Publié le 27 Mar 2021 - 02:56
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

La décrispation et les limites de l’Etat laïc

 

Birame Soulèye Diop et Abass Fall du Pastef ont bénéficié, hier jeudi 25 mars, d’une liberté provisoire, après un séjour carcéral d’un mois, suite aux accusations d’’’association de malfaiteurs, complicité de diffusion de contenus contraires aux bonnes mœurs, menaces de voie de fait et violences’’, dans la foulée des évènements insurrectionnels qui ont secoué le Sénégal, le mois dernier, après l’interpellation de leur leader Ousmane Sonko. Ce dernier est accusé de ‘’viols et de menaces de mort’’ par la devenue célèbre Adji Sarr, masseuse au pas moins fameux Sweet Beauté.

La veille, Guy Marius Sagna, Assane Diouf et Clédor Sène avaient bénéficié de la même relaxe, en même temps que quelques autres activistes interpellés dans le même contexte, dans le sud du pays.

A l’évidence, des signaux forts de décrispation qui constituent le volet le plus acceptable de la panoplie de revendications exprimées en 10 points par le FRN, ce fameux Front de résistance nationale, déterminé, à s’en référer à ses postures, à en découdre avec le pouvoir de Macky Sall, jusqu’à ce que ses velléités exprimées ou refoulées d’un troisième mandat, soient définitivement étouffées.

Volet le plus acceptable, parce que le FRN avait positionné son curseur d’exigences aux extrêmes du tableau, ankylosant toute possibilité de dialogue politique, ne pouvant rien obtenir de la partie adverse que raideur et silence… dans le meilleur des cas.

La crispation du climat politique émanait justement de ce dialogue impossible et de cette confrontation en chiens de faïence, de cette ‘’drôle de guerre’’ politique qui risquait, à tout moment, de rejouer son numéro confrontationnel fait de violences, de casses et de pillages…

C’est à ce stade qu’est sorti de son silence confessionnel le khalife général des mourides, prenant en toute responsabilité sa part, dans ce jeu de rôles socio-politique dans lequel le contexte sociétal, dominé par la religion et les collusions qu’elle a, de tout temps, induit, lui a attribué une part d’interprétation.

Serigne Mountakha Mbacké a fermement demandé à l’opposition vers laquelle il a délégué un émissaire, de même qu’au pouvoir, d’’’enterrer la hache de guerre’’, pour éviter la réédition des évènements de février et pour préserver la démocratie.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : marches et autres manifestations de mécontentement ont été suspendues et les personnes les plus symboliques de la contestation, interpellées dans le cadre des colères de février et qui ne se sont pas illustrées dans des actes de délinquances avérées, ont été libérées. Pour qui théorisait sur le recul de l’influence du religieux sur la vie politique sénégalaise, voilà qui est instructif…

D’ailleurs, Ousmane Sonko, soupçonné, à tort ou à raison, de connivence avec des courants salafistes, ne s’y trompe pas : ‘’Il faut institutionnaliser la relation entre les religions et l’Etat’’, a-t-il déclaré hier, lors d’un message. Concordat de fait, qui constituerait une remise en cause de la laïcité et qui éclaire sur les arrière-pensées du leader du Pastef. Mais ceci est un autre débat…

La tension a donc incontestablement baissé d’un degré, suite à l’intervention du khalife, dont le médiateur prend soin d’avertir : ‘’Tant que le calme n’est pas revenu, le khalife ne va pas vous laisser tranquilles.’’

Reste à savoir quelle est, aujourd’hui, la ligne de démarcation entre l’influence du religieux sur le cours des événements et les impératifs  des officines politiques : quand l’opposition rejette toute possibilité d’un troisième mandat ; quand elle appelle au limogeage du procureur de la République de même que  celui du doyen de juges, pour ne citer que ceux-là, elle ne fait rien d’autre que d’esquisser cette ligne de démarcation et de dessiner l’espace à l’intérieur duquel elle pourrait s’affranchir des interventions religieuses et opérer en toute légitimité des choix politiques que seule la nature de l’Etat républicain lui permet.

Mais il est incontestable que l’intervention du guide religieux des mourides et celle, plus discrète, d’autres influenceurs confessionnels, auront largement contribué à faire reculer les menaces de nouvelles confrontations à court terme ; elles auront surtout servi de catalyseurs des radicalismes et tracer de nouvelles perspectives de discussions. Même si l’opposition se dit allergique à une quelconque forme de dialogue avec le pouvoir, tant que ses exigences ne sont pas prises en compte, sa latitude optionnelle est limitée sous le baobab religieux et le large champ d’action et d’influence, psychologique, matériel et spirituel qui est le sien.

Du côté du pouvoir, on déplorera, bien sûr, que cette influence salvatrice, affaiblit la puissance publique ; mais pris dans l’étourdissement d’une insurrection quasi-révolutionnaire qui ouvrait le champ de toutes les possibilités et la voie à tous les hasards, le recours à ce pouvoir occulte, peut-être le 5e de la liste de ceux qui régentent le fonctionnement de la société, a plutôt renforcé cette puissance. Et c’est peut-être mieux, pour des sociétés fragilisées par leur propre nature, d’avoir à disposition, aux heures du péril, ces soupapes-là. Pas toujours confortable pour les pouvoirs qui rêvent d’absolutisme, sous couvert de règles républicaines et de leurs pendants laïcisés…

Mais pour le coup, la République est sauve et c’est sans doute l’essentiel.

 

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