Publié le 23 Feb 2021 - 02:37
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Héroïsation réussie

 

Bien malin qui pourrait prédire la nature de l’épilogue du feuilleton Sonko dont médias et opinion font leurs choux gras depuis quelques semaines et ce, jusqu’à l’hystérie. Chaque jour ouvre un nouvel acte dans la graduation dramatique de cette pièce dont les protagonistes semblent accélérer par la surenchère et l’emphase, l’issue incertaine. Mais la violence des sentiments, le poids des ressentiments et la radicalité des postures peuvent faire redouter de sombres heures pour le pays.

Une chose est claire : en refusant de répondre à la convocation du Parlement prévue pour ce jour, Ousmane Sonko entérine sans doute, à dessein, la dimension politique d’une affaire qui eût pu se cantonner aux sphères du privé. La démission simultanée des députés Moustapha Guirassy et Cheikh Bamba Dièye de la commission ad hoc chargée d’étudier une éventuelle levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko, vient renforcer cette dimension et consacre définitivement ce qu’au fond le leader du Pastef avait voulu dès le début de cette affaire : la conspiration politique.

A dessein, les députés démissionnaires évoquent l’’’inféodation’’ du Législatif ‘’au pouvoir Exécutif’’ et préviennent contre une ‘’forfaiture’’ du premier qui mettrait en danger la nation. L’atmosphère politique du pays semble accréditer les craintes : de multiples arrestations dans les cercles du Pastef ou de ceux qui s’y rapprochent. Abass Fall, Coordonnateur à Dakar du Pastef, Patricia Mariame Ngandoul, épouse de l’administrateur du Pastef, Fatima Mbengue, membre du Mouvement Frapp/France dégage, ont été déférés ces dernières heures, dans un contexte global de traque policière.

L’on est bien loin, désormais, des badineries de boudoir pour magazines people à scandale. Cette dimension-là, Sonko la récusait d’autant plus qu’elle mettait en péril l’image du politique transparent, l’icône virginale qu’il était censé incarner auprès d’une opinion de plus en plus surchauffée. Il a voulu, dès le départ, que cette intrusion d’un soir, dans sa vie privée et qui porte la tache de sa propre imprudence, prenne les allures d’une persécution politique dont il serait le héros et dont il bénéficierait des dividendes au terme de tous les rebondissements qu’imposeraient les circonstances.

En mobilisant, dès les premières heures, la rue qui lui est favorable autour de sa cause, le leader du Pastef avait donné le ton de ce choix qui sublimait dans le combat et la résistance politiques la faiblesse d’un épanchement sensuel. L’accélération des procédures policières et parlementaires a fait le reste.

Sonko ne sera pas à l’Assemblée nationale aujourd’hui, mais les services du Parlement ont bien fait savoir que la commission poursuivrait son travail, en dépit même de la démission de deux de ses membres. Tous les indicateurs préfigurent donc la levée de l’immunité de Sonko et sans doute aussi le début d’un procès que les circonstances des événements et la personnalité du mis en cause et l’hystérie des médias et les maladresses des institutions auront contribué à rendre politique.

Dans un tel contexte, Ousmane Sonko sort inévitablement gagnant. Son objectif est atteint : il aura éteint le feu de l’opprobre moral et sur ses cendres, il aura réussi à ériger la tribune de la martyrisation politique que ni les violences de quelque ordre qu’elles soient ni les campagnes partisanes ou médiatiques ne réussiront plus à dénaturer auprès d’une opinion majoritairement dopée au carburant du patriotisme ‘’sonkiste’’.

Il faut craindre ou se réjouir (c’est selon) qu’on ait dressé un boulevard inutilement large à une figure politique qui n’en demandait peut-être pas autant.

 

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