Publié le 5 Jan 2016 - 21:10
AMSATOU SOW SIDIBE, PROFESSEUR DE DROIT-MINISTRE CONSEILLERE DU PRESIDENT MACKY SALL

‘’L’avis du conseil constitutionnel n’est pas contraignant’’

 

Si le discours du nouvel an du président de la République a été d’une forte teneur économique, il a suscité un véritable débat juridique sur les modalités du prochain référendum. Pendant que le conseiller juridique de Macky Sall, le Pr Ismaela Madior Fall suspend la décision du président de la République au seul avis du Conseil constitutionnel, le Pr Abdoulaye Dièye lui, prend son contrepied. En arbitre, le Pr Amsatou Sow Sidibé estime que l’avis du Conseil constitutionnel n’est pas contraignant. Dans cet entretien avec EnQuête, le ministre conseiller du président de la République juge problématique que la date du prochain référendum ne soit pas jusqu’ici connue.

 

Le discours de nouvel an du président de la République Macky Sall a suscité un débat sur le prochain référendum. Quelle est votre appréciation de ce discours ?

Le discours de nouvel an du président de la République Macky Sall est un discours qui fixe des perspectives. C’est un discours qui dessine les contours des réformes institutionnelles au Sénégal. Donc, c’est un discours qui intéresse particulièrement le peuple sénégalais, parce que, c’est son destin qui est en jeu. Le peuple sénégalais attend depuis très longtemps ces réformes qui lui sont suggérées et donc par-là, c’est un discours qui met les Sénégalais et les Sénégalaises en situation d’attente. Il y a des propositions qui sont faites et chacun a son point de vue sur les différentes questions qui sont soulevées. Et on entend des débats par ci et par là.

Le président de la République, Macky Sall entretient toujours le flou sur la date de la tenue du prochain référendum. Comment appréciez-vous sa démarche ?

Je suis de ceux qui, de tout le temps, pensent que la démocratie mérite d’être planifiée. Et quand on parle de démocratie, les élections y occupent une place prépondérante. En matière d’élection, acte grave concernant les droits politiques des personnes, nous avons toujours été d’avis qu’il fallait des dates pas nécessairement fixes. Nous aurions préféré qu'elles soient fixes, mais au moins approximatives. Mais quand on est dans l’expectative, en matière électorale, ce n’est pas souhaitable. Nous avons une charte de la bonne gouvernance au niveau de la CEDEAO qui demande qu’il y ait des délais préfixes qui font que les citoyens savent à quoi s’en tenir. Alors, pour les élections à venir, encore une fois, nous sommes dans l’attente. Mais nous aurions souhaité être édifiés d’ores et déjà, parce que des élections, ça se prépare, ça s’organise. On ne peut pas les précipiter encore moins y aller sans préparation.

N’est-il pas problématique qu’à un an des prochaines joutes (je ne sais pas si élection il y aura), on n’est pas toujours édifié sur la date du référendum ?

Mais, c’est ce que je suis en train de vous dire. C’est très problématique en termes de respect des droits politiques des Sénégalais et Sénégalaises, droits protégés par un pacte mondial, le Pacte de 1966 sur les droits civiques et politiques auxquels le Sénégal est partie prenante. Nous avons des droits politiques qui doivent être respectés et c’est l’Etat qui est le principal acteur du respect de ces droits. Il doit mettre les populations en situation de connaissance de leurs droits et de mise en œuvre de leurs droits.

Le président de la République a été assez nuancé sur la réduction de son mandat en cours. Au lieu d’application, il a parlé d’applicabilité. Est-ce selon vous un subterfuge sémantique ?

Vous voulez que je scrute dans l’esprit du président sur cette question. Je ne pourrais le faire. Je sais simplement que quand on parle d’application, c’est systématique et d’applicabilité quand on scrute les conditions d’application de quelque chose. C’est tout ce que je puis vous dire sur cette question.

La réduction même du mandat présidentiel divise les acteurs politiques. Au moment où certains appellent le président Sall à respecter sa parole donnée, d’autres estiment que ce serait une violation même de la Constitution de réduire son mandat alors qu’il est élu sur la base d’un mandat de 7 ans. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un débat autour de la réforme de la Constitution à propos du mandat. Ceux qui posent la question partent de ce que le président de la République s’était engagé à réduire le mandat à 5 ans, et s’attendent à ce que cet engagement soit une réalité. Maintenant, il y a une partie de la population qui ne souhaiterait pas qu’il y ait ce changement dans la durée du mandat du président de la République. C’est cela les termes du débat. Ce que j’en pense, c’est qu’il appartient au président de la République de prendre la décision. Il nous a fait comprendre qu’il allait consulter le Conseil constitutionnel avant de convoquer un référendum pour l’année 2016.

A ce propos, il y a aujourd’hui un débat juridique qui se pose. Pendant que le Pr Ismaëla Madior Fall suspend la décision du président de la République au seul avis du Conseil constitutionnel, le Pr Abdoulaye Diéye estime lui que Macky Sall n’a pas l’obligation de suivre l’avis du juge des élections. Où se situe la vérité, selon vous ?

En tant que juriste, je convoque deux textes de la Constitution du Sénégal : l’article 27 qui dispose que ‘’la durée du mandat du président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire’’. Donc à l’exclusion de la loi parlementaire, c’est-à-dire par l’Assemblée nationale. A côté de l’article 27, il y a l’article 51 qui dit que : ‘’Le président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnel au référendum’’.

Et cela, il faut le préciser, deux lois qui sont en conflit, deux règles : une règle générale qui organise le référendum de manière générale et une règle spéciale qui parle du référendum, dans le cas de la révision de la durée du mandat du président de la République. Donc, conflit entre l’article 51 qui est une règle générale qui parle généralement du référendum, et l’article 27 qui parle de manière spéciale de la révision de la constitution s’agissant du mandat du président de la République. Si je comprends bien, le président de la République a pris le choix d’appliquer l’article 51 de la Constitution. Alors l’article 51 de la Constitution, à mon avis, est clair. Son interprétation n’est pas compliquée, parce qu’il dit précisément et de manière expresse : ‘’Le président de la République, après avoir recueilli l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, peut soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum’’.

Donc lui, le président de la République va demander l’avis du Conseil constitutionnel qui est simplement consultatif (elle se répète). C'est-à-dire qu’on demande à cet organe de dire ce qu’il pense de la chose. Ce n’est qu’un avis. Il ne s’agit pas, c’est une précision qui peut avoir son importance, de ce qu’on appelle l’avis conforme. Ce qui signifierait un avis contraignant dont le président serait obligé de tenir compte. Ce n’est pas le cas, ici. Quand on parle d’un simple avis, il est purement consultatif. Il est dit que le président de la République peut (elle insiste sur le mot) soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum, une fois qu’il a eu l’avis du Conseil constitutionnel. L’article 51 de la Constitution donne au président une prérogative qui lui permet de choisir. Il a l’avis (du Conseil), mais c’est lui qui choisit d’en tenir compte ou d’en faire autre chose. Car il peut, c’est une faculté, une prérogative, qui lui est reconnue.

J’ai dit tout à l’heure que ce n’est qu’un avis laissé à l’appréciation du président de la République. Voilà ce qui nous a fait penser de tout temps que le Conseil constitutionnel devrait pouvoir être transformé en Cour constitutionnel et avoir le pouvoir de décision, de trancher. Mais là, il ne donne que des avis consultatifs qui ne s’imposent pas. Le président est libre. Il peut. Il a le pouvoir, c’est une prérogative qui est offerte de tenir compte de l’avis ou pas.

Dans ce cas, quelle est l’utilité pour le président de consulter le Conseil constitutionnel, puisque le dernier mot lui revient ?

C’est un avis. Il peut se dire que le Conseil constitutionnel a pensé dans un sens ou dans un autre. Il peut tenir compte de l’avis de cet organe. Mais rien n’empêche que le président dise : ‘‘ Je ne tiendrai pas compte de votre avis’’. Ce n’est en rien une violation de la loi, puisque c’est la Constitution qui lui donne cette faculté. Il n’y a pas de contraintes. Il peut, il peut ! C’est du noir sur blanc. (Elle relit de nouveau l’article 27). Je répète que sur cette question du référendum, il y a l’article 27 qui est une règle spéciale concernant le changement de la durée et à côté l’article 51 qui une règle générale. Ce qu’on apprend aux étudiants, c’est lorsqu’il y a une règle générale et une règle spéciale, la règle spéciale déroge à la règle générale. Normalement, c’est la règle spéciale qui s’applique ; le législateur veut sur un point déterminé adopter une solution différente de ce dit la loi générale.

Le fait de vouloir adjoindre la décision du référendum à celle du Conseil constitutionnel n’est-il pas une manière pour le président de la République de se rétracter de sa promesse ?

Ce serait scruter l’esprit du président. Je suis juriste. Je dissèque les textes et je dis ce qu’ils disent.

Quelles seraient les  modalités de ce référendum car beaucoup craignent que le président ne l’utilise pour appeler le peuple à rejeter la réduction du mandat présidentiel ?

Là aussi, c’est une question très politique. La difficulté c’est qu’on a trop politisé la question du référendum, alors qu’elle est juridique. J’ai dit, en termes de droit, ce qu’il faut en dire.

Il a également été question dans le discours du président de réorganiser la vie politique, au moment où, le financement des partis politiques s’invite au débat. Quel est l’état d’urgence de ce problème ?

C’est d’une importance capitale. Je reviens toujours aux textes, au Pacte de 1966 sur les droits civiques et politiques. Les populations ont besoin que leurs droits politiques soient organisés. Les partis politiques qui sont l’expression de ces droits par excellence ont besoin de fonctionner. Pour cela, il y a des activités, mais il y a aussi leur financement. Il faut que l’on sache comment le pays compte s’organiser autour de cette question. On se rend compte qu’il y a silence radio, puisqu’il y a vide juridique sur le financement. Le droit ne dit rien.

Nous (Car Leneen), nous sommes inspirés de ce qui se fait à travers le monde pour le financement qui passe par quatre moyens : les cotisations des membres du parti ; la contribution de l’Etat qui existe partout mais qui n’est pas organisé dans notre pays. On ne sait pas quel parti est financé. L’Etat doit organiser pour éviter toute discrimination, la vente de gadgets, de documents, la contribution de sympathisants. Barack Obama a été élu grâce à cela. Dans le monde entier, ça se passe comme ça. Pourvu que l’on sache, au moment où la contribution des sympathisants se fait, que l’on soit sûr de l’origine éthique des fonds. Ce qui est difficile à jauger au moment précis où on reçoit un, deux, trois, quatre, ou cinq millions. Le Sénégal doit s’inspirer de ces quatre sources.

Faudra-t-il tous les financer ?

Ce n’est pas possible. Il y a des partis ‘yaama neex’, ‘boitou allumette’, ‘yobaalema’ (qui n’existent que de nom). Mais ceux qui vont aux élections, qui s’organisent, qui sont structurés, qui ont un siège..., sont des partis respectables qu’il faut respecter. Il faut les financer. Partout dans le monde, c’est comme ça. Le Sénégal ne saurait constituer une exception à la règle.  

L’allocution du président était à forte teneur économique. Que vous inspirent les performances réalisées sur ce plan ?

Tout ce qui est économique ou social ou culturel est une quête permanente. Que ce soit l’économie, la santé, l’éducation, il faut tendre vers la réalisation des droits des personnes. Les Sénégalais ont droit au développement économique. Je crois qu’il y a des actes qui sont posés pour arriver à leurs réalisations. En tant que juriste, je convoque toujours les textes.  L’article 2 du Pacte de 1966 sur les droits économiques, sociaux, et culturels dispose que : ‘‘Les Etats doivent utiliser tous les moyens possibles et imaginables pour arriver à la réalisation de ces droits sociaux économiques et culturels’’. Encore une fois, ce sont les Etats qui sont responsables de leurs réalisations. 

PAR ASSANE MBAYE ET OUSMANELAYE DIOP

 

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