Publié le 29 Jun 2021 - 04:27
CHRONIQUE DE PHILIPPE D’ALMEIDA

 “Terrorisme’’, un prétexte ?

 

Les députés sénégalais ont adopté, vendredi dernier, de nouvelles lois censées renforcer la lutte contre le ‘’terrorisme’’. Les nouveaux textes modifient le Code pénal et le Code de procédure pénale dans le sens sus-indiqué. Il reste que l’opposition n’a eu de cesse, depuis plusieurs semaines, de les juger ‘’liberticides’’ et le point d’orgue de cette réprobation fut atteint le vendredi 25 juin, alors même que les députés examinaient, en séance plénière, le projet de loi n°10/2021 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal et celui du n°11/2021 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale. Des incidents éclatent à Dakar et plusieurs membres de la société civile et de l’opposition sont arrêtés.

Modifications opportunes ou opportunistes ? Le gouvernement affiche une bonne foi  tendancieuse :  « Constituent des actes terroristes punis de la réclusion criminelle à perpétuité, lorsqu’ils sont commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but d’intimider une population, de troubler gravement l’ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales, de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque la terreur, les attentats et complots, les crimes commis par la participation à un mouvement insurrectionnel, les violences et voies de fait commis contre les personnes et les destructions ou dégradations commises lors d’un rassemblement, les enlèvements et séquestrations, les menaces, les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. »

Se trouvent ainsi corsées les dispositions pénales liées à ‘’la lutte contre le terrorisme, l’association de malfaiteurs, la destruction de biens d’autrui’’.  Faut-il suivre notre regard ? L’opposition s’est empressée d’avoir le sien sur ces modifications et en a conclu à une manœuvre ‘’pour assimiler l’exercice du droit de manifester à du terrorisme pour pouvoir se baliser le chemin d’une troisième candidature à la magistrature suprême’’ et pour ‘’mieux criminaliser les appels à la résistance des groupes appelant à des manifestations…’’.

Alors, M2D et Y en a marre se sont dit ‘’prêts pour la résistance’’, sans trop préciser ce qu’ils mettent dans cet élément de langage ‘’fourre-tout’’.

Benno Bokk Yaakaar, majorité à l’Assemblée nationale, dénonce une ‘’manipulation’’ de plus de l’opposition sur l’opinion publique. Les réformes précitées ne viseraient qu’à définir ‘’une nouvelle politique de recouvrement des avoirs criminels et porteraient sur la répression du financement du terrorisme et de la piraterie maritime, entre autres…’’.

Une loi, deux interprétations. Résultat : une opposition qui se braque, se sentant visée et ne voulant participer en rien à la confection d’un boulevard en table de billard pour un troisième mandat de Macky Sall ; une majorité qui se dit excédée par les suspicions intempestives d’une minorité parlementaire qui n’a plus comme toute arme que le réflexe de la suspicion et le tropisme malséant de l’arrière-pensée.

Modification stratégique du Code pénal ? Difficile de signer au gouvernement le chèque en blanc de la réforme naïve et dénuée de toute  arrière-pensée à vocation répressive : la proximité des échéances électorales locales et, à moyen terme, présidentielles, jettent comme une ombre de vicieuse intention sur la bonne foi affichée d’un pouvoir politique qui aura démontré tout au long de son exercice que l’action spontanée et tout orientée vers le bien commun, sans connotation politique et partisane,  n’était pas forcément son ADN.

Mais ce travers systémique n’absout pas pour autant l’opposition de la bêtise pavlovienne du rejet systématique de toute nouvelle loi qu’elle a fini par inscrire dans ses gènes  politiques comme un mode opératoire de conquête du pouvoir : en termes de lutte contre le terrorisme, le Sénégal a le devoir de se conformer aux conventions signées avec les autres pays de la planète, notamment ceux de la sous-région ouest-africaine et doit donc, en l’occurrence, harmoniser ses textes avec ceux des pays engagés dans la même lutte que lui contre cet ennemi invisible, friand de guerres asymétriques, affichant le plus grand mépris à l’égard de la vie humaine, frappant n’importe où, n’importe quand et n’importe comment, pourvu que son feu et sa fureur fassent le plus de victimes possibles dans la sidération d’un monde désigné infidèle.

Mais au-delà de cela, c’est le rejet de la violence en tant que mode d’expression politique, que le législateur sénégalais entend éradiquer. Quel vrai démocrate s’en plaindrait ? Et en voudrait-on à un pouvoir en place et désireux de durer, de trouver cet habile subterfuge pour dissuader toute violence à son encontre ; violence qui s’auto-légitimerait de la volonté d’en découdre avec un gouvernement absolutiste, par les moyens de la force, de la destruction, du pillage et du sang ?

A l’évidence, non. Mais l’opposition parle de ‘’forfaiture’’ en construction et appelle à la résistance populaire contre ce qui ne serait que le premier acte d’une troisième candidature non-annoncée.

Les deux projets de loi examinés ont été approuvés par 70 députés présents, alors que 11 ont voté contre, a déclaré le président de l'Assemblée nationale, Moustapha Niasse, vendredi.

Douze personnes qui manifestaient contre ces textes ont été arrêtées vendredi par les forces de l'ordre, au terme d’une journée sulfureuse, avant d’être relâchées samedi.

La loi est passée à l’hémicycle. Dans la rue, elle aura plus de mal, mais celle-ci n’empêchera pas qu’elle soit imposée à tous, si sa vertu, en dépit des vices qu’elle cache, est de rassurer dans les moments de braise ; de bannir la violence des réflexes du débat politique et de l’expression populaire. Parce que c’est aussi cela la démocratie. Les empoignades physiques qui ont eu lieu dans les couloirs de l’hémicycle entre Ousmane Sonko et un autre de ses collègues de la majorité sont largement symptomatiques de la nature du débat politique au Sénégal. Elles sont loin d’en honorer la démocratie et appellent, dans un ‘’appel au secours’’ strident, les garde-fous de la République. Les lois adoptées vendredi en constituent peut-être, l’esquisse.

 

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