Publié le 28 Apr 2018 - 19:23
AEROPORT INTERNATIONAL BLAISE DIAGNE

Le revers de la médaille

 

Le Sénégal, ou plutôt le gouvernement sénégalais, fidèle à l’exécution de son Pse, a ouvert au public un nouvel aéroport qui continue d’alimenter des débats. Sur quoi repose cette érection ? Que s’y passe-t-il réellement ? La commune de Diass est certes proche de cette infrastructure, mais bien loin de ses retombées.

 

Assis sur un banc devant sa cimenterie, les mains couvertes de poussière blanche, son regard fixe sur la route principale de Diass ne fait nul doute que Moussa Sène est perdu dans ses pensées. Ni le nuage de poussière soulevé par le vent sec, en cette période de froid, encore moins le bruyant débat de ses compagnons à côté ne le font cligner des yeux. ‘’Nous manquons de tout, ici. Nous ne travaillons pas. L’aéroport international de Diass est proche de nous. Mais, franchement, il n’a aucun impact positif sur notre vécu quotidien’’, explique-t-il sur un ton qui frise la colère.

 L’infrastructure inaugurée en grande pompe par le président Macky Sall, le 7 décembre dernier, a visiblement exclu la main-d’œuvre locale. C’est, en tout cas, le témoignage de Moussa, jeune maçon qui rappelle que lors des premiers travaux du chantier, beaucoup de jeunes de Diass travaillaient jour et nuit. Cependant, sous l’autorité du régime actuel, ils ont été éjectés de leurs postes, au profit d’autres ouvriers et ‘’experts’’ venus d’ailleurs ou ayant des connexions avec les autorités étatiques.

Dans cette partie du Sénégal, les chemins sont tortueux et faits de terre rouge. L’unique route goudronnée, étroite et à double sens du village, sépare le petit marché de fruits et légumes des locaux de la mairie. De nombreuses habitations encore inachevées attirent l’attention du nouveau venu. De petites gargotes, des boutiques, des quincailleries et des menuiseries longeant l’autoroute, regroupent en leur sein jeunes et vieux qui discutent tranquillement, emmitouflés dans des vêtements lourds, le bonnet sur la tête et le foulard autour du cou… Le froid oblige.

Si les habitants déplorent l’absence d’électricité, pendant que des milliards sont investis juste à côté pour un aéroport auquel ils n’ont accès ni pour travailler ni pour développer un commerce, les mères de Diass, elles, craignent pour l’avenir professionnel de leurs enfants. A l’aise dans son ensemble wax de couleur rose, mère Aissatou Diop confie : ‘’Nous ne demandons qu’une seule chose : que nos enfants soient recrutés à l’aéroport. Ils en ont les diplômes et la compétence. Diass est pauvre. Nous sommes déjà âgées, mais au moins nos enfants peuvent changer nos conditions économiques.’’ Selon elle, seuls des jeunes affiliés au pouvoir ont la chance de décrocher un boulot à l’aéroport, par le biais de la mairie. Pour ces femmes, ce sont des oubliés, puisque même à l’inauguration, la population de Diass n’a été invitée, ni impliquée dans quoi que ce soit. Et ce n’est pas Babacar Faye, jeune vulcanisateur, qui dira le contraire.

Du haut de son 1m80, il se demande comment l’on pourrait envisager une autonomie économique et financière quand la terre cultivable, terre des ancêtres et seule source de revenus pour certains, leur est arrachée. Il affirme néanmoins que certains de ses amis ont pu trouver un emploi à l’aéroport comme chauffeur de taxi. Le silence des autorités locales, notamment celles de la mairie, qui ont tout fait pour éviter nos questions quant à l’impact socio-économique de l’Aibd sur Diass, semble coupable.

Angoisses pour certains, mais avantages pour d’autres

En ces lieux, ils assurent l’ordre et la sécurité, arborant des gilets de couleur orange. Les brûlants rayons du soleil n’empêchent en rien ces hommes, pour la plupart costauds, de guider les conducteurs grâce à leur sifflet et des signes de la main. Sous l’anonymat, un d’eux confie que leurs salaires ne respectent guère la norme. ‘’Nous avons été recrutés, il y a quelque temps, par une agence de sécurité de la place. Dans le contrat, il est écrit que nous serions payés à 150 000 F Cfa. Au moment où je vous parle, on ne reçoit que 50 000 F. Rien n’est clair ici. Tout peut basculer à tout moment. On peut se retrouver au chômage à tout moment. Vraiment, les choses sont arbitraires. Certains ont droit à des postes de responsabilité sans aucune qualification’’. Cet agent originaire de Mbour préfère ne pas en dire plus.

Plus loin, devant l’entrée principale de l’aéroport, plusieurs taxis jaunes et noirs sont alignés en une longue ligne irrégulière. Les chauffeurs, debout devant l’entrée par petits groupes, discutent à tue-tête. S’il y en a qui affirment se frotter les mains, ce sont bien eux. Selon le président du Rassemblement des chauffeurs de taxi de l’aéroport, Ibra Ndiaye, ‘’c’est beaucoup plus avantageux financièrement qu’à Léopold Sédar Senghor. Les clients viennent, puisqu’il y a plusieurs vols. En plus, il n’y a pas de longues minutes de négociations pour les tarifs, car ils sont fixes et viennent de l’Etat’’. Ces tarifs sont de 13 000 F Cfa entre 5 h et 00 h, et vont jusqu’à 18 000 F Cfa de 00 h à 5 h, pour la région de Dakar. Jugés assez chers par les usagers, ils prennent en compte le kilométrage, le temps du parcours et l’alimentation des chauffeurs. En effet, 112 taxis sont en ce moment autorisés par le Cetud (Centre d’études des transports urbains de Dakar) à exercer, sur les 500 promis par l’Etat du Sénégal.

Des passagers fraîchement descendus du vol d’Air Burkina, en cette mi-journée, traînent leurs valises en cherchant du regard un chauffeur prêt à partir. D’autres, plus prévoyants, attendent  tranquillement un proche, sûrement en route, pour les emmener à bon port.

Contrairement à l’aéroport de Yoff, le calme est maître ici. A la place des vendeurs et du vacarme, ce sont plutôt des manœuvres et des maçons qui s’activent pour finir les derniers travaux sur des chemins encore recouverts de terre rouge et de gravier. Plusieurs bâtiments imposants sortis de terre attendent toujours leurs occupants.

De Diass à Dakar, l’on pourrait penser, en jetant un coup d’œil par la vitre, que la décentralisation et le désengorgement de Dakar est en cours d’exécution.

Emmanuella Marame Faye

 

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