Publié le 12 Feb 2017 - 22:14
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Une presse sénégalaise pas si nulle dans l’investigation

 

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ; ne soyons pas amnésiques ; ne soyons pas non plus nihilistes en reprochant à la presse sénégalaise d’être ‘’de compte rendu’’, de ne jamais visiter des genres rédactionnels aussi difficiles que le journalisme d’enquête appelé aussi journalisme d’investigation. Pas plus tard qu’hier matin, 10 février 2017, écoutant la radio, j’ai entendu des interviewés se désoler d’une sorte de paresse ou d’incompétence professionnelles, empressement ou inclination fait-diversière qui rendent la presse sénégalaise incapable de faire du journalisme d’investigation ou des bonnes enquêtes (l’enquête étant considérée comme « le genre des genres » journalistiques en ce sens qu’il peut faire intervenir tous les modes d’écriture en usage dans l’écriture journalistique). A cause d’une certaine paresse de la mémoire, d’un certain goût de la facilité, d’une ignorance des hauts faits de certains journaux et journalistes, on se laisse aller à des déductions qui sont des négations du mérite professionnel de certains reporters.

Faisons des reproches à la presse sénégalaise, peut-être celle de nos jours, celle des années 2000, mais n’oublions pas que c’est sous des cieux bien sénégalais que des journalistes ont levé des lièvres aussi gros que le scandale des ‘’Imputations budgétaires’’ (mettant en cause des fonctionnaires de l’Etat sénégalais faisant profiter auprès de médecins complices leur couverture santé à des personnes non-ayants-droit). Et ce ne fut pas abusif que ‘’Le Politicien’’, pendant dakarois du ‘’Canard enchaîné’’,  les appela les ‘’amputations budgétaires’’. Le scandale ne fut pas moins retentissant que l’affaire des emplois fictifs du présidentiable de droit français et ancien premier ministre français, François Fillon, coupable d’avoir fait travailler et rémunérer de manière indue son épouse et ses enfants.

Une affaire Fillon prétexte pour accuser la presse sénégalaise d’être ce qu’un enseignant lisant le discours d’usage de la cérémonie de remise des prix du Concours général 1990 traita de ‘’presse d’un seul sujet’’. Quel autre scandale sénégalais révélé aussi par la presse sénégalaise ? La corruption de lycéens par des autorités gouvernementales pour faire cesser une grève vint encore aggraver la chienlit postélectorale de 1988… Ces autorités épinglées par l’enquête se révélèrent avoir versé d’importantes sommes d’argent à une bande de lycéens vénaux, meneurs de la grève qui furent un des événements qui déstabilisèrent le régime Ps du président Abdou Diouf.

Les sujets ne manquent pas ; seuls font défaut les moyens, le temps, la sagacité et l’expertise professionnelle. C’est déjà beaucoup. Il y a dans ce pays des journalistes doués, qui ont levé de gros lièvres. Il y en a très peu, mais il y en a eu quand même. Siégeant à l’actuel gouvernement dont il est le secrétaire général, Abdou Latif Coulibaly a été, de manière incontestable, le plus prolifique journaliste d’investigation au Sénégal. Du ‘’Politicien’’, se définissant comme  ‘’Journal satirique paraissant à l’improviste’’, il y a eu des affaires grosses que les lecteurs commettraient l’injustice d’oublier : Wal Fadjri  s’illustra par des révélations stupéfiantes sur les ‘’gros débiteurs’’ (emprunteurs sans garantie) qui contribuèrent à la faillite d’établissements financiers comme la Banque nationale de développement du Sénégal (Bnds), l’Union sénégalaise de banque (Usb)…  Il ne manquait plus qu’à publier la liste des pillards, mais Walf ne franchira pas ce Rubicon bouillant de soufre et, peut-être, de nitroglycérine, composé chimique pour fabriquer la dynamite.

Tout cela a été des moments de vrai journalisme d’investigation bien sénégalais que les insatisfactions actuelles ne sauraient, ne devraient passer sous l’éteignoir. Nuançons, modérons donc la critique.

Et plus récemment, le portail en-ligne www.Ouestaf.news a pris part aux côtés de grands journaux français, allemands, anglais… à la révélation du scandale dénommée ‘’Panama Papers’’  et désignant une évasion fiscale de grosses fortunes de monde entier vers le paradis fiscal panaméen. On ne peut tous les jours obtenir un scoop ; une enquête de cette profondeur demande du temps, des sources physiques et documentaires absolument fiables.

Ce style de journalisme donc n’est pas comparable au journalisme de l’instant ni de la frime ; il implique (même si ce n’est pas la règle)  que le journaliste qui le pratique mette en danger sa vie, fasse fi de l’éventualité d’être mis sous écoute, ne cède pas aux tentatives de corruption par l’argent (arrêter l’investigation contre des boulettes dans sa proche). Le journalisme d'investigation, selon la déontologie du journalisme, ‘’implique également une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques ou économiques, et une profondeur d'analyse qui résiste à la tentation de l'audimat ou à la course à l’exclusivité’’, souligne l’encyclopédie virtuelle www.wikipedia.org.

D’abord pratique anglo-saxonne, le journalisme d’investigation sera adopté par la presse française avec des grands moments que les historiens de la presse situent dans les années 80-90, même s’il y a eu dans les années 70 les sulfureux dossiers du ‘’Canard enchaîné’’  sur les Diamants de Bokassa, les avions renifleurs, la pose de micro par des espions d’Etat à la rédaction de l’hebdomadaire satirique parisien. Et bien sûr, l’affaire qui émeut la France : l’affaire Fillon. Au Sénégal, beaucoup de sujets traités sous le mode du compte-rendu mériteraient d’être approfondis par une investigation patiente… Elles aboutiraient à des conclusions renversantes !

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