Le Mortal Kombat aura peut-être lieu

Si la Cour suprême suit le juge du tribunal de Dakar, l’on s’achemine inéluctablement vers un remake du face-à-face Ousmane Sonko-Adji Sarr. Cette fois, tout porte à croire que le duel ne se jouera pas à distance. Retour sur quelques points saillants de la décision rendue par le juge de Dakar, avant-hier.
Dans sa décision rendue le mardi 12 décembre, le président du tribunal d’instance hors classe de Dakar aborde plusieurs questions fondamentales. Trois feront l’objet d’un examen dans le cadre de cet article.
D’abord, est-ce que le juge de Dakar doit se prononcer sur l’affaire dans son entièreté ? Est-ce que la notification de la mesure portant radiation d’Ousmane Sonko a été faite dans le respect de la procédure ? Est-ce que l’arrestation de monsieur Ousmane Sonko pour des faits différents de l’affaire Adji Sarr anéantit la décision, conformément à l’article 307 du Code de procédure pénale ?
Sur l’étendue de la saisine
Relativement à cette question, les avocats de l’État ont soutenu devant le tribunal que certains chefs ont déjà été tranchés par la Cour suprême. En conséquence, le tribunal d’instance ne devait pas en connaitre. Pour les avocats de Sonko, c’est l’entier litige qui est dévolu au juge du tribunal d’instance hors classe de Dakar.
Dans sa décision, le président du tribunal d’instance hors classe de Dakar a estimé qu’il peut effectivement connaitre du litige dans son intégralité, conformément à la demande du requérant. ‘’Attendu que l’arrêt du 17 novembre (de la Cour suprême) a cassé et annulé l’ordonnance du tribunal de Ziguinchor en toutes ses dispositions, c’est l’entier litige qui est dévolu au président du tribunal d’instance hors classe de Dakar’’, indique le tribunal qui fait référence aux articles 56-3 ; 56-4 et 56-5 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême.
Sur la notification
Est-ce que la notification a été faite régulièrement ou non ? C’était l’une des questions essentielles débattues au niveau du tribunal de Ziguinchor, le motif essentiel de l’annulation de la radiation par le juge de Ziguinchor. La question était encore au centre des échanges à Dakar.
Pour les avocats de l’État, c’est une question déjà tranchée par la Cour suprême qui a estimé, dans son arrêt du 17 novembre, que la notification a été faite de manière régulière et que le tribunal d’instance ne saurait revenir sur cette question.
À ce grief, la réponse du tribunal a été limpide. Selon l’ordonnance, la Cour suprême n’a jamais estimé que la notification a été faite de façon régulière. Bien au contraire. En fait, explique le président du tribunal, le juge suprême a dit : ‘’… Après avoir constaté, d’une part, que l’huissier, n’ayant pu déposer l’acte au domicile de Sonko, l’a déposé à la sous-préfecture de Dakar-Plateau ; d’autre part, que la lettre recommandée tendant à aviser monsieur Ousmane Sonko a été déposée à son domicile et non là où il se trouve effectivement, le premier juge n’a pas respecté les conséquences légales de ses propres constatations.’’
Toujours dans son commentaire de l’arrêt de la Cour suprême, le tribunal de Dakar précise, en citant la motivation du juge supérieur : ‘’En ajoutant à la loi une condition relative à la remise de la lettre recommandée là où se trouve effectivement l’intéressé, il (le juge de Ziguinchor) a méconnu le sens de la portée des textes susvisés.’’
En conséquence, se défend le président du tribunal, il ne s’agit nullement de remettre en cause ce qui a été décidé au niveau supérieur. Selon lui, la notification doit se faire, pour faire courir le délai (prévu pour contester une radiation), à la dernière résidence connue de l’électeur radié. Soulignant que la dernière résidence connue d’Ousmane Sonko est la maison d’arrêt de Sébikotane, le juge décide : ‘’L’État n’est pas allé jusqu’au bout…, il aurait dû aller au pavillon spécial de l’hôpital Principal (partie intégrante de la maison d’arrêt). En conséquence, l’État n’a pas notifié la mesure de radiation à la dernière résidence connue de l’intéressé.’’ Le juge a aussi rejeté la théorie de la connaissance acquise, qui signifie que même à supposer qu’il y ait eu des manquements dans la procédure de notification, Ousmane Sonko était bien au courant de l’existence de la radiation. Le juge n’a pas été convaincu par les arguments apportés par les conseils de l’État.
Sur la contumace
Est-ce que l’arrestation d’Ousmane Sonko pour des faits n’ayant pas de rapport direct avec ceux pour lesquels il a été condamné par contumace est un motif d’anéantissement de son jugement ?
Selon les avocats d’Ousmane Sonko, il n’y a aucun doute sur ce point. D’abord, l’article 307 est clair et qu’il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas. Ensuite, même s’ils tenaient là un argument de taille, Me Ciré Clédor Ly et Cie ont également invoqué les articles 311 et suivants pour prétendre que dans le cas où le juge a une interprétation différente de l’article 307, les articles 311 et suivants rendent également irrégulière la procédure de radiation.
En effet, ont-ils plaidé, pour pouvoir prononcer la déchéance du contumax, il faut respecter un certain nombre de formalités prévues par les dispositions sus indiquées. Ce qui n’a pas été fait, selon la défense. Les avocats en veulent pour preuve le fait que le chef du bureau des domaines de Ngor Almadies n’a pas reçu l’extrait prévu. Pour ce qui est des autres formalités, ils ont émis de sérieux doutes, même s’il est difficile d’en apporter la preuve.
Pour les représentants de l’État, deux motifs ont été principalement abordés. D’abord, Ousmane Sonko n’a pas été arrêté dans le cadre de l’exécution de la décision de condamnation de contumace. Ensuite, la loi est claire. Elle attache des effets de déchéance à la condamnation par contumace à partir de l’accomplissement des mesures de publicité et que toutes ces mesures de publicité (article 311 et suivants) ont été correctement accomplis.
En conséquence, Ousmane Sonko est bel et bien déchu de ses droits. En outre, pestent les avocats de l’État : ‘’Le tribunal d’instance n’a pas les prérogatives pour rétablir un contumax ou anéantir les effets d’une décision de la chambre criminelle.’’
Face à ces prétentions divergentes, le président du tribunal d’instance a tranché. D’emblée, il précise : ‘’Il ne s’agit point de censurer la décision, mais d’apprécier les motifs de la mesure de radiation soumise à son jugement pour décider de la maintenir ou de l’annuler.’’ Cette précision faite, le juge décide : ‘’Dès lors que le contumax déclare qu’il n’acquiesce pas au jugement, l’article 307 doit prévaloir... L’applicabilité de 307 est d’autant plus incontestable qu’il est loisible au contumax, tant que la peine n’est pas prescrite, de se constituer prisonnier pour anéantir le jugement.’’
En conséquence, estime le juge de Dakar, contrairement à son homologue de Ziguinchor : ‘’Le débat autour de 311 et 312 est inutile.’’
MOUNDIAYE CISSÉ SUR L’APPLICATION DE LA DÉCISION ‘’L’État doit donner le bon exemple et réintégrer immédiatement Ousmane Sonko’’ En attendant que la Cour suprême confirme ou casse la décision qui a été rendue avant-hier par le tribunal de Dakar, les experts sont unanimes. L’application de la décision du tribunal de Dakar doit être immédiate. Interpellé, le directeur exécutif de l’ONG 3D affirme : ‘’Notre seule attente est qu’on laisse le Conseil constitutionnel apprécier la validité de la candidature d’Ousmane Sonko. Après ces deux décisions, d’abord Ziguinchor et maintenant Dakar, je pense que les services centraux de l’État doivent appliquer la décision en le réintégrant immédiatement dans le fichier, puisque le pourvoi n’est pas suspensif en matière électorale. La Daf doit le remettre dans le fichier, que la DGE lui donne ses fiches et que la CDC accepte sa caution. C’est au Conseil constitutionnel de dire s’il est éligible ou pas.’’ La Daf et la DGE dépendant du ministère de l’Intérieur, M. Cissé invite ce département à donner l’exemple en se conformant à la décision. ‘’L’État, dit-il, doit donner l’exemple. Nous, nous avons toujours été sur les principes. Les décisions de justice, il faut les respecter’’. Dans le même sillage, le membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections a invité la Cena à prendre ses responsabilités, au cas où l’État ne se conforme pas. ‘’La Cena devrait s’autosaisir ; c’est dans ses prérogatives. Elle doit s’autosaisir et demander que la décision soit appliquée. À défaut, elle doit mettre en œuvre ses pouvoirs d’injonction et de substitution’’. |
MOR AMAR