Au-delà du symbole
Qu’est-ce qui se cache derrière les visites répétitives du Roi du Maroc au Sénégal ? Sa Majesté le Roi du Maroc a l’ambition d’étendre son royaume jusque dans les secteurs clés de l’économie sénégalaise. Dans les infrastructures, les banques, les assurances, l’agro-industrie, les entreprises marocaines gagnent de plus en plus du terrain. Mais le Roi veut plus pour ses ‘’sujets’’.
Le Roi du Maroc, Sa Majesté Mohamed VI, est encore à Dakar. Il y est revenu après une visite de quelques jours en mai 2015. Selon un communiqué de la présidence de la République, le séjour du guide marocain ‘’s’inscrit dans le cadre du raffermissement des relations anciennes et privilégiées d’amitié cordiale et de coopération multiforme entre le Royaume du Maroc et la République du Sénégal’’. Donc Mohamed VI est à Dakar pour une ‘’visite de travail et d’amitié’’, selon la cellule de communication de la Présidence.
Cependant, ce deuxième voyage en l’espace d’une année du Roi peut être assimilé à un déplacement politico-économique. Sur le plan politique, le Maroc a annoncé son désir de réintégrer l’Union africaine (UA). Et avec le rôle important que joue le Sénégal dans cette organisation, l’arrivée du guide peut être vue comme une opération de séduction envers l’Afrique car après le Sénégal, Mohamed VI va débarquer en Éthiopie.
Mais l’aspect économique du voyage de Mohamed VI semble être plus important. Sa tournée a une allure plus qu’économique. Dans un communiqué, le pôle de la communication de la Présidence renseigne que le président de la République, Macky Sall et Sa Majesté Mohammed VI Roi du Maroc présideront la signature d’un Protocole d’accord pour la création d’un Centre de Formation dédié à l’Entrepreneuriat, ce mardi 08 novembre 2016 à 13 heures au Palais de la République. Après cette rencontre, les deux chefs d’Etats se rendent à l’hôpital Principal de Dakar. Sur place, le Roi va remettre des médicaments au ministère de la Santé au nom de la Fondation Mohamed V.
En réalité, le Roi du Maroc vient alors renforcer la présence plus que remarquable des entreprises de son royaume au Sénégal. Le Maroc a presque annexé tous les secteurs d’activités du pays ; les banques, les assurances, les bâtiments et travaux publics (Btp), le commerce. C’est dire que le royaume chérifien est bien ancré dans l’activité économique sénégalaise. Le marché de la cité de l’émergence sur l’ancienne gare routière ‘’Pompiers’’ a été attribué à la société marocaine Doha pour 21 milliards de F CFA. Le même groupe a encore été adjudicataire de la ‘’Cité de l’avenir’’ pour un montant de 19 milliards de F CFA. Toujours dans le secteur du bâtiment, le groupe Alliance, une société marocaine, est présent au pôle urbain de Diamniadio. Son projet s’étend sur une superficie de 1 946 hectares et cette entreprise du royaume chérifien va construire sur ce site 40 000 logements pour 325 milliards de F CFA.
Des échanges pas encore au niveau des attentes
En outre, les entreprises marocaines sont présentes dans l’industrie pharmaceutique, dans l’électrification rurale. L’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER) a noué un partenariat avec l’Office National d’Electricité (ONE) afin d’améliorer la distribution de l’électricité à Saint-Louis, dans le nord du pays. Dans le domaine pharmaceutique, West Afric Pharma, une unité pharmaceutique de 8 millions d’euros, filiale de la société marocaine Sothema, est déjà présente à Dakar. Royal air Maroc (RAM) est présent dans le transport aérien. Aujourd’hui, elle assure trois (3) vols par jour entre Dakar et Casablanca. Ce qui n’a pas eu une incidence sur le prix du billet d’avion. Car Dakar- Casablanca-Dakar est plus cher que Dakar-Madrid-Dakar par exemple. Pourtant au départ, elle n’assurait que 2 départs par jour depuis Dakar. Ce qui montre que les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint des niveaux élevés.
En effet, les échanges entre Dakar et Casablanca sont même évalués à 221 milliards de dollars, environ 12 495 milliards de F CFA entre 2008 et 2013, avait estimé le ministre marocain du Commerce extérieur, Mohamed Abbou.
Les produits échangés portent essentiellement sur les médicaments, les produits de la mer, les engrais, les lubrifiants, les fils électriques, les agrumes et l’artisanat. Toutefois, le volume des investissements marocains au Sénégal ne représente que moins de 10% des opportunités. Le niveau des échanges est donc loin d’épouser les ambitions du Royaume. Pour renforcer ce volume des échanges, Mohamed VI ne cesse de faire des va-et-vient entre Dakar et Casablanca.
Sur un autre registre, il faut noter que la première institution financière au Sénégal est marocaine : CBAO Attijariwafa Bank. En 2013, cette banque a affiché un total bilan de 712 milliards de F CFA et un résultat net de plus de 11 milliards de francs CFA. Depuis quelques années, le royaume chérifien commence aussi à investir le secteur de l’assurance au Sénégal.
3 QUESTIONS À BIRAHIM GUÈYE (DIRECTEUR DU LABORATOIRE SAINT-LOUIS ÉTUDES ET RECHERCHES EN GESTION) Le Roi du Maroc est depuis dimanche à Dakar. Est-ce qu’il n’y a pas un aspect économique qui sous-tend cette visite ? Bien sûr! Le Maroc a décidé aujourd’hui d’investir le marché de l’Afrique subsaharienne. C’est un enjeu extrêmement important pour ce pays. C’est la raison pour laquelle le Roi du Maroc lui-même se mue en pèlerin pour aller convaincre les Etats à accepter que les entreprises marocaines interviennent dans beaucoup de secteurs stratégiques de ces pays. A qui profitent ces relations économiques entre Dakar et Casablanca ? Elles profitent au Maroc. Si vous prenez des secteurs stratégiques au Sénégal comme les banques, l’industrie l’agroalimentaire, les technologies de l’information et de la communication, de plus en plus, des entreprises marocaines viennent s’installer au Sénégal et aujourd’hui, grâce aux bénéfices obtenus, elles rapatrient beaucoup d’argent dans leur pays. La balance est largement favorable au Maroc. Au-delà du visa qui est gratuit pour les Sénégalais qui désirent aller au Maroc, qu’est-ce que le Sénégal gagne dans cette coopération ? Certes les Sénégalais peuvent aller au Maroc sans payer de visas. Mais si on regarde les conditions de vie de nos compatriotes au Maroc, surtout ceux qui n’ont pas forcément une qualification professionnelle importante, elles sont assez néfastes. Très couramment, on entend des scandales sur des Sénégalais qui sont maltraités dans les maisons où ils travaillent au Maroc. Sur ce plan, il ne faut pas forcément y voir juste un côté positif. Le Sénégal gagne la présence de banques importantes mais là où il faut nuancer un tout petit peu est que quand on prend l’entrepreneuriat des jeunes, les banques marocaines qui sont sur place ne prennent pas plus de risques que les autres banques pour financer les projets entrepreneuriaux. Les taux d’intérêts ne sont pas plus faibles du fait de la présence de l’entreprise marocaine. À partir de ce moment, il faut considérer que le Sénégal gagne de la présence de ces entreprises une offre de service, des infrastructures mais quand on regarde les conditions d’octroi de ces services, ce n’est pas toujours évident que le Sénégal soit gagnant. |
ALIOU NGAMBY NDIAYE