Publié le 17 Nov 2017 - 23:58
ADAMA ADEPOJU ‘’TAXI CONTEUR’’

‘’Le conte est l’ancêtre de tous les arts’’

 

Adama Adepoku, alias ‘’Taxi Conteur’’, est actuellement au Sénégal, en tournée dans les alliances françaises. Avant ses spectacles, il était en résidence artistique à la maison de l’oralité Kër Leyti. Il a fait bénéficier, à cet effet, son expérience à dix comédiens sénégalais de diverses compagnies. Ces derniers ont fait une restitution des ateliers tenus avec l’artiste ivoirien, mardi après-midi, à Keur Massar. Après cette dernière, Taxi Conteur s’est entretenu avec ‘’EnQuête’’, revenant ainsi sur le but de sa visite au Sénégal, sa résidence artistique et la Bara qu’il organise en Côte d’Ivoire.

 

Pourquoi Taxi Conteur ?

C’est un jeu de mots. Vous savez, en Côte d’Ivoire, il y a des taxis-compteurs. Mon surnom est parti d’un délire. Je me suis dit que le taxi est un moyen de transport, il permet de se déplacer. Le conte aussi permet de voyager. Quand quelqu’un est devant vous et raconte des choses, il vous embarque et vous voyagez. Taxi Conteur, pour moi, est une invitation au voyagent. Ceux qui viennent à mes spectacles sont invités à voyager avec moi.

Parlez-nous de la tournée qui vous a amené à Dakar ?

C’est une tournée organisée par l’Institut français dans son réseau d’alliances françaises au Sénégal et à Banjul. Quand j’ai été contacté pour cela, je leur ai dit que je ne pouvais pas venir à Dakar sans passer à Kër Leyti. D’abord, parce que c’est la maison de l’oralité, ensuite, c’est un projet tenu par mon frère Massamba Guèye. Je voulais aussi avoir la possibilité de rencontrer des artistes locaux. C’était important pour moi. Je ne voulais pas seulement jouer et partir. C’est ce qui s’est fait ici à Dakar. C’est ce qui va se faire à Kaolack.

Comment se sont passés les ateliers ?

Ils se sont très bien passés. Je disais d’ailleurs aux artistes qui y ont pris part que je salue leur esprit d’humilité. Ce qu’ils ont présenté aujourd’hui (Ndlr : Mardi soir à Kër Leyti, lors d’une séance de restitution) n’est pas abouti, mais ils l’ont réussi, parce que chacun a bien voulu déposer sa veste de ‘’responsable de…’’ et son ego. Ils sont venus très ouverts et prêts à recevoir. Après ce qu’ils ont pu apprendre ici, chacun fera le tri. Il y a des choses qu’ils savent déjà, d’autres qu’ils ne savaient pas. Chacun de nous a appris ici quelque chose au cours de ces trois jours d’échanges. Vous savez, la meilleure manière d’apprendre est d’enseigner. J’ai beaucoup appris de ces artistes. C’est l’humilité et l’écoute qui ont prévalu et ce sont des règles essentielles pour l’artiste et même pour le commun des mortels. Il faut savoir écouter. C’est important. Il ne faut pas écouter par respect, non. Ecouter, c’est être humble, respectueux, généreux. Il n’est pas facile d’écouter. Là, ils étaient vraiment à l’écoute. Cela dit, ce n’est pas tout le monde qui deviendra conteur, après cette résidence.

Au-delà de l’écoute, sur quoi avez-vous travaillé d’autre ?

On a travaillé sur le rythme. On a travaillé aussi à dépoussiérer les considérations comme celles éthiques, l’autocensure, etc. On ne doit pas s’enfermer et se tenir à des définitions du conte. Non. Je leur ai dit que le conte est un art populaire. C’est un art libre. Personne ne peut dire que c’est comme ça qu’on raconte un conte. Il n’y a pas une manière de le faire. A la différence du comédien, c’est 80 % de ce qu’il est qui transparaît, quand il raconte. Quand on raconte, c’est la personne elle-même, elle n’imite pas quelqu’un, ni n’interprète un rôle.

Maintenant, quand on est comédien et conteur, le passage au théâtre peut aider dans sa gestion de l’espace. Donc, le théâtre et le conte ne sont pas antinomiques. On a travaillé sur les questions sémantiques. On est dans le récit, dans l’art oratoire. Il ne faut pas se dire : je suis conteur, je dois m’habiller comme un vieux, par exemple. Ou qu’on se dise qu’un conte ne peut se dire qu’au passé simple. Non. Le passé simple, c’est le temps de la narration, oui. Il est beau. Mais le passé simple n’est pas toujours simple. Celui qui réussit à le faire, réussit quelque chose de magnifique. Mais on a le présent et on peut l’utiliser. Trois ou quatre jours ne suffisent pas pour leur faire comprendre toutes ces choses. C’est le travail de toute une vie. Mais c’est bien de commencer et d’avoir quelques bases. C’est ce que nous avons essayé, modestement, de faire.

Doit-on être comédien pour être un bon conteur ?

Le bon conteur n’est pas forcément bon comédien et un bon comédien n’est pas forcément un bon conteur. Et il n’y a pas de discipline supérieure à une autre discipline. Il faut toutes les respecter. Comme le disait un de mes maîtres, le conte est l’ancêtre de toutes les autres formes d’art. Le conteur peut être comédien, quand il veut, ou poète ou chanteur, etc. Le conte, tel qu’il est pratiqué en Afrique subsaharienne, permet d’être tout ça. On a de bons conteurs qui n’ont jamais fait du théâtre. On a de bons comédiens qui se sont essayés au conte et qui se sont rendus compte que c’est une autre discipline qui a ses règles. Vous les journalistes, d’une manière ou d’une autre, vous racontez. Vous êtes des conteurs.

Ceux qui font du stand-up peuvent-ils être considérés comme des conteurs ?

Toutes ces disciplines sortent de la grande cuvette qu’est le conte. Même ceux qu’on appelle les slameurs, aujourd’hui. Le conteur peut faire comme eux. Ce sont les slameurs qui ont ce complexe et disent que le conte c’est ceci, cela. C’est une méconnaissance. Si vous partez sur la base que le conte est l’ancêtre de tous les autres arts et leur cuvette, on y retrouvera tout. Prenez l’exemple du conteur du village. Il est là à raconter des histoires devant un public. Dites-moi, ce n’est pas le one man show ça ? Il n’y a pas de complexe. Le conteur n’a pas de problèmes avec ça. Pour moi, ce sont des démembrements du conte. C’est ma conception.

Lors de la restitution, certains ont présenté des contes en wolof. Comment les avez-vous aidés à raconter dans cette langue que vous ne parlez pas ?

La langue n’est pas une barrière, c’est plutôt une richesse. Il y a eu ceux qui ont raconté en wolof, ceux qui l’ont fait en français et ceux qui ont allié les deux. On a montré que tout était possible. Je ne comprends pas wolof, mais je leur ai dit : ‘‘Quand tu habites ton histoire et que ton histoire t’habite et que tu es sincère, il y a une émotion et c’est déjà quelque chose.’’ Ça nous est déjà arrivé à tous. On a déjà vu des gens pleurer dans leurs langues.

On n’y comprend rien de rien, mais on se voit pleurer avec eux. Quelqu’un qui est content et qui le dit dans sa langue, on n’y comprend rien, mais quand tu l’écoutes, tu souris. Quand c’est vraiment habité, ça passe. Je vais vous donner un exemple concret : en Côte d’Ivoire, en 1995, j’ai remporté un prix, grâce au morceau ‘’Tajaboon’’ d’Ismaïla Lo. Je ne comprenais rien à son texte, mais je trouvais la mélodie belle. La musique me parlait, me disait quelque chose. ‘’Variété scope’’ était le titre du spectacle. Quand je passais sur scène et que je racontais sur cette musique, il y a quelque chose qui se passait. Il faut décomplexifier certaines choses. Il faut raconter. Le conte est essentiel, c’est la vie. Tout ce qu’on vit aujourd’hui a commencé par un conte. On imagine des choses et on commence à les raconter. C’est ce qu’on appelle le mythe fondateur. On se pose des questions comme qui sommes-nous, d’où venons-nous, etc. On a commencé à créer des histoires et des mythes. Après, il appartient à chaque peuple de sacraliser son mythe. Certains l’ont fait, en les consignant dans des livres dits saints.

Comment est née la Biennale des arts du récit d’Abidjan (Bara) que vous organisez ?

Vous savez, à Abidjan, Bara veut dire travail. La Biennale des arts du récit d’Abidjan regroupe, pour l’instant, 10 pays d’Afrique de l’Ouest principalement. Lors de la dernière édition, on a invité un pays d’Afrique centrale. La Bara, ce sont des rencontres scientifiques, des spectacles proposés un peu partout, mais il y a surtout le conte court. Ce dernier est un concours de contes pour des jeunes âgés entre 18 et 35 ans. La compétition est juste un prétexte pour faire entendre la voix du conte. Les candidats viennent de partout et trois prix sont décernés à chaque édition.

L’idée est de pouvoir les aider après à tourner, à travers les festivals organisés par des partenaires de la Bara. Nous nous disons qu’un seul arbre ne fait pas la forêt. Plus nous allons avoir des conteurs jeunes qui portent la parole d’aujourd’hui, mieux c’est. Parce qu’aussi, il ne faut pas que les gens se disent que c’est un conte, donc, il faut raconter de vieilles histoires et que je m’habille comme un vieux. Non. On peut être bien habillé en costume-cravate et dire des contes. Vous avez vu Mamadou Fall (Ndlr : Candidat sénégalais à la dernière Bara et gagnant du premier prix). En Côte d’Ivoire, il ne s’est pas habillé en haillons. Il était dans ses souliers avec un joli pantalon, une belle chemise. Il a conquis le public et il les a fait voyager avec la parole et les mots d’aujourd’hui. Même ceux qui ne sont jamais venus au Sénégal l’ont connu, grâce à lui. C’est du travail tout cela. Comme c’est du travail, il faut être sérieux et mettre du sérieux dans ce que l’on fait.

Etes-vous pris au sérieux dans votre pays ?

Il y a quelque temps, le gouvernement de mon pays, la Côte d’Ivoire, a associé à la politique de l’eau une compagnie de conteurs, c’est-à-dire moi, à partir d’un projet que j’ai mené autour d’une collecte de récits sur la thématique de l’eau. Je l’ai fait dans 21 villages de 7 pays de l’Afrique de l’Ouest. On a vulgarisé ce travail et les gens ont trouvé que c’était formidable et ils nous invité à apporter notre contribution culturelle, artistique. Quand il y a la Bara, on réussit à faire payer les gens pour assister aux spectacles. C’est un travail de longue haleine et qu’on a commencé il y a une quinzaine d’années.

J’allais avant dans les quartiers, les salles, je racontais devant un public de 25 personnes. Aujourd’hui, on fait salle comble. Les gens viennent avec leurs familles et paient pour voir les spectacles. C’est pour cela qu’il faut bien faire les choses. Souvent, excusez-moi, mais il y a des programmes pourris à la télévision et les gens viennent voir. Je me dis que si on leur proposait mieux, ils prendraient cela. Pour moi, c’est une reconnaissance aussi, lorsque le président de la République, à la veille de notre fête nationale, me décerne le Prix d’excellence pour les arts vivants.    

BIGUE BOB

Section: