Publié le 22 Mar 2016 - 22:56
ABIBOU SAMB, DIRECTEUR DE LA STRATÉGIE DES GMD, SUR LA FARINE

‘’L’arrivée de nouvelles minoteries a déstabilisé la filière’’

 

Les meuniers se menaient une guerre sans merci, depuis la décision de l’État d’homologuer le prix du sac de farine de 50 kilogrammes à 18 000 F Cfa. Ils vendaient en deçà de ce prix plafond, rien que pour gagner plus de parts de marché. Mais selon le Directeur de la Stratégie et du développement commercial des Grands moulins de Dakar, les différents protagonistes ont assumé leurs responsabilités, en stabilisant le marché. Dans cet entretien Abibou Samb explique que cette concurrence pouvait découler sur une faillite totale de la filière. Mais heureusement, se réjouit-il, les différentes parties prenantes en ont pris conscience.

 

Après l’homologation du prix du sac de farine, un de vos anciens directeurs avait dit ceci : ‘’ça ne nous arrange pas, mais on va exécuter ce que l’État nous impose.’’ Est-ce que ce constat est toujours d’actualité ?

Je ne le dirais pas avec les mêmes termes, parce que l’État ne fait jamais ce qui n’arrange pas les entreprises. On a un État responsable qui comprend les problématiques des industries sénégalaises et qui les accompagne. Je ne vais pas dire que ça ne nous arrange pas, mais la farine est toujours sous régime de l’homologation, avec un prix plafond de 18 000 F Cfa, le sac de 50 kg. Il y a eu, après, une mesure très forte, une mesure courageuse du ministre du Commerce qui a publié un arrêté fixant le prix plancher à 16 500 F Cfa. C’est-à-dire : le ministre du Commerce est en train de demander aux meuniers de ne pas vendre la farine à un prix en deçà de 16 500 F Cfa. Pourquoi ? Pour leur permettre de gagner des bénéfices, sécuriser tout ce qui est fiscalité. Cette mesure a été forte, mais courageuse. On est entre ces deux prix : 18 000 F et 16 500 F, ce qui nous paraît correct.

Malgré ce prix-plancher, certains vendent le sac de 50 kg à moins de 15 000 F. Est-ce que ce n’est pas une concurrence déloyale entre meuniers ?

Le terme déloyal ne me convient pas. On a un marché qui ne peut absorber que 1 200 tonnes par jour. Il y a une capacité installée de 3340 tonnes par jour. Donc, certains meuniers qui veulent avoir des parts de marché font descendre les prix jusqu’à 14 500 F, 14 000 F. Mais ils ont rapidement compris que quand on fait des investissements, c’est pour avoir de la rentabilité, pouvoir payer les salaires, mettre les gens dans de bonnes conditions de travail, sécuriser les avantages sociaux. Pour éviter un problème social, tous les meuniers sont revenus à la raison avec l’accompagnement de l’État. Aujourd’hui, le prix de la farine est assez stable sur le marché. Ça se passe très bien actuellement et on peut dire que le marché de la farine est stable actuellement au Sénégal.

Donc, on peut dire que la médiation du ministère du Commerce, qui avait appelé l’ensemble des meuniers à la raison, a porté ses fruits ?

Absolument ! On peut le dire et c’est une occasion de remercier le ministre du Commerce pour son engagement, son soutien et toute sa responsabilité face à cette situation qui était difficile.

Mais est-ce que cette situation, avant de revenir à la normale, n’avait pas entraîné des pertes énormes pour certains industriels, notamment les Grands moulins ?

Ce ne sont pas les meuniers seulement qui ont perdu de l’argent, c’est toute la filière qui était en faillite. Les meuniers ont pris leurs responsabilités pour stabiliser le secteur, avec l’aide de nos autorités. Ce n’est pas seulement que les meuniers ont perdu de l’argent, c’est toute la filière qui était menacée. Les meuniers, les distributeurs, les boulangers ; tout le monde perdait. La situation ne profitait à personne.

Cette menace n’est plus d’actualité ?

Absolument pas ! Il y a vraiment une bonne stabilité. Aujourd’hui, les clients s’y retrouvent, les boulangers sont assez contents. Je rappelle que le prix de la farine est homologué à 18 000 F le sac de 50 kg. Si nous avons choisi de vendre la farine en deçà de ce prix (Ndlr 15 500F), c’est parce que nous pensons aux clients boulangers qui ont assez souffert de la guerre des prix. Ils ont besoin de répit, de gagner de l’argent, de renouveler leurs investissements…

De 4 meuniers, on est passé à 6. Est-ce que l’arrivée de ces nouveaux meuniers n’était pas à l’origine de cette forte concurrence notée ?

C’est l’arrivée des autres qui a déstabilisé effectivement la filière. Mais on est aussi dans un régime libéral. Dans un tel régime, on ne peut pas empêcher les investisseurs de venir s’installer.

Quelle est la situation actuelle du marché de la farine au Sénégal. Est-ce que les industriels tournent à un rythme normal ?

Je vous rappelle les chiffres de 3340 tonnes d’offres et de 1 200 tonnes de consommation locale par jour. L’offre est de loin supérieure à la demande. Mais, on a la chance d’avoir une consommation qui progresse de 5% par année. À un moment donné, le niveau de la demande va atteindre le niveau de l’offre, ce qui nous permettra de mieux tourner.

Les industriels sénégalais vendaient une partie de leur production sur le marché sous-régional. Avec l’implantation d’industriels dans des pays comme le Mali, le Bénin, n’avez-vous pas perdu ce marché ?

Il y a un rétrécissement flagrant du marché de l’export. Ces pays s’industrialisent, à l’instar du Sénégal. Il y a quelques années, en Gambie, il n’y avait pas de minoteries. Aujourd’hui, une minoterie s’est implantée là-bas. Au Mali, 4 minoteries se sont installées. En Guinée Conakry, il y a deux minoteries, avec une troisième en phase d’installation. Au Niger, les minoteries du Sahel ont repris leurs activités. Au Burkina Faso, il y a un doublement de capacité de l’industrie locale. En Côte d’Ivoire, il y a trois minoteries. Bref, il n’y a plus de possibilité d’exportation, sauf si on fait intervenir l’aspect qualité. Le Sénégal, dans la sous-région, fait la meilleure qualité de farine. C’est juste cet aspect qualité qui peut nous permettre d’avoir de temps à temps des niches à l’export, mais le marché de l’export est presque fermé.

Donc aujourd’hui, il n’y a plus de place pour de nouvelles minoteries au Sénégal ou de possibilités d’extension ?

Il n’y a plus de place et je crois que les autorités sénégalaises le comprennent très bien.

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

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