Publié le 28 Dec 2022 - 14:27
FORCE MILITAIRE POUR LUTTER CONTRE LES COUPS D’ÉTAT ET LE TERRORISME

La CEDEAO dispose-t-elle des moyens nécessaires pour réaliser un tel projet

 

Aujourd’hui, deux phénomènes majeurs continuent d’être une menace pour la paix, la sécurité et la stabilité politique en Afrique, en particulier dans la région du Sahel. Il s’agit du terrorisme et des coups d’État. Face à  cette situation, la CEDEAO a décidé, de prendre les choses en main. C’est ainsi qu’à l’issue du 62ème sommet des chefs d’État et de gouvernements de la CEDEAO qui s’est achevé ce dimanche 4 décembre à Abuja, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest, un projet de création d’une nouvelle force régionale a été adopté. Une force dont les contours ne sont pas encore connus, mais destinée à lutter contre le terrorisme et les changements anticonstitutionnel qui sera financée par les États membres. Une initiative qui pousse à interroger le projet d’intégration de la CEDEAO. 

Pour l’histoire, à sa création, son objectif principal était de promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d'une Union économique de l'Afrique de l'Ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États Membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain. Si les objectifs initiaux étaient essentiellement économiques, la multiplication des crises politiques en Afrique de l’Ouest dans les années 1990 a poussé la CEDEAO à élargir considérablement ses champs de compétence. Ainsi, la Communauté a par la suite pris en charge les questions politiques. 

Après avoir contribué au retour de la paix au Liberia, et malgré les accusations de partialité et de violences envers les populations, l’ECOMOG quittera le Liberia en 1999. Elle est ensuite déployée en Côte d’Ivoire. Après les accords de Marcoussis, conclus en 2003, les soldats de l’ECOMOG sont intégrés l’année suivante à l’ONUCI, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire.

Les coups d'État étaient jadis la méthode de changement de gouvernement de prédilection en Afrique. Durant cette page sombre de l’histoire politique de l’Afrique, seuls 30 dirigeants en exercice ont été destitués pacifiquement par leurs adversaires politiques lors d'élections et seuls 28 chefs d'État ont quitté volontairement le pouvoir après avoir accompli le nombre de mandats présidentiels prévus par la loi. Ceci pour dire que depuis les indépendances, les pays africains se distinguent par le caractère fondamentalement prétorien de leur gouvernance. En effet, si le modus operandi a évolué aujourd’hui, l’ingérence des militaires dans la sphère politique est un trait récurrent de leurs trajectoires respectives.  

D’août 2020 à aujourd’hui, cinq coups d’État réussis et deux tentatives de coup se sont succédé dans l’espace ouest africain. Ces nouveaux coups d’État, tout comme celui au Tchad et au Soudan survenus presqu’à la même période, confirment cette tendance des militaires à vouloir reprendre les rênes de l’État. Pour faire une analyse de ces coups, il est tout d’abord important de situer la prise de pouvoirs par les militaires dans le contexte de désillusion démocratique qui affecte l’Afrique de l’Ouest. En effet, certains de ces coups d’État apparaissent comme une réaction face à une classe politique discréditée.

En réalité, la démocratie s’est vue réduite à la tenue de consultations électorales, souvent entachées d’irrégularités, pourtant validées par la communauté internationale et la CEDEAO qui fait l’objet de cet article, qui s’est ensuite peu émue des violations des libertés fondamentales ou de l’État de droit par les dirigeants proclamés vainqueurs des scrutins. La multiplication des coups d’état apparaît ainsi comme le symptôme d’une profonde crise de la démocratie et apparaît à l’évidence comme le symptôme criant de l’échec des très nombreux processus de réforme des systèmes de sécurité visant à l’instauration d’une gouvernance démocratique de la sécurité, promue aussi bien par les partenaires internationaux à l’échelle bilatérale ou multilatérale que par l’UA et la CEDEAO à travers leurs cadres spécifiques.

Sur le plan sécuritaire, exactement depuis la chute du Khadafi entrainant la disparition de milliers d'armes qui se sont éparpillés dans la zone, trois zones sont devenues à tour de rôle, épicentres de l’insécurité au Sahel durant la dernière décennie.  Après le nord Mali et le bassin du lac Tchad, aujourd’hui, le Liptako Gourma ou région des trois frontières et la zone la plus dangereuse en Afrique de l’Ouest et la violence des groupes islamistes militants au Burkina Faso, au Mali et dans l’ouest du Niger a augmenté de 70 % en 2021. Cela poursuit une escalade et une propagation ininterrompues d’événements violents dans la région depuis 2015. Initialement centrée au Mali, l’activité des groupes islamistes militants s’est progressivement déplacée vers le Burkina Faso, où se produisent désormais 58 % de tous les événements violents au Sahel.

À partir du Burkina Faso, les groupes islamistes militants ont de plus en plus ciblé les pays du littoral sud, notamment la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo. Le Bénin a connu neuf attaques attribuées à des groupes islamistes militants dans ses zones frontalières depuis décembre 2021. L’extrémisme violent gagne du terrain en Afrique de l’ouest en touchant pratiquement la moitié des pays de l’espace CEDEAO et le phénomène est loin de finir son expansion malgré tous les moyens militaires, logistiques et financiers qui sont déployés pour lutter contre le terrorisme.

En regardant, l’évolution de la situation depuis 10 ans, le constat est un véritable paradoxe. Il semble que les moyens mis en place pour lutter contre l’insécurité ont un effet contraire. Il y a depuis la première opération Serval de la France en janvier 2013;

ì  Plus grand nombre de forces armées présentes en Afrique de l’Ouest

ì  Plus d’armement et de formations pour les FDS

ì  Plus d’argent investi dans la lutte contre le terrorisme

Cependant, on se retrouve depuis le début de la crise sécuritaire au Sahel avec ;

ì  Plus de groupes armés et d’effectifs

ì  Plus de moyen de ces groupes pour semer la terreur

ì  Plus d’attaques et de victimes du terrorisme

ì  Plus de zones d’opération des terroristes

Pour rappel, la Communauté a pour objectif de promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une union économique de l’Afrique de l’Ouest, en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroitre la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain. Ainsi, dans le cadre de ce processus de réforme, la CEDEAO met en œuvre des programmes critiques et stratégiques visant à favoriser le renforcement de la cohésion et l’élimination progressive des obstacles à l’intégration effective de la sous-région. Ainsi, les 300 millions de citoyens de la Communauté pourront finalement s’approprier la réalisation de la nouvelle Vision qui consiste à passer d’une CEDEAO des États à une « CEDEAO des Peuples : Paix et prospérité pour tous » à l’horizon 2050.

Le silence de la CEDEAO à l’endroit des modifications constitutionnelles ayant permis au président Alpha Condé, mais aussi, dans des conditions similaires, au président ivoirien Alassane Ouatarra en 2020, d’effectuer un troisième mandat en violation des dispositions initiales des chartes fondamentales guinéennes et ivoiriennes, a constitué une grave entorse au Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance. La passivité de l’organisation face aux coups de force perpétrés par des civils est en décalage avec la fermeté de sa réaction face aux coups d’État survenus, en Guinée, au Burkina mais aussi et surtout au Mali. Ces prises de positions à géométries variables expliquent à la fois l’indignation des opinions publiques ouest africaines face aux sanctions que la CEDEAO a adoptées contre les militaires maliens, mais aussi la difficulté de l’organisation ouest-africaine à s’imposer face aux officiers désormais au pouvoir au Burkina Faso et en Guinée comme elle l’a été avec les maliens.

Les coups d’États qui ont été perpétrés en Afrique de l’Ouest ces dernières années ont tous été salués par les populations. Le renversement des présidents civils a été suivi de célébrations dans les rues de certains pays, les citoyens applaudissant la chute des dirigeants élus. Depuis Mamadou Tandjan au Niger, ATT au Mali, puis IBK, Rock Marc au Burkina et Condé en Guinée, il n’y a pas un seul putsch qui n’a pas eu le soutien de la population surtout de la jeunesse, comme pour dire que c’est la mauvaise gouvernance des politiques qui est la cause des coups d’États dans l’espace CEDEAO.

En ce qui concerne la lutte contre les coups d’État, il faut plutôt une approche politique qu’une approche militaire, en adoptant la proposition sur la limitation des mandats à deux dans tous les pays de la région, tenant compte du cas de la Guinée où la question de la 3é mandat a été l’un des motifs.

Sur la question de la lutte contre le terrorisme, la CEDEAO doit apprendre des erreurs des autres forces présentes au Sahel qui n’ont pas connu de succès après tant d’années, autant d’argent dépensés et tant de ressources humaines et logistique mobilisées. Au Sahel, il existe des problèmes économiques, éducatifs et sanitaires entre autres qui constituent le levier sur lesquels les groupes terroristes s’appuient pour prospérer au sein des communautés. Au lieu d’axer la lutte sur ces aspects précités, les dirigeants en place utilisent l'aide internationale pour maintenir leur pouvoir plutôt que pour résoudre les problèmes sociaux des populations. 

Autrefois confrontée à des crises politiques et militaires internes, comme celle qui s’est déroulée au Liberia à partir de décembre 1989, la CEDEAO est désormais face à des crises plus complexes, qui ont tendance à dépasser les frontières des États et même des régions. C’est le cas de la crise sahélienne et de celle du bassin du lac Tchad, deux foyers de conflits qui excèdent son cadre géographique et sur lesquels l’organisation a du mal à être efficace. Dans le Sahel, la CEDEAO n’est pas assez équipée pour lutter contre les activités criminelles transnationales, élément majeur d’une crise multidimensionnelle. Il lui sera difficile de pacifier cet espace sans se doter, au plus vite, d’un véritable pôle de lutte contre le crime organisé, compris au sens large du terme, et incluant le terrorisme et les activités criminelles y associées. Pour faire face à ces nouveaux défis, l’organisation doit se réformer en profondeur pour d’abord s’attaquer aux mauvaises gouvernances qui sont la résultante directe ou indirecte de ces défis sécuritaires, voire des coups d’État.

Dans tous les cas, si elle est créée, pour qu’elle puisse survivre, cette force devra obligatoirement être soutenue par la communauté internationale, à travers des moyens financiers, logistiques et matériels adéquats, si non elle mourra d’une aussi belle mort que les autres initiatives qui l’ont précédées. Le Conseil de sécurité doit renforcer son soutien à cette initiative ouest africaines, en particulier parce qu’elle se heurte depuis des décennies, à un manque structurel de financements et d’équipements. Le prélèvement communautaire qui est la principale source de financement du budget de la CEDEAO est très loin de couvrir son fonctionnement, à plus forte raison qu’une opération militaire de cette envergure.

Dr Latyr TINE
PhD, chercheur en Paix et Sécurité au Sahel
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

 

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