vois cette maison, juste derrière, il y a une boutique. Je veux que tu m’achètes un kilo de sucre. Vas-y et fais vite, car les clients m’attendent’’. Cet ordre a été servi sans aucune hésitation à un jeune talibé d’environ 7 ans par une vendeuse de petit-déjeuner installée le long de l’avenue Léopold Sédar Senghor. Une scène qui s’est déroulée sous nos yeux. Aussitôt après, l’enfant a obéi et s’est mis à courir. Monnayant combien ? Peut-être une tasse de café ou même rien du tout.

A quelques mètres de là, sur la même avenue, se trouve Moussa. Comme tous les jours, ce talibé, ‘’employé’’ dans une banque de la place, s’occupe du balayage de la devanture de l’institution. Et comme tout le personnel, il tient à son boulot. En cette matinée du jeudi, c’est lui qui doit balayer, encore, les quelques mètres carrés donnant accès à la banque.

Voilà, entre autres nouvelles formes d’exploitation des enfants dans la rue. Laissés à eux-mêmes, ces derniers sont devenus les domestiques d’un nouveau genre. Ils travaillent comme des ‘’fous’’ et parfois sous le chaud soleil, à la recherche du billet de 500 F Cfa que leur recommande le maître coranique. ‘’Je suis là tous les jours pour balayer. C’est un travail qui n’est pas difficile et les gens sont gentils avec moi. Quand je termine mon boulot, ils me donnent 500 F Cfa et même plus. Ils me donnent aussi à manger. Je parviens à compléter la somme en déployant moins d’efforts, contrairement à mes camarades qui sillonnent les rues pour se retrouver, au bout du compte, avec moins de 500 F Cfa. Je suis obligé de faire ce travail parce que je dois remettre tous les jours 500 F Cfa à notre maître’’, explique, avec fierté, l’enfant qui étudie dans une école coranique sise dans la commune de Thiès.

Au début, ils étaient deux dans cette aventure. Mais, au final, son binôme a préféré maintenir la voie classique en arpentant, avec ses autres camarades, les rues de la cité du Rail à la recherche de quoi ramener au ‘’daara’’. D’où le regret de Moussa. ‘’J’ai fait de mon mieux pour l’empêcher de partir, car nous étions bien accueillis ici. Les gens nous aident très bien. Malheureusement, il a décidé de rejoindre l’autre groupe. Moi, je ne partirai pas d’ici, à moins que celui qui m’a coopté en décide autrement. C’est un travail qui nécessite moins d’efforts et je l’apprécie’’, poursuit le jeune talibé qui, vraisemblablement, n’est pas conscient de la double exploitation dont il est victime.  

Pourtant, la Déclaration de Genève de 1924 est très claire. Elle stipule que ‘’l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur’’, autrement dit, l’éducation, la santé et la protection... Au Sénégal, cette franche de la société si vulnérable fait l’objet de toutes les convoitises. A défaut de les tuer pour des raisons inconnues, généralement attribuées au sacrifice humain, on les fait travailler moyennant quelques francs symboliques. Si Moussa s’occupe du balayage de la devanture de cette grande institution bancaire, Ousmane et Dame Ndiaye, eux, sont ‘’employés’’ dans un fast-food sis au cœur du marché central de Thiès. Unis par leur emploi, les deux ‘’frangins’’ sont inséparables. Âgés respectivement entre 8 et 9 ans, ces jeunes talibés sont ensemble du matin au soir. Du coup, l’on s’interroge sans cesse sur leurs heures de classe. Sur place, leur tâche est bien définie et se résume au balayage du lieu et à faire la vaisselle.

Propriétaire de fast-food : ’’C’est une façon de les aider’’

Tout comme Moussa, ces deux gosses se disent à l’aise. ‘’Je ne me plains pas. Le travail n’est pas du tout difficile. Et la dame nous traite très bien. Elle nous donne 800 ou 1 000 F Cfa, en plus du petit-déjeuner et du repas froid. Elle est trop indulgente. Si elle voit que nous sommes fatigués, elle n’hésite pas à nous demander de prendre une pause. Elle est trop gentille. C’est elle qui nous donne chaque jour quoi ramener à notre marabout. C’est plus simple d’obtenir la somme de 500 F ici que de marcher à travers les rues de la ville. Quand je me réveille, je viens directement ici’’, se réjouit Ousmane qui, tantôt, jette un regard affectueux à la restauratrice. Pour sa part, Dame Ndiaye soutient que pour rien au monde, il ne quittera les lieux. ‘’Je préfère travailler pour madame que d’errer dans les rues de Thiès du matin au soir. C’est vrai que ce travail est difficile pour moi, mais nous nous épargnons un peu les difficultés que rencontrent nos camarades dans les rues. Ce travail est pénible, mais je ne vais jamais l’abandonner’’, ajoute-t-il avec ténacité.

A les entendre parler, on voit nettement qu’ils sont presque euphoriques.

Leur ‘’employeuse’’ est-elle leur bienfaitrice comme ils la présentent ? En tout cas, dans un premier temps, elle a voulu nous empêcher d’interroger ces ‘’employés’’, avant de se résigner. ‘’Si vous croyez que je les maltraite, alors détrompez-vous, c’est juste une façon de les aider. Personne ne peut mieux les traiter que moi. J’en suis persuadée’’, se défend-elle sous le regard lointain d’Ousmane et de Dame qui ont fini d’effectuer leurs tâches ménagères.

La protection des enfants est pourtant inscrite dans la politique des différents États, notamment le Sénégal. Des lois sont ratifiées au plan international (la Convention internationale des droits de l’enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée en juillet 1990) et intégrées dans le corpus juridique national afin de protéger les enfants contre les dangers (exploitation, négligence et maltraitance…) qui les guettent en permanence. Mais, au ‘’pays de la Téranga’’, l’on se rend compte très souvent que l’Etat et la société ferment les yeux, pendant que certains bafouent les textes et piétinent les couches vulnérables.

GAUSTIN DIATTA (THIES)

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